22.02.2014 Views

LES TRAPPS DU DECCAN, DES TRAPPES À CO2 - CNRS

LES TRAPPS DU DECCAN, DES TRAPPES À CO2 - CNRS

LES TRAPPS DU DECCAN, DES TRAPPES À CO2 - CNRS

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

R E C H E R C H E E N D I R E C T C N R S I N F O • N ° 3 9 6<br />

S E P T E M B R E 2 0 0 1<br />

<strong>LES</strong> <strong>TRAPPS</strong> <strong>DU</strong> <strong>DECCAN</strong>, <strong>DES</strong> <strong>TRAPPES</strong> <strong>À</strong> CO 2<br />

La mystérieuse extinction des dinosaures, il y a 65 millions d'années, est attribuée à<br />

l'impact d'une météorite ou à une énorme éruption volcanique en Inde. Dans un cas<br />

comme dans l’autre, les poussières émises et la variation chimique de l'atmosphère et<br />

des océans auraient créé une catastrophe écologique, responsable de l’éradication<br />

d’une grande partie des êtres vivant à la surface de notre planète. Des chercheurs 1<br />

ont mis au point un modèle qui, sans rediscuter la cause de cette extinction, montre<br />

que la mise en place de grands épanchements volcaniques (les « trapps ») en Inde<br />

il y a 65 millions d’années 2 a conduit à des changements globaux du climat et de la<br />

chimie des océans.<br />

1 Laboratoire de mécanismes<br />

de transfert en géologie (LMTG,<br />

<strong>CNRS</strong>-Université Toulouse 3)<br />

en collaboration avec l’Institut<br />

de physique du globe de Paris<br />

(IPGP) et le Laboratoire de<br />

physique atmosphérique<br />

et planétaire de l’Université<br />

de Liège (LPAP).<br />

2 Cette période correspond<br />

géologiquement à la limite<br />

Crétacé/Tertiaire.<br />

Les conditions climatiques dépendent en partie de la quantité dans<br />

l’atmosphère de CO 2 , gaz dont l’effet de serre est reconnu. De nombreux<br />

auteurs ont essayé de modéliser le cycle du CO 2 à travers les temps<br />

géologiques. Il ressort de ces études que, sur des durées de l'ordre du<br />

million d'années, le bilan du CO 2 est régi par une unique source, le volcanisme,<br />

et un seul « puits », l'altération continentale des silicates (voir<br />

encadré). Sur le long terme, un équilibre s'établit donc entre le dégazage<br />

des volcans et la consommation de CO 2 par l'altération.<br />

La Narmada est l’un des trois principaux<br />

fleuves qui drainent les basaltes<br />

du Deccan.<br />

Les basaltes sont, parmi les roches silicatées, celles qui s’altèrent le<br />

plus facilement. De ce fait, ils ont joué un rôle fondamental pour le<br />

contrôle de la teneur en gaz carbonique<br />

de l’atmosphère lors du<br />

dégazage intense qui a accompagné<br />

la mise en place, il y a 65 mill<br />

i o n s d’années, des trapps d u<br />

Deccan en Inde. Le volume initial<br />

de ces trapps pourrait avoir<br />

atteint 3 x 10 6 km 3 . Or, les trapps<br />

actuels occupent un volume d'environ<br />

10 6 km 3 . Les deux tiers des<br />

basaltes initiaux ont donc disparu<br />

en 65 millions d'années.<br />

Les trapps du Deccan se sont mis en place au nord-ouest<br />

de la partie péninsulaire de l’Inde, sur une partie du vieux<br />

socle précambrien indien constitué de granites et de gneiss.<br />

Le Deccan est l'une des provinces basaltiques les plus étendues<br />

à la surface de la planète.<br />

<strong>LES</strong> SILICATES, SEU<strong>LES</strong> POMPES <strong>À</strong> CO 2<br />

Au cours de l’altération des continents, le CO 2 gazeux passe en solution et donne de l’acide carbonique<br />

( H 2 C O 3 ) qui contribue à la dissolution des minéraux et à la formation d’ions bicarbonates (HCO 3 - ) .<br />

Ces ions se retrouvent exportés par les rivières vers les océans où, à saturation, ils participent à la<br />

précipitation de carbonates (CaCO 3 ). Or, durant la réaction de précipitation, seule une mole* de bicarbonate<br />

sur les deux consommées précipite réellement, la seconde étant relarguée dans l’atmosphère sous<br />

forme de CO 2 . Lors de l’altération des minéraux silicatés, la totalité des ions bicarbonates provient de<br />

l’atmosphère, ce qui représente au final (après précipitation) une consommation d’une mole de bicarbonate<br />

ou de CO 2 atmosphérique. En revanche, lors de l’altération des minéraux carbonatés, seule la moitié<br />

des ions bicarbonates provient du CO 2 atmosphérique, l’autre moitié provenant directement de la<br />

roche. Dans ce cas, le bilan final de consommation est nul puisque les moles de CO 2 consommées lors<br />

de l’altération repartent dans l’atmosphère au moment de la précipitation des carbonates au fond des<br />

océans. Par conséquent, sur l’échelle du million d’années, seule l’altération des silicates consomme réellement<br />

du CO 2 atmosphérique.<br />

* Mole : unité permettant de mesurer la quantité de matière et correspondant à 6,02 x 10 2 3 entités élémentaires<br />

(atomes, molécules, ions, etc.).<br />

29


R E C H E R C H E E N D I R E C T C N R S I N F O • N ° 3 9 6<br />

S E P T E M B R E 2 0 0 1<br />

Pour expliquer ce phénomène, les chercheurs du LMTG et de l’IPGP ont déterminé une loi<br />

simple qui permet d'estimer la quantité de CO 2 consommée lors de l'altération des basaltes. Cette<br />

loi a été établie à partir de données obtenues sur les rivières drainant les trapps du Deccan et<br />

d'autres régions basaltiques. Deux paramètres sont fondamentaux : la quantité d'eau qui circule<br />

dans les sols et la température atmosphérique. Ces deux facteurs jouent dans le même sens car<br />

ils favorisent tous les deux la mise en solution des sols et des roches : plus ces paramètres sont<br />

élevés, plus l'altération est importante.<br />

Les chercheurs ont également rassemblé des données<br />

bibliographiques. Ainsi la quantité de CO 2 d é g a z é e<br />

dans l'atmosphère durant la mise en place des trapps<br />

est estimée à 1,6 x 10 18 moles, soit environ la moitié de<br />

ce qui est contenu sous forme dissoute dans l'océan<br />

à l’heure actuelle. Quant à la durée de cet événement,<br />

elle est évaluée à moins d’un million d’années par de<br />

nombreux auteurs. <strong>À</strong> partir de toutes ces estimations,<br />

les chercheurs du LTMG ont modélisé les évolutions<br />

climatiques qui se sont produites à l’époque de la mise<br />

en place des trapps du Deccan.<br />

La modélisation montre que l'augmentation de CO 2<br />

dans l'atmosphère a été très importante (1050 ppmv, soit<br />

3 fois la teneur actuelle 3 ) et s’est accompagnée d’un<br />

rapide réchauffement de la Terre (+ 4 °C). Grâce à l’efficacité<br />

du phénomène d'altération continentale, il a fallu seulement 1,5 millions d'années pour<br />

résorber l'excès de CO 2 émis dans l'atmosphère, avec pour conséquence une baisse de température<br />

de 4,55 °C, soit un refroidissement global de 0,55 °C.<br />

Cette modélisation a permis de détecter des variations des cycles géochimiques du carbone<br />

et du strontium au sein de l'océan. Le modèle prédit un arrêt, lié à une forte acidification de l’eau<br />

de mer par le CO 2 , de la sédimentation des carbonates marins pendant une période de 20 000 ans<br />

après la mise en place des trapps. Cet arrêt prévu par le modèle est également observé dans les<br />

carbonates marins à la limite Crétacé/Tertiaire. Le modèle prévoit également un pic du rapport<br />

isotopique de strontium ( 87 Sr/ 86 Sr) d'une durée de 4 millions d'années dans l’eau de mer à la<br />

suite de la mise en place des trapps (voir figure ci-dessus). Pendant les périodes où l’altération<br />

continentale est forte, le flux des rivières, avec un rapport isotopique haut, est prédominant<br />

comparé au flux hydrothermal dont le rapport isotopique est faible. D’où un pic du rapport<br />

isotopique de l’eau de mer, résultant d’un mélange des deux flux.<br />

Le modèle indique que de grands épanchements volcaniques conduisent à des changements<br />

globaux du climat et de la chimie des océans. Bien que cette étude ne permette pas d’expliquer<br />

la disparition des dinosaures, elle permet d’affirmer que, quelle que soit la cause de cette extinction,<br />

la mise en place des trapps du Deccan a largement amplifié le phénomène.<br />

Référence :<br />

• C. Dessert, B. Dupré, L. M. François, J. Schott, J. Gaillardet, G. Chakrapani and S. Bajpai.<br />

(2001) Erosion of Deccan Traps determined by river [Image] geochemistry. Impact on global climate<br />

and 87 Sr/ 86 Sr ratio of seawater. Earth Planet. Sci. Lett. 188, pp. 459-474.<br />

3 ppmv : unité scientifique<br />

internationale qui caractérise<br />

la concentration volumique<br />

d’un gaz.<br />

1 ppmv = 10 -3 cm 3 /dm 3 (teneur<br />

du gaz considéré dispersé dans<br />

un volume d’un litre de gaz).<br />

Contacts chercheurs :<br />

Laboratoire de mécanismes<br />

de transfert en géologie<br />

(LMTG),<br />

<strong>CNRS</strong>-Université Toulouse 3,<br />

• Céline <strong>DES</strong>SERT,<br />

tél. : 05 61 55 84 05<br />

mél : dessert@lmtg.ups-tlse.fr<br />

• Bernard <strong>DU</strong>PRÉ,<br />

tél. : 05 61 55 87 84<br />

mél : dupre@lmtg.ups-tlse.fr<br />

Contact Observatoire<br />

Midi-Pyrénées :<br />

Dominique D’Arabian,<br />

tél. : 05 61 33 28 67<br />

Contact département Sciences<br />

de l’Univers du <strong>CNRS</strong>/INSU :<br />

• Océan/Atmosphère :<br />

Hélène DOCO,<br />

tél. : 01 44 96 42 74<br />

mél : doco@cnrs-bellevue.fr<br />

• Sciences de la Terre :<br />

Christiane GRAPPIN,<br />

tél. : 01 44 96 43 37<br />

mél : christiane.grappin@<br />

cnrs-dir.fr<br />

30

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!