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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

La diversité radicale des plans d’organisation des quatre embranchements fortifie ainsi, par<br />

des preuves nouvelles et décisives, les raisons, tirées de la nécessité d’une coordination<br />

fonctionnelle, qui autorisaient déjà à exclure comme incompatible avec les conditions<br />

d’existence un enchaînement continu des classes. 1<br />

Dans cette optique, l’homme occupe une place parmi d’autres sans qu’elle ait une<br />

quelconque valeur particulière qui la distingue d’un point de vue biologique 2 .<br />

De même, E. Geoffroy Saint-Hilaire s’interdit, pour des raisons exactement contraires<br />

à celles de Cuvier, c’est-à-dire au nom d’une continuité fondée sur l’unité de composition<br />

organique, d’élire l’homme à une position méthodologique privilégiée 3 . On peut pénétrer<br />

l’organisation des vivants et les lois de la nature autrement que par l’homme, puisque tout est<br />

continu. L’homme n’a pas ce statut privilégié qu’il peut avoir chez un Ravaisson par exemple,<br />

parce qu’il ne s’agit pas d’élaborer une métaphysique, mais une science qui pénètre les effets<br />

d’organisation. A ce titre, choisir les monstruosités comme lieu d’intelligibilité de la nature<br />

plutôt que l’homme constitue une rupture qui modifie le sens même de la chaîne des êtres.<br />

Soit dit en passant, on remarque donc que ce n’est pas Darwin qui infligea cette blessure<br />

narcissique à l’homme en le délogeant du centre de la nature vivante, comme le commenta<br />

Freud 4 : elle était déjà infligée par l’anatomie comparée, mais il est vrai que Darwin, en<br />

replaçant les leçons de l’anatomie comparée dans la généalogie des espèces, la raviva au plus<br />

haut point.<br />

Mais il y a plus. I. Geoffroy Saint-Hilaire voit dans la possibilité d’un excès de<br />

développement le passage effectif d’un degré à un autre – cette chaîne des êtres est<br />

dynamique, en ceci que les degrés inférieurs engendrent les degrés supérieurs. Par l’excès de<br />

développement<br />

tombe l’une des plus graves objections que l’on pût opposer à cette hypothèse hardie et bien<br />

douteuse encore, mais assurément grande et féconde, qui, admettant le progrès dans les œuvres<br />

elles-mêmes de la nature, cherche, dans des espèces ou des races anciennes d’une organisation<br />

plus simple, l’origine des êtres complexes qui peuplent aujourd’hui la surface du globe. 5<br />

Que cette chaîne des êtres soit conçue de manière génétique n’entraîne cependant pas<br />

I. Geoffroy Saint-Hilaire vers une anticipation de la théorie darwinienne de l’évolution.<br />

mollusques, animaux articulés, animaux rayonnés), p. 57. Cf. Daudin, Les classes zoologiques et l’idée de série<br />

animale, op. cit, p. 103 sq. Malgré tout, Cuvier va maintenir entre les quatre embranchements un certain rapport<br />

de hiérarchie : sur ce point et les nuances à y apporter, cf. Daudin, ibid., pp. 105-106.<br />

1 Ibid., p. 105.<br />

2 Sur ce point, cf. Michel Foucault, « La situation de Cuvier dans l’histoire de la biologie » dans Dits et écrits I,<br />

Paris, Quarto Gallimard, 2001, n° 77, pp. 919-921.<br />

3 « En outre on commence déjà à ne plus tant parler de cette succession progressive des êtres, et l’on se<br />

débarrassera sans doute de même de ces vieilles locutions, les êtres les plus parfaits, au fur et à mesure que l’on<br />

se convaincra davantage que ce n’est pas la meilleure et la plus sûre manière de philosopher que de s’apporter<br />

toujours soi-même pour terme de comparaison », Philosophie anatomique. Des organes respiratoires, op. cit., p.<br />

43 ; cf. aussi ibid., pp. 62-63 et I. Geoffroy Saint-Hilaire, Vie, travaux, op. cit., pp. 131-132.<br />

4 Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse, trad. S. Jankélévitch, Paris, Ed. Payot, 1970, pp. 266-267. Il<br />

est vrai cependant que dans ce passage Freud signale prudemment l’action des prédécesseurs de Darwin et<br />

Wallace.<br />

5 Ibid., III, p. 416.

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