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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

constitue par conséquent une branche particulière, une science distincte, dans le sens spécial<br />

qu’on a donné à ce mot. 1<br />

Faire d’un discours portant sur les anomalies une science, c’est d’abord et avant tout<br />

tâcher de lier entre eux un ensemble de faits épars et isolés. Les monstruosités seront prises<br />

dans un ordre du discours lorsqu’elles ne seront plus considérées comme un ensemble de<br />

phénomènes détachés les uns des autres, mais lorsque cet ordre du discours les inclut dans un<br />

ordre à partir duquel peuvent se dégager des règles et des lois générales. Ainsi la tâche de la<br />

tératologie est-elle double : faire la part des choses entre ce qui relève de la monstruosité – et<br />

de façon plus générale des anomalies – et ce qui n’en relève pas, donc déterminer et<br />

circonscrire avec précision l’objet même de son étude par la description dont nous avons vu le<br />

nouveau statut et dont la fonction au final est bien d’intégrer la monstruosité à un ordre des<br />

mots et du langage scientifique, et s’élever à la généralité de règles et de lois par<br />

l’ordonnancement des faits particuliers. Il revient à l’époque scientifique de discriminer avec<br />

précision les vraies et les faux monstres 2 , de porter un regard détaché et non troublé sur ces<br />

êtres qui appellent d’eux-mêmes le prodige, l’hubris et la prodigalité de l’imagination. Le<br />

regard scientifique est un regard qui n’est plus fasciné ni hypnotisé par la chose monstrueuse,<br />

mais qui, comme tout regard scientifique, construit son objet. Mais cette construction d’un<br />

monstre ou d’une anomalie scientifique n’est à son tour possible que si le regard posé n’est<br />

pas un regard vierge et innocent, mais un regard déjà informé, déjà marqué par les autres<br />

sciences du vivant. La tératologie est bien une science distincte, mais elle ne peut pas être une<br />

science première ; elle est plutôt le lieu où s’éprouve l’autre mouvement essentiel de la<br />

recherche scientifique : non plus la spécialisation, mais l’association des résultats pour<br />

appréhender les faits généraux et les lois de la nature.<br />

D’un autre côté, en même temps qu’une science, par l’accroissement numérique de ses faits<br />

particuliers, tend à se diviser, d’autres progrès lui font éprouver un autre besoin, lui impriment<br />

une tendance en apparence contradictoire : celle d’une association avec toutes les branches<br />

analogues des connaissances humaines. A mesure qu’elle s’élève à des généralités plus<br />

1 Ibid., I, préface, p. X.<br />

2 Sur les faux monstres, ibid., III, pp. 422-427 : le geste scientifique s’applique aussi à cette catégorie, puisque<br />

Geoffroy Saint-Hilaire se propose de classer les faux monstres. « Le nombre de ces faux monstres, créations<br />

bizarres et désordonnées, non de la nature, mais de l’imagination humaine, est si grand, qu’il est presque<br />

nécessaire, pour s’en faire une idée exacte, d’établir parmi eux une sorte de classification, et de les rapporter à<br />

cinq genres distincts. » (p. 423) Il est à noter cependant une double réserve dans ce domaine des faux monstres.<br />

D’abord, il « est presque nécessaire » de faire une classification – nécessité conditionnelle afin d’appréhender<br />

dans toute sa mesure le nombre des faux monstres. La classification est appelée ici pour maîtriser le divers<br />

sensible monstrueux, non pas de la nature, mais de l’imagination ; cependant elle n’a pas le même degré de<br />

nécessité que pour les monstres naturels, puisqu’elle ne s’appuie pas sur les lois de la nature. C’est pourquoi,<br />

deuxième réserve, il ne s’agit ici que d’une « sorte de classification », qui n’a ni la rigueur ni le détail de la<br />

classification naturelle. Les cinq genres qui permettent de mettre de l’ordre dans cette production des monstres<br />

faux sont les suivants : les monstres proprement factices, c’est-à-dire fabriqués ; les monstres « purement<br />

imaginaires, ou inventés du moins à l’occasion d’individus dont les anomalies réelles n’offraient aucun rapport<br />

avec la conformation bizarre qui leur était attribuée » (p. 424) ; les monstres pourvus d’anomalies réelles mais<br />

dont la description ignorante a « changé la nature et accru l’importance pour en augmenter l’intérêt » (p. 425) ;<br />

les monstres nés de croisements d’espèces différentes ; « enfin il est un dernier genre de faux monstres dans<br />

lequel on reconnaît des êtres parfaitement réguliers, dont les caractères normaux ont été, par l’ignorance de ceux<br />

qui les décrivaient, considérés comme des anomalies singulières » (p. 426).

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