LE LANGAGE EST-IL UN INSTINCT ? UNE CRITIQUE DU ... - Texto
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<strong>Texto</strong>! octobre 2008, vol. XIII, n°4<br />
B. Chomsky : Arguments en faveur de l'innéité<br />
B.1 Arguments non linguistiques<br />
Contrairement à Pinker, Chomsky s'intéresse peu aux arguments non linguistiques en faveur du<br />
nativisme linguistique. Comme je l'ai mentionné, les références les plus détaillées renvoient aux<br />
traits innés du système visuel. Il cite en quelques endroits des travaux de neuropsychologie qu'il<br />
interprète hâtivement comme soutenant la thèse de la modularité du langage (par ex. Yamada<br />
dans Chomsky 2000, ou le cas Genie, dont je reparlerai, dans Chomsky 1985: 58 ; sur Yamada,<br />
voir Fortis 2002). Il invoque à l'occasion (comme Pinker) l'argument de la localisation cérébrale des<br />
fonctions linguistiques (par ex. 1981: 212). A l'inverse, il attaque des études qui semblent plaider<br />
pour la tabula rasa (Malson 1964, dans 1981: 158-9), sans s'attarder ni discuter les “preuves”<br />
convoquées. Cette indifférence a même (parfois) été érigée en question de principe: en plusieurs<br />
endroits, il insiste sur le fait que la linguistique est une science empirique qui n'a pas à demander à<br />
d'autres disciplines d'établir la réalité psychologique de ses concepts et principes descriptifs. Il y a<br />
donc une certaine ironie à le voir faire l'éloge de Lenneberg et de ses recherches sur la biologie du<br />
langage, tout en les ignorant dans la discussion et en justifiant qu'on puisse les ignorer, pour<br />
considérer essentiellement des arguments purement linguistiques sur la contrainte d'extraction des<br />
îlots en qu- (1985 : ch. 5).<br />
B.2 Arguments linguistiques<br />
Comme je viens de le dire, les arguments chomskyens en faveur de l'innéité sont généralement a<br />
priori. Ils ne sont pas fondés sur des données développementales, et concernent avant tout<br />
l'acquisition. La question posée a un parfum kantien: comment l'acquisition d'une langue est-elle<br />
possible? Cette question est intimement liée au problème de savoir ce qu'est une langue humaine<br />
possible : les conditions qui rendent possibles l'acquisition d'une langue sont aussi celles qui<br />
déterminent la structure commune aux langues humaines possibles.<br />
J'exposerai maintenant les arguments de Chomsky sur l'acquisition, et m'efforcerai de montrer<br />
qu'ils ramènent bien à la question de la structure des langues humaines possibles. Ainsi, les<br />
arguments sur l'acquisition échouent à établir l'innéité de la Grammaire Universelle, et masquent la<br />
seule (et capitale) question réellement traitée par Chomsky : la structure des langues humaines<br />
possibles.<br />
B.2.1 Arguments linguistiques en faveur de l'innéité 1: impuissance des procédures<br />
empiristes<br />
L'un des arguments favoris de Chomsky consiste à montrer que l’enfant sélectionne certaines<br />
hypothèses sans que les données linguistiques ne l’y conduisent. C’est ce qu’on pourrait appeler<br />
l’argument de la sélectivité (voir aussi la section D.1). Ce qui invalide alors l’empirisme, c’est qu’il<br />
n’impose aucune contrainte aux hypothèses possibles projetées par l’enfant sur les données.<br />
Chomsky (par exemple, 1981 : 42s et 209s) affirme que les enfants n’ont pas besoin d’entendre Is<br />
the man who is tall __ in the room ? , ni même d’autres énoncés de même structure, pour<br />
construire correctement cette question (plutôt que, par exemple, *Is the man who __ tall is in the<br />
room?). Autrement dit, les enfants font spontanément l’hypothèse que pour former une<br />
interrogative, il faut prendre en compte non le premier auxiliaire, mais l’auxiliaire de la proposition<br />
principale. La première solution (rejetée d’emblée par l’enfant) ignorerait la structure en<br />
constituants ; elle serait donc structure-independent (appelons cette hypothèse H IND<br />
). La bonne<br />
hypothèse H DEP<br />
est structure-dependent, et l’enfant est déterminé, de façon innée, à l’adopter.<br />
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