LES TRAPPS DU DECCAN, DES TRAPPES À CO2 - CNRS
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<strong>LES</strong> <strong>TRAPPS</strong> <strong>DU</strong> <strong>DECCAN</strong>, <strong>DES</strong> <strong>TRAPPES</strong> <strong>À</strong> CO 2<br />
La mystérieuse extinction des dinosaures, il y a 65 millions d'années, est attribuée à<br />
l'impact d'une météorite ou à une énorme éruption volcanique en Inde. Dans un cas<br />
comme dans l’autre, les poussières émises et la variation chimique de l'atmosphère et<br />
des océans auraient créé une catastrophe écologique, responsable de l’éradication<br />
d’une grande partie des êtres vivant à la surface de notre planète. Des chercheurs 1<br />
ont mis au point un modèle qui, sans rediscuter la cause de cette extinction, montre<br />
que la mise en place de grands épanchements volcaniques (les « trapps ») en Inde<br />
il y a 65 millions d’années 2 a conduit à des changements globaux du climat et de la<br />
chimie des océans.<br />
1 Laboratoire de mécanismes<br />
de transfert en géologie (LMTG,<br />
<strong>CNRS</strong>-Université Toulouse 3)<br />
en collaboration avec l’Institut<br />
de physique du globe de Paris<br />
(IPGP) et le Laboratoire de<br />
physique atmosphérique<br />
et planétaire de l’Université<br />
de Liège (LPAP).<br />
2 Cette période correspond<br />
géologiquement à la limite<br />
Crétacé/Tertiaire.<br />
Les conditions climatiques dépendent en partie de la quantité dans<br />
l’atmosphère de CO 2 , gaz dont l’effet de serre est reconnu. De nombreux<br />
auteurs ont essayé de modéliser le cycle du CO 2 à travers les temps<br />
géologiques. Il ressort de ces études que, sur des durées de l'ordre du<br />
million d'années, le bilan du CO 2 est régi par une unique source, le volcanisme,<br />
et un seul « puits », l'altération continentale des silicates (voir<br />
encadré). Sur le long terme, un équilibre s'établit donc entre le dégazage<br />
des volcans et la consommation de CO 2 par l'altération.<br />
La Narmada est l’un des trois principaux<br />
fleuves qui drainent les basaltes<br />
du Deccan.<br />
Les basaltes sont, parmi les roches silicatées, celles qui s’altèrent le<br />
plus facilement. De ce fait, ils ont joué un rôle fondamental pour le<br />
contrôle de la teneur en gaz carbonique<br />
de l’atmosphère lors du<br />
dégazage intense qui a accompagné<br />
la mise en place, il y a 65 mill<br />
i o n s d’années, des trapps d u<br />
Deccan en Inde. Le volume initial<br />
de ces trapps pourrait avoir<br />
atteint 3 x 10 6 km 3 . Or, les trapps<br />
actuels occupent un volume d'environ<br />
10 6 km 3 . Les deux tiers des<br />
basaltes initiaux ont donc disparu<br />
en 65 millions d'années.<br />
Les trapps du Deccan se sont mis en place au nord-ouest<br />
de la partie péninsulaire de l’Inde, sur une partie du vieux<br />
socle précambrien indien constitué de granites et de gneiss.<br />
Le Deccan est l'une des provinces basaltiques les plus étendues<br />
à la surface de la planète.<br />
<strong>LES</strong> SILICATES, SEU<strong>LES</strong> POMPES <strong>À</strong> CO 2<br />
Au cours de l’altération des continents, le CO 2 gazeux passe en solution et donne de l’acide carbonique<br />
( H 2 C O 3 ) qui contribue à la dissolution des minéraux et à la formation d’ions bicarbonates (HCO 3 - ) .<br />
Ces ions se retrouvent exportés par les rivières vers les océans où, à saturation, ils participent à la<br />
précipitation de carbonates (CaCO 3 ). Or, durant la réaction de précipitation, seule une mole* de bicarbonate<br />
sur les deux consommées précipite réellement, la seconde étant relarguée dans l’atmosphère sous<br />
forme de CO 2 . Lors de l’altération des minéraux silicatés, la totalité des ions bicarbonates provient de<br />
l’atmosphère, ce qui représente au final (après précipitation) une consommation d’une mole de bicarbonate<br />
ou de CO 2 atmosphérique. En revanche, lors de l’altération des minéraux carbonatés, seule la moitié<br />
des ions bicarbonates provient du CO 2 atmosphérique, l’autre moitié provenant directement de la<br />
roche. Dans ce cas, le bilan final de consommation est nul puisque les moles de CO 2 consommées lors<br />
de l’altération repartent dans l’atmosphère au moment de la précipitation des carbonates au fond des<br />
océans. Par conséquent, sur l’échelle du million d’années, seule l’altération des silicates consomme réellement<br />
du CO 2 atmosphérique.<br />
* Mole : unité permettant de mesurer la quantité de matière et correspondant à 6,02 x 10 2 3 entités élémentaires<br />
(atomes, molécules, ions, etc.).<br />
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Pour expliquer ce phénomène, les chercheurs du LMTG et de l’IPGP ont déterminé une loi<br />
simple qui permet d'estimer la quantité de CO 2 consommée lors de l'altération des basaltes. Cette<br />
loi a été établie à partir de données obtenues sur les rivières drainant les trapps du Deccan et<br />
d'autres régions basaltiques. Deux paramètres sont fondamentaux : la quantité d'eau qui circule<br />
dans les sols et la température atmosphérique. Ces deux facteurs jouent dans le même sens car<br />
ils favorisent tous les deux la mise en solution des sols et des roches : plus ces paramètres sont<br />
élevés, plus l'altération est importante.<br />
Les chercheurs ont également rassemblé des données<br />
bibliographiques. Ainsi la quantité de CO 2 d é g a z é e<br />
dans l'atmosphère durant la mise en place des trapps<br />
est estimée à 1,6 x 10 18 moles, soit environ la moitié de<br />
ce qui est contenu sous forme dissoute dans l'océan<br />
à l’heure actuelle. Quant à la durée de cet événement,<br />
elle est évaluée à moins d’un million d’années par de<br />
nombreux auteurs. <strong>À</strong> partir de toutes ces estimations,<br />
les chercheurs du LTMG ont modélisé les évolutions<br />
climatiques qui se sont produites à l’époque de la mise<br />
en place des trapps du Deccan.<br />
La modélisation montre que l'augmentation de CO 2<br />
dans l'atmosphère a été très importante (1050 ppmv, soit<br />
3 fois la teneur actuelle 3 ) et s’est accompagnée d’un<br />
rapide réchauffement de la Terre (+ 4 °C). Grâce à l’efficacité<br />
du phénomène d'altération continentale, il a fallu seulement 1,5 millions d'années pour<br />
résorber l'excès de CO 2 émis dans l'atmosphère, avec pour conséquence une baisse de température<br />
de 4,55 °C, soit un refroidissement global de 0,55 °C.<br />
Cette modélisation a permis de détecter des variations des cycles géochimiques du carbone<br />
et du strontium au sein de l'océan. Le modèle prédit un arrêt, lié à une forte acidification de l’eau<br />
de mer par le CO 2 , de la sédimentation des carbonates marins pendant une période de 20 000 ans<br />
après la mise en place des trapps. Cet arrêt prévu par le modèle est également observé dans les<br />
carbonates marins à la limite Crétacé/Tertiaire. Le modèle prévoit également un pic du rapport<br />
isotopique de strontium ( 87 Sr/ 86 Sr) d'une durée de 4 millions d'années dans l’eau de mer à la<br />
suite de la mise en place des trapps (voir figure ci-dessus). Pendant les périodes où l’altération<br />
continentale est forte, le flux des rivières, avec un rapport isotopique haut, est prédominant<br />
comparé au flux hydrothermal dont le rapport isotopique est faible. D’où un pic du rapport<br />
isotopique de l’eau de mer, résultant d’un mélange des deux flux.<br />
Le modèle indique que de grands épanchements volcaniques conduisent à des changements<br />
globaux du climat et de la chimie des océans. Bien que cette étude ne permette pas d’expliquer<br />
la disparition des dinosaures, elle permet d’affirmer que, quelle que soit la cause de cette extinction,<br />
la mise en place des trapps du Deccan a largement amplifié le phénomène.<br />
Référence :<br />
• C. Dessert, B. Dupré, L. M. François, J. Schott, J. Gaillardet, G. Chakrapani and S. Bajpai.<br />
(2001) Erosion of Deccan Traps determined by river [Image] geochemistry. Impact on global climate<br />
and 87 Sr/ 86 Sr ratio of seawater. Earth Planet. Sci. Lett. 188, pp. 459-474.<br />
3 ppmv : unité scientifique<br />
internationale qui caractérise<br />
la concentration volumique<br />
d’un gaz.<br />
1 ppmv = 10 -3 cm 3 /dm 3 (teneur<br />
du gaz considéré dispersé dans<br />
un volume d’un litre de gaz).<br />
Contacts chercheurs :<br />
Laboratoire de mécanismes<br />
de transfert en géologie<br />
(LMTG),<br />
<strong>CNRS</strong>-Université Toulouse 3,<br />
• Céline <strong>DES</strong>SERT,<br />
tél. : 05 61 55 84 05<br />
mél : dessert@lmtg.ups-tlse.fr<br />
• Bernard <strong>DU</strong>PRÉ,<br />
tél. : 05 61 55 87 84<br />
mél : dupre@lmtg.ups-tlse.fr<br />
Contact Observatoire<br />
Midi-Pyrénées :<br />
Dominique D’Arabian,<br />
tél. : 05 61 33 28 67<br />
Contact département Sciences<br />
de l’Univers du <strong>CNRS</strong>/INSU :<br />
• Océan/Atmosphère :<br />
Hélène DOCO,<br />
tél. : 01 44 96 42 74<br />
mél : doco@cnrs-bellevue.fr<br />
• Sciences de la Terre :<br />
Christiane GRAPPIN,<br />
tél. : 01 44 96 43 37<br />
mél : christiane.grappin@<br />
cnrs-dir.fr<br />
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