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LE MONSTRE, OU LE SENS DE L'ECART ESSAI SUR UNE ...

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tel-00846655, version 1 - 19 Jul 2013<br />

est « une altération, une déformation », le second « une formation insolite ». Autrement dit,<br />

« l’une change ce qui a déjà été fait, l’autre ce qui doit se faire » 1 . Deux conséquences<br />

peuvent être tirées, l’une d’un point de vue anatomique, l’autre d’un point de vue<br />

physiologique.<br />

Du point de vue anatomique, les monstres ne sont pas des êtres déformés, parce que<br />

cela supposerait qu’ils aient réalisé ou atteint une forme première à partir de laquelle ils se<br />

seraient écartés. Or cette forme n’a jamais été réalisée. A proprement parler, le monstre n’est<br />

ni informe, ni difforme, ni même malformé.<br />

L’informe rate le monstre par l’absence même de toute forme. I. Geoffroy Saint-<br />

Hilaire, dans sa classification des monstruosités, abordera cette limite antérieure par où la<br />

monstruosité s’échappe d’elle-même avec les monstres parasitaires. De l’informe, on ne peut<br />

rien distinguer ; tout se perd, se mélange, s’indifférencie dans une sorte de magma organique<br />

mou, au point qu’il lui faille un autre organisme de qui il est une excroissance pour être.<br />

L’informe est l’indifférencié qui rend arbitraire toute distinction et ainsi impossible toute<br />

classification, puisque celle-ci repose sur la possibilité même de découper et d’articuler les<br />

êtres selon leurs différences réelles. Il est le néant de toute forme possible, ou encore<br />

l’impossibilité, ou l’impuissance, de toute possibilité de forme.<br />

Or, dans la mesure où le monstre se reconnaît – on aura à revenir sur le sens de cette<br />

reconnaissance –, il présente bel et bien une forme, mais elle n’est pas difforme ou déformée.<br />

La difformité touche la forme dans une de ses régions seulement et altère son apparence. La<br />

difformité est une forme grimaçante, une forme qui touche au grotesque, mais non pas une<br />

forme monstrueuse en ce sens qu’elle n’atteint pas l’être de la forme ; le difforme partage la<br />

même forme que l’être normal, mais non pas la même apparence – ce qui conduit à poser<br />

l’idée d’une continuité entre la forme et le difforme. D’un point de vue esthétique cette foisci,<br />

nous aboutissons à la caricature et au grotesque. Si nous reconnaissons la caricature et son<br />

modèle à leur ressemblance, c’est qu’ils partagent une même forme qui ne se donne pas<br />

cependant sous la même apparence. Or le monstre, avons-nous vu, ne doit son apparence<br />

autre, non pas à une transformation d’une forme déjà donnée, mais à une forme tout<br />

simplement autre. Le difforme manque du monstre l’altérité de sa forme. La difformité n’est<br />

pas assez autre pour être monstrueuse. Son étrangeté ne concerne que l’apparence de la forme,<br />

non celle-ci en elle-même. Entre la forme monstrueuse et le difforme, la différence est celle<br />

de la profondeur à la surface. Est-ce à dire alors que la forme monstrueuse est malformée,<br />

plutôt que déformée ? Est-ce à dire que la maladie serait plutôt du côté de la déformation et<br />

l’anomalie du côté de la malformation ? La malformation est une mauvaise formation, une<br />

1 Ibid., III, p. 445. Cette distinction entre l’écart pathologique et l’écart anomal avait déjà été dégagée par E.<br />

Geoffroy Saint-Hilaire par l’observation de l’époque différente dans laquelle ils ont lieu l’un et l’autre : « Sur ce<br />

pied l’anencéphale est monstrueux : car si nous le comparons aux fœtus de même espèce étant dans l’état<br />

normal, nous voyons qu’en un point il ne parcourt pas toute l’échelle des développements possibles, comme le<br />

font ces derniers : mais il n’est pas malade, sous ce rapport que cette défectuosité ne tient point à un organe déjà<br />

formé, qui s’est vicié plus tard », Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines, op. cit., pp. 149-150.

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