161 Abraham Gross GERONA: A SEPHARDIC CRADLE OF ...

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Danièle Iancu-Agou Il est permis de penser que le médecin Bonet Astrug de Lattes, bien observé grâce aux notaires aixois de 1460 à 1490, a emporté avec lui ses livres en Italie, à Pise où Michele Luzzati l’a retrouvé en 1491, puis à Rome où il va devenir le médecin et astrologue du Pape. En 1469, il avait eu en présent nuptial de son beau-père médecin de Draguignan une «Biblia hebraica» 30 . Avec les exils et les déplacements des Juifs vers l’Italie, vers la Turquie, terres d’asile au XVI ème siècles, les manuscrits font partie des bagages: autrement dit, la moitié des parchemins hébreux du Moyen Age se sont trouvés à un moment donné en Italie, puis en Turquie, en Comtat sans doute aussi. Il faut par ailleurs prendre en considération la réalité des partages par les héritiers, cause principale de dispersion 31 . 8.2. Les proprietaires Nous savons l’étendue du phénomène de conversions qui a accompagné la Dispute de Tortose, et l’a suivie. Parmi ce grand nombre de convertis, les rabbins mêmes appelés à argumenter lors du Colloque de Tortose: - Bonastruch Maestre, semble avoir abjuré sa foi. Son fils du même nom se fit baptiser en 1423 et prit le nom de Guillermo Bernardo. - Nassim Ferrer, lui-même, si résolu à ne point céder et argumentant jusqu’au bout, semble selon Baer, s’être converti (document du 6 juin 1431). - le frère Jucef Falco de Belshom Falco (1377) est converti sous le nom de Pedro de Bagnolas 32 . A Perpignan, la propension à la conversion chez les médecins a été soulignée par R. Emery: de 1414 à 1416, il a enregistré onze conversions, avec nouvelles identités, dont un Ysach Cabrit devenu Louis de Rippsaltis. En revanche, le seul médecin à demeurer juif dans la ville de Perpignan en 1416 est Samiel Alphaquim, ou Alfaquim, un patronyme rencontré à Gérone 33 . Nombreux aussi sont les Juifs catalans à avoir trouvé refuge dans le Comté de Provence, et dès 1391 d’ailleurs. A Arles, en 1394, un patron de navire arlésien a ramené de Catalogne sur les bords du Rhône des réfugiés; à Arles toujours, en 1414, on relève la présence de Juifs catalans convertis 34 . A Tarascon, j’ai suivi à la fin du XVème siècle un lignage des Falco: Mosse (homonyme du Mosse Falco géronais) et Bonafos Falco, notables de la communitas judeorum, frères, omniprésents dans les documents, représentant leur groupe pour collecter la tallia, pour arbitrer les conflits, etc. Après l’expulsion de 1501, Mosse est devenu Julien de la Tour, et Bonafos, Etienne de Maillanne 35 . Parce qu’en fait les Juifs du Comté de Provence n’ont pas échappé eux aussi au mouvement de conversion. Cela s’est certes produit moins violemment, plus lentement, et d’ailleurs assez tôt, lors de moments de crises comme toujours: ainsi le fils d’Astruc du Sestier, Mosse, avant même l’inventaire des livres de son père, a abandonné le judaïsme, à la suite de l’émeute sanglante et inhabituelle survenue dans le quartier juif aixois (1430) et a pris le nouveau nom de Guillaume Brici 36 . Son frère Josse, médecin, ce- 30 D. IANCU-AGOU, Juifs et Néophytes en Provence. L’exemple d’Aix à travers le destin de Régine Abram de Draguignan (1469-1525), préface de G. DUBY, Peeters, Paris - Louvain, sous presse. 31 SIRAT, Du scribe au livre cit., pp. 200, 211 et suivantes. 32 I. LOEB, Actes de vente hébreux originaires d’Espagne: «Revue des Etudes Juives» 10 (1885), pp. 115- 116 et p. 118 n. 5. Article réédité dans ROMANO, Per a una historia cit. 33 R.W. EMERY, Jewish Physicians in Medieval Perpignan, dans Michaël XII cit., p. 119; à Gérone également ont fleuri les patronymes de Caravida, Avinai, Desmestre, Falco, Deuslocrega, etc. Cf. S. PLANAS I MARCÉ, Alguns documents sobre Jueus de Girona: «Annals de l’Institut d’Estudis Gironins» 34 (1994), pp. 610-614. 34 D. IANCU, Affinités historiques et interférences culturelles chez les communautés juives de l’espace occitano-catalan, dans Mossé ben Nahman i el seu temps. Simposi commemoratiu del vuitè centenari del seu naixement 1194-1994, Ajuntament de Girona, Girona 1995, pp. 115-140. 35 D. IANCU-AGOU, Juifs et Néophytes en Provence cit. 36 N. COULET, Une vague d’émeutes antijuives en Provence au XVe siècle. Manosque-Aix 1424-1430, dans Michaël XII cit., p. 64. 178

Les livres inventories de Gerone lui-là même qui a authentifié en hébreu l’inventaire, est mort en tant que juif avant le bannissement de 1501. Le troisième fils, mineur au moment de l’inventaire, Léon, est retrouvé en Avignon en 1503, néophyte désormais, sous le nom de Léonard Gros. On peut multiplier les exemples. Maître Salomon de la Garde, qui se faisait copier un manuscrit en 1463, est au XVIème siècle le nouveau chrétien Elzéar Louis, même si sa fille est demeurée juive dans le Comtat. Comme à Majorque, les convertis de Provence ont des livres hébraïques: tel Jean Aygosi, ce néophyte aixois naguère appelé Crescas Vitalis Avigdor avant sa conversion repérée vers 1460. Il était le neveu du médecin juif d’Arles, maître Bendich Borrian, qui lui avait légué de nombreux livres hébreux vers 1440. Quatre testaments permettent de le suivre dans son comportement de nouveau-chrétien. Dans le dernier, il promet de restituer les livres hébraïques que sa fille demeurée juive Mirete Orgier lui réclame; dix-sept sont explicités: deux Qimhi, trois Gersonide, le Saint- Amand et le Gérard de Solo en médecine, deux bar Hiyya, un ibn Ezra, et le Traité sur la Sphère de Sacrobosco traduit par Salomon Avigdor de Montpellier. Le fait qu’il ait conservé ses manuscrits hébreux de 1460 à 1487 démontre l’épaisseur des liens avec la culture ancestrale, et le maintien de son identité culturelle. Il y a aussi l’exemple de Jacob Salves de Marseille qui achète en 1492 vingt rituels hébraïques à un Juif de Nice. Sa postérité est toute néophyte: les Beau qui vont s’allier à d’autres convertis d’Aix, conformément à leur comportement endogamique et quasi-marranique. Comment enfin ne pas citer le cas des Nathan d’Arles? Lignage célèbre de lettrés dont des transactions autour des manuscrits subsistent chez les notaires, et que Renan - Neubauer ou H. Gross citent abondamment 37 . On sait qu’Isaac Nathan, auteur de la première Concordance hébraïque, a même écrit contre le Sefer ha-Piqurim de Jérôme de Sainte-Foi justement, l’instigateur de la Dispute de Tortose. Tous ses petits-fils embrasseront le christianisme plus ou moins tôt, certains après le sac meurtrier du quartier juif d’Arles en juin 1484 (devenus les Valoy et Daugières de Pertuis, les Cipières de Saint- Rémy), les autres au moment du bannissement (les Arnaud de Pertuis) 38 . Force donc est de reconnaître que les élites juives provençales - médicales pour la plupart - ont opté pour la conversion et en ont amorcé le mouvement. Leurs bibliothèques contenaient un grand nombre d’ouvrages philosophiques et scientifiques. Leur averroïsme fut-il responsable de la dilution de la moitié du judaïsme provençal? Hormis ce phénomène de conversion propre en définitive à toutes les élites juives de l’Europe méditerranéenne, à une échelle plus ou moins large, d’autres similitudes sont observées sur cette aire occitano-catalane: - Nous disposons d’une même documentation notariale à Perpignan, Aix-Marseille-Arles, ou Santa-Coloma de Queralt. Par exemple, les actes concernant Mosse Cabrit, drapier et philosophe, sont parfaitement identiques à ceux des notables provençaux, avec leurs livres, leurs contrats de mariage, leurs legs pieux testamentaires. - Nous avons les mêmes graphies, une terminologie identique avec insertion similaire de vocables hébreux dans les registres latins (ou catalans) sous la dictée des clients juifs, transcrits parfois avec caractères latins, parfois inclus en hébreu même. - Les parentés onomastiques témoignent des flux et reflux opérés de part et d’autre des Pyrénées: des Carcassonne sont repérés à Santa Coloma, des Falco à Tarascon; «Tolrana, épouse d’ Abram Mosse» de Gérone, peuvent être parfaitement provençaux. - La différence majeure est que les rabbins sont rigoureusement absents dans la documentation latine provençale. En revanche, médecins, 37 Sur les Nathan cf. en particulier D. IANCU-AGOU, Une vente de livres hébreux cit., p. 5 n. 2, et L. STOUFF, Isaac Nathan et les siens. Une famille juive d’Arles des XIVe et XVe siècles, dans La famille juive au Moyen Age. Provence-Languedoc: «Provence Historique» 150 (1987), pp. 499-512. Sur les auteurs qui ont écrit contre le Sefer ha-Piqurim dont Isaac Nathan ben Kalonymos Bongodas d’Arles, cf. POSNANSKY, Le Colloque de Tortose cit., p. 164. 38 IANCU-AGOU, Juifs et Néophytes en Provence cit. 179

Les livres inventories de Gerone<br />

lui-là même qui a authentifié en hébreu l’inventaire,<br />

est mort en tant que juif avant le bannissement<br />

de 1501. Le troisième fils, mineur au moment<br />

de l’inventaire, Léon, est retrouvé en Avignon<br />

en 1503, néophyte désormais, sous le nom<br />

de Léonard Gros.<br />

On peut multiplier les exemples. Maître<br />

Salomon de la Garde, qui se faisait copier un<br />

manuscrit en 1463, est au XVIème siècle le nouveau<br />

chrétien Elzéar Louis, même si sa fille est<br />

demeurée juive dans le Comtat.<br />

Comme à Majorque, les convertis de Provence<br />

ont des livres hébraïques: tel Jean Aygosi,<br />

ce néophyte aixois naguère appelé Crescas Vitalis<br />

Avigdor avant sa conversion repérée vers 1460.<br />

Il était le neveu du médecin juif d’Arles, maître<br />

Bendich Borrian, qui lui avait légué de nombreux<br />

livres hébreux vers 1440. Quatre testaments permettent<br />

de le suivre dans son comportement de<br />

nouveau-chrétien. Dans le dernier, il promet de<br />

restituer les livres hébraïques que sa fille demeurée<br />

juive Mirete Orgier lui réclame; dix-sept sont<br />

explicités: deux Qimhi, trois Gersonide, le Saint-<br />

Amand et le Gérard de Solo en médecine, deux<br />

bar Hiyya, un ibn Ezra, et le Traité sur la Sphère<br />

de Sacrobosco traduit par Salomon Avigdor de<br />

Montpellier. Le fait qu’il ait conservé ses manuscrits<br />

hébreux de 1460 à 1487 démontre l’épaisseur<br />

des liens avec la culture ancestrale, et le<br />

maintien de son identité culturelle.<br />

Il y a aussi l’exemple de Jacob Salves de<br />

Marseille qui achète en 1492 vingt rituels hébraïques<br />

à un Juif de Nice. Sa postérité est toute néophyte:<br />

les Beau qui vont s’allier à d’autres convertis<br />

d’Aix, conformément à leur comportement<br />

endogamique et quasi-marranique.<br />

Comment enfin ne pas citer le cas des Nathan<br />

d’Arles? Lignage célèbre de lettrés dont des<br />

transactions autour des manuscrits subsistent<br />

chez les notaires, et que Renan - Neubauer ou H.<br />

<strong>Gross</strong> citent abondamment 37 . On sait qu’Isaac<br />

Nathan, auteur de la première Concordance hébraïque,<br />

a même écrit contre le Sefer ha-Piqurim<br />

de Jérôme de Sainte-Foi justement, l’instigateur<br />

de la Dispute de Tortose. Tous ses petits-fils embrasseront<br />

le christianisme plus ou moins tôt,<br />

certains après le sac meurtrier du quartier juif<br />

d’Arles en juin 1484 (devenus les Valoy et<br />

Daugières de Pertuis, les Cipières de Saint-<br />

Rémy), les autres au moment du bannissement<br />

(les Arnaud de Pertuis) 38 .<br />

Force donc est de reconnaître que les élites<br />

juives provençales - médicales pour la plupart<br />

- ont opté pour la conversion et en ont<br />

amorcé le mouvement. Leurs bibliothèques contenaient<br />

un grand nombre d’ouvrages philosophiques<br />

et scientifiques.<br />

Leur averroïsme fut-il responsable de la<br />

dilution de la moitié du judaïsme provençal?<br />

Hormis ce phénomène de conversion propre<br />

en définitive à toutes les élites juives de l’Europe<br />

méditerranéenne, à une échelle plus ou<br />

moins large, d’autres similitudes sont observées<br />

sur cette aire occitano-catalane:<br />

- Nous disposons d’une même documentation<br />

notariale à Perpignan, Aix-Marseille-Arles,<br />

ou Santa-Coloma de Queralt. Par exemple, les<br />

actes concernant Mosse Cabrit, drapier et philosophe,<br />

sont parfaitement identiques à ceux des<br />

notables provençaux, avec leurs livres, leurs contrats<br />

de mariage, leurs legs pieux testamentaires.<br />

- Nous avons les mêmes graphies, une terminologie<br />

identique avec insertion similaire de<br />

vocables hébreux dans les registres latins (ou catalans)<br />

sous la dictée des clients juifs, transcrits<br />

parfois avec caractères latins, parfois inclus en<br />

hébreu même.<br />

- Les parentés onomastiques témoignent des<br />

flux et reflux opérés de part et d’autre des Pyrénées:<br />

des Carcassonne sont repérés à Santa<br />

Coloma, des Falco à Tarascon; «Tolrana, épouse<br />

d’ Abram Mosse» de Gérone, peuvent être parfaitement<br />

provençaux.<br />

- La différence majeure est que les rabbins<br />

sont rigoureusement absents dans la documentation<br />

latine provençale. En revanche, médecins,<br />

37 Sur les Nathan cf. en particulier D. IANCU-AGOU,<br />

Une vente de livres hébreux cit., p. 5 n. 2, et L. STOUFF,<br />

Isaac Nathan et les siens. Une famille juive d’Arles<br />

des XIVe et XVe siècles, dans La famille juive au Moyen<br />

Age. Provence-Languedoc: «Provence Historique»<br />

150 (1987), pp. 499-512. Sur les auteurs qui ont écrit<br />

contre le Sefer ha-Piqurim dont Isaac Nathan ben<br />

Kalonymos Bongodas d’Arles, cf. POSNANSKY, Le Colloque<br />

de Tortose cit., p. 164.<br />

38 IANCU-AGOU, Juifs et Néophytes en Provence cit.<br />

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