Analyse des Manuscrits des Trois contes: la transcendance des ...

apercevant des chevaux dans le ciel ». Les seuls chevaux présents hennissaient, sur le quai,
« effrayés par la mer » [TC, p. 58], et Victor ne revenait pas de ce voyage. 474
Victor sur le navire que Félicité a vu pour la dernière fois reste silencieux comme dans
la cathédrale :
Au bord du quai, d’autres hennissaient, effrayés par la mer. [...] on entendait chanter des
poules, le capitaine jurait ; et un mousse restait accoudé sur le bossoir, indifférent à tout cela.
Félicité, qui ne l’avait pas reconnu, criait « Victor ! » ; il leva la tête ; elle s’élançait, quand on
retira l’échelle tout à coup. [TC, p. 58]
tel-00790321, version 1 - 19 Feb 2013
Son attitude d’indifférence complète vis à vis du tumulte du départ, et son silence nous
donnent l’impression qu’il perd déjà sa vitalité. Ce passage marque l’entrée de Victor vers
le monde des morts, le royaume des ombres. La description du navire, dont l’ombre est
grosse comme la cathédrale se trouve entre deux scènes du Calvaire ; le navire est donc
l’endroit où il est interdit aux vivants de pénétrer. C’est la raison pour laquelle elle ne peut
ni rejoindre Victor, ni changer son destin. L’originalité de ce royaume est le fait que les
morts sont totalement coupés du monde des vivants, c’est une frontière infranchissable.
C’est justement le Calvaire qui symbolise la frontière entre les deux monde différents.
Lorsque Félicité revient du port, elle aperçoit encore une fois le Calvaire : « Félicité en
passant devant le Calvaire, voulut recommander à Dieu ce qu’elle chérissait le plus ; et elle
pria pendant longtemps, debout, la face baignée de pleurs, les yeux vers les nuages » [TC,
p. 44]. Félicité et Victor qui se connaissaient deviennent ainsi deux étrangers, leurs chemins
se séparent sans qu’ils puissent rien dire, rien faire. Ce passage suggère de nouveau la
comparaison de Victor à un boa, comme on l’a vu au f o 307 v o : « il tombe dans une torpeur
de serpent boa ». Le serpent, habitant du royaume des ombres, protège ce royaume du
monde extérieur. Il a le devoir d’empêcher les vivants d’y entrer, il est le symbole du
labyrinthe. Depuis l’époque de la Grèce ancienne, le serpent est considéré comme le
labyrinthe qui fait arriver les hommes et les animaux aux royaumes des ombres par sa force
destructrice, de plus il renaît éternellement en muant.
La mort de Victor qui fait allusion au mythe donne une impression irréaliste à l’œuvre
par son origine légendaire. Au f o 318 r o :
474 Brigitte Le Juez, Le Papegai et le papelard, op. cit., p. 25.
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Ohashi, Eri. Analyse des Manuscrits des Trois contes : la transcendance des hommes, des lieux et des choses chez Flaubert - 2013