Analyse des Manuscrits des Trois contes: la transcendance des ...

Invitée au bal du marquis d’Andervilliers, elle ouvre la fenêtre et s’accoude sur le rebords
de la fenêtre :
La nuit était noire. Quelques gouttes de pluie tombaient. Elle aspira le vent humide qui lui
rafraîchissait les paupières. La musique du bal bourdonnait encore à ses oreilles, et elle faisait
des efforts pour se tenir éveillée, afin de prolonger l’illusion de cette vie luxueuse qu’il lui
faudrait tout à l’heure abandonner.
Le petit jour parut. Elle regarda les fenêtres du château, longuement, tâchant de deviner
quelles étaient les chambres de tous ceux qu’elle avait remarqués la veille. Elle aurait voulu
savoir leurs existences, y pénétrer, s’y confondre. 175
tel-00790321, version 1 - 19 Feb 2013
Ce bal dévoile le mécontentement potentiel d’Emma par rapport à sa vie. Dès lors, ce bal
prend de l’importance en devenant un élément déterminant de sa vie. Cette méditation sur
la nuit du bal approfondit les sentiments d’Emma plus que son expérience de la réalité. Le
désir de se fondre dans la vie luxueuse à la fenêtre est son vœu le plus cher. Cela rappelle
justement l’expérience de Flaubert lui-même : « le moment des soupirs, des désirs, du
souvenir et de l’espoir ». Le désir de ce moment n’est qu’une rêverie, mais il est très proche
de la joie que le corps ressent et il constitue une réalité plus vraie que nature. La nuit se
distingue du quotidien, et permet de révéler tous les potentiels en latence. Lorsqu’elle
pénètre de nouveau dans la vie quotidienne, elle la domine et la régénère comme le ferait la
réalité. C’est un tel sentiment enivrant, comme dans la lettre que Flaubert envoya à Louise
Colet au commencement de leur relation, qu’Emma ressentit lors des périodes heureuses de
sa vie. Yoko Kudo remarque que l’expérience de cette lettre de 1845 est décrite comme un
sentiment de son héroïne, dans la même situation dix ans après 176 . Cette expérience est
sublimée comme une œuvre. De fait, il est très fréquent que les événements, les sentiments
et les expériences décrits dans la correspondance deviennent des épisodes de ses œuvres
quelques années plus tard. En écrivant ses lettres, il est plus facile pour l’expéditeur que ses
sentiments restent dans sa mémoire.
Dès lors, la correspondance permet de considérer les plans des œuvres que Flaubert est
en train d’imaginer. Flaubert raconte à Louise Colet la scène des comices agricoles de
Madame Bovary :
175 Flaubert, Madame Bovary, présentation, notes et transcriptions par Pierre-Marc de Biasi, Paris,
Imprimerie Nationale, 1994, p. 149-150.
176 Voir Yoko Kudo, Les Lettres de Madame Bovary, Tokyo, Chikuma-shobo, 1986 (en japonais).
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Ohashi, Eri. Analyse des Manuscrits des Trois contes : la transcendance des hommes, des lieux et des choses chez Flaubert - 2013