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Sports et pratiques corporelles chez les déportes, prisonniers de ...

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A Mauthausen, <strong>les</strong> gardiens <strong>et</strong> leurs sbires utilisent <strong>les</strong> particularités du milieu<br />

géographique pour imposer <strong>de</strong>s exercices inhumains. La carrière est, par définition, le lieu <strong>de</strong><br />

toutes <strong>les</strong> tortures, <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> crimes. L’une <strong>de</strong>s tâches quotidiennes <strong>de</strong>s déportés consistant à<br />

leur faire gravir l’escalier <strong>de</strong> cent quatre-vingt-six marches (qui perm<strong>et</strong> d’accé<strong>de</strong>r au somm<strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> ladite carrière) chargés d’une pierre <strong>de</strong> plusieurs dizaines <strong>de</strong> kilos, il suffit que <strong>les</strong> SS<br />

ajoutent à c<strong>et</strong>te épreuve redoutable quelques variantes pour que l’ascension se transforme en<br />

exécution 1849 . En multipliant le nombre d’aller <strong>et</strong> <strong>de</strong> r<strong>et</strong>our, en forçant <strong>les</strong> détenus à porter une<br />

pierre trop lour<strong>de</strong>, ou <strong>de</strong>ux pierres, ou encore <strong>de</strong>s pierres aux formes rendant impossible leur<br />

transport, en imposant un rythme effréné, ils conduisent inexorablement leurs victimes à la<br />

mort. René Gil<strong>les</strong> 1850 se souvient <strong>de</strong>s souffrances qu’il endure lors du terrible « week-end <strong>de</strong><br />

quasimodo 1851 » durant lequel <strong>les</strong> SS font gravir sept fois à son groupe la carrière, trois le<br />

samedi, quatre le dimanche :<br />

tel-00872295, version 1 - 14 Oct 2013<br />

Vision infernale <strong>et</strong> monstrueusement irréelle que celle <strong>de</strong> ces hommes aux crânes nus,<br />

amaigris, pâ<strong>les</strong>, vêtus d’innommab<strong>les</strong> loques qui gravissent en geignant <strong>les</strong> cent quatrevingt-six<br />

marches <strong>de</strong> ce calvaire collectif, sans s’arrêter, portant leur pierre sur l’épaule,<br />

sous <strong>les</strong> bras, sur le ventre, tous en rangs serrés, pendant que Kapos <strong>et</strong> SS gueulent,<br />

aboient <strong>et</strong> frappent 1852 .<br />

Stratégiquement, il se place en tête <strong>de</strong> colonne pour tenter <strong>de</strong> se protéger.<br />

Je suis dans <strong>les</strong> premiers rangs, une vieille habitu<strong>de</strong>. Il est préférable <strong>de</strong> régler la ca<strong>de</strong>nce<br />

que <strong>de</strong> la suivre […]. Pauvres <strong>de</strong>rniers, arrivés <strong>les</strong> <strong>de</strong>rniers en bas, ils ont choisi une pierre<br />

rapi<strong>de</strong>ment, sont repartis aussitôt, <strong>et</strong> la colonne se rem<strong>et</strong> immédiatement en marche sans<br />

qu’ils puissent souffler une secon<strong>de</strong>, dès qu’ils ont atteint le haut <strong>de</strong> l’escalier 1853 .<br />

Qualifié <strong>de</strong> « martyr » par Pierre Wey<strong>de</strong>rt, la carrière use <strong>les</strong> corps méthodiquement jusqu’à<br />

<strong>les</strong> broyer. Dès qu’un détenu ne peut plus supporter sa charge, il est poussé dans le vi<strong>de</strong> ou<br />

achevé d’une rafale <strong>de</strong> mitraill<strong>et</strong>te par <strong>les</strong> SS <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>.<br />

Ce sont <strong>les</strong> cinquante <strong>de</strong>rnières marches <strong>de</strong> l’escalier qui forment la partie la plus<br />

éprouvante <strong>de</strong> notre calvaire ; on y titube sous la charge <strong>et</strong> <strong>les</strong> jambes <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong><br />

1849 René Gille insiste dans son témoignage sur la variété <strong>de</strong>s situations qui existent lors <strong>de</strong> l’ascension <strong>de</strong>s cent<br />

quatre-vingt-six marches : « Rien <strong>de</strong> comparable entre <strong>les</strong> semaines « d’offensive » réservées à une nationalité <strong>et</strong><br />

<strong>les</strong> simp<strong>les</strong> séances <strong>de</strong> dressage <strong>et</strong> <strong>de</strong> mise en condition pour casser <strong>les</strong> résistances <strong>de</strong>s nouveaux arrivants, entre<br />

le travail réclamé aux membres du Kommando fixe (mineurs, débiteurs, tailleurs <strong>de</strong> pierre) <strong>et</strong> celui fourni par<br />

<strong>les</strong> manœuvres acci<strong>de</strong>ntels ou <strong>les</strong> « punis <strong>de</strong> carrière ». Manuscrit <strong>de</strong> René Gille r<strong>et</strong>ranscrit par Christian<br />

Bernardac, Les 186 marches, op. cit., p. 135.<br />

1850 René Gille est déporté le 6 avril 1944 à Mauthausen. (Livre-Mémorial, fiche I. 199).<br />

1851 Pour reprendre ses propres mots. Il s’agit dans le calendrier chrétien du dimanche suivant celui <strong>de</strong> Pâques,<br />

soit en 1944 le dimanche 16 avril.<br />

1852 René Gille, manuscrit inédit r<strong>et</strong>ranscrit par Christian Bernardac, Les 186 marches, op.cit., p. 136.<br />

1853 Ibid., p. 135-136.<br />

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