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Un amour qui renaît - Tant de secrets… - Harlequin

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Chapitre 1<br />

Onze ans plus tôt<br />

C’était un rituel estival vieux d’une trentaine d’années. <strong>Un</strong>e<br />

<strong>de</strong>mi-heure après le lever du soleil, Joe Wiggly venait chercher<br />

son patron. Il lui amenait sa monture, une bête un peu trop<br />

gran<strong>de</strong> ou un peu trop nerveuse pour un homme <strong>de</strong> son âge.<br />

Car Tankersly avait plus <strong>de</strong> soixante-dix ans. Mais il n’aurait<br />

jamais consenti à monter un cheval plus docile.<br />

Le contremaître <strong>de</strong> Suntop fumait sa première cigarette du<br />

matin en attendant que le vieil homme arrive. Quand ce <strong>de</strong>rnier<br />

ouvrait enfin la porte, il s’arrêtait sur la terrasse, toujours ébloui<br />

par la vallée <strong>qui</strong> s’étendait <strong>de</strong>vant lui. Et, pour sûr, cette vue<br />

était la plus jolie <strong>de</strong> tout le ranch Suntop, <strong>qui</strong> possédait le plus<br />

grand et le meilleur troupeau <strong>de</strong> tout le sud-ouest du Colorado.<br />

Tankersly balayait son petit royaume du regard. D’abord, les<br />

prairies <strong>qui</strong> <strong>de</strong>scendaient vers le sud, vers la vallée principale que<br />

masquait le flanc vert du mont Suntop. Ensuite, il se tournait<br />

pour inspecter ses remparts, à une <strong>qui</strong>nzaine <strong>de</strong> kilomètres<br />

à l’est : les Trueheart Hills, où les arbres poussaient entre les<br />

plaques <strong>de</strong> granit gris. Le soleil du matin frangeait les cimes<br />

déchiquetées d’une lumière cuivrée.<br />

Tankersly se tournait enfin vers le nord, vers la plus belle vue<br />

<strong>de</strong> toutes. Les canyons et les plateaux <strong>de</strong> l’estivage s’élevaient vers<br />

<strong>de</strong>s pics si hauts qu’ils semblaient toucher le ciel : les San Juan.<br />

Dans l’air pur <strong>de</strong> la montagne, les neiges éternelles accrochées<br />

à leurs sommets se teintaient <strong>de</strong> rose et d’or flamboyant.


10<br />

un <strong>amour</strong> <strong>qui</strong> <strong>renaît</strong><br />

Les jours où il avait une invitée, Ben Tankersly surgissait <strong>de</strong><br />

la maison pour inspecter son univers avec un sourire ravi, qu’il<br />

essayait en vain <strong>de</strong> contenir. Mais les jours où il n’y avait aucun<br />

invité, les jours où l’une <strong>de</strong> ses trois friponnes <strong>de</strong> filles avait<br />

fait <strong>de</strong>s siennes, Tankersly claquait la porte, crispait ses mains<br />

noueuses et, aveuglé par la colère, regardait son royaume sans le<br />

voir. Il <strong>de</strong>scendait alors les marches <strong>de</strong> pierre d’un pas lourd et<br />

se dirigeait vers Joe, l’air aimable comme une porte <strong>de</strong> prison.<br />

Et c’était le cas ce jour-là.<br />

Ben monta sur son hongre trop grand pour lui et lança son<br />

cheval vers la vallée. Joe talonna les flancs <strong>de</strong> sa jument et le<br />

rattrapa. <strong>Un</strong>e fois qu’ils furent au trot, il jeta un regard vers<br />

son patron. Ils se connaissaient <strong>de</strong>puis trente ans et, s’ils ne se<br />

considéraient pas comme <strong>de</strong>s amis, du moins ils se comprenaient.<br />

— Risa, gromella Tankersly en guise d’explication.<br />

C’était sa fille aînée, une fille aux cheveux <strong>de</strong> la couleur du<br />

soleil couchant, et aux yeux <strong>de</strong> faon pris au piège. Elle était<br />

adorable, sauf si on la prenait à rebrousse-poil, ce <strong>qui</strong> était<br />

souvent le cas <strong>de</strong> Ben. En ce cas, il ne restait plus qu’à laisser<br />

passer l’orage.<br />

Joe avait toujours beaucoup aimé Risa. Depuis qu’elle était<br />

partie étudier dans l’Est, l’année précé<strong>de</strong>nte, elle lui manquait<br />

vraiment. On était déjà à la mi-juillet, mais elle n’était arrivée<br />

à Suntop que la veille au soir et Joe ne l’avait pas encore vue.<br />

Cependant, il avait entendu la rumeur <strong>qui</strong> courait.<br />

— On dit qu’elle a un galant, dit‐il doucement.<br />

— Ouais. Son fiancé, elle dit. Il lui a offert une bague, un<br />

diamant gros comme une crotte <strong>de</strong> lapin.<br />

Ben n’avait jamais aimé voir les hommes tourner autour <strong>de</strong><br />

ses filles et, pourtant, il rêvait d’avoir un petit-fils. A soixantedouze<br />

ans, il semblait s’être enfin fait une raison : jamais il<br />

n’aurait <strong>de</strong> fils, mais il voulait élever un garçon, <strong>qui</strong> serait le<br />

prochain maître <strong>de</strong> Suntop.<br />

Et sans « galant », il n’y aurait pas <strong>de</strong> fils.<br />

Seulement, il aurait fallu être fou pour tenter <strong>de</strong> faire<br />

entendre raison à Ben Tankersly. Le maître <strong>de</strong> Suntop avait


un <strong>amour</strong> <strong>qui</strong> <strong>renaît</strong> 11<br />

beau être aussi costaud qu’un coyote boiteux, c’était son cœur<br />

qu’il écoutait, pas sa tête.<br />

— Quelqu’un qu’elle a trouvé dans l’Est ? <strong>de</strong>manda Joe.<br />

— Ouais. <strong>Un</strong> avocat <strong>de</strong> Yale. <strong>Un</strong> beau parleur <strong>qui</strong> ne sait<br />

rien faire <strong>de</strong> ses dix doigts.<br />

Tankersly stoppa son grand cheval dans un nuage <strong>de</strong> poussière,<br />

flatta son encolure et le mit au pas.<br />

— Elle n’a plus d’yeux que pour ce salopard, ajouta-t‐il.<br />

— <strong>Un</strong> avocat, dit Joe en se rapprochant <strong>de</strong> son patron.<br />

Les éleveurs aimaient les avocats à peu près autant que les<br />

serpents à sonnette, le datura et les bureaucrates.<br />

— De Denver, ac<strong>qui</strong>esça Tankersly. Je ne vois pas ce <strong>qui</strong><br />

peut pousser un homme à envoyer son fils étudier dans l’Est.<br />

Il s’interrompit, se souvenant probablement qu’il avait agi <strong>de</strong><br />

même avec sa fille. Joe se rappelait qu’elle avait voulu aller dans<br />

l’Ouest, pour étudier le cinéma à l’université <strong>de</strong> Californie. Mais<br />

Ben n’aimait ni les acteurs ni le cinéma, et vu comme la mère<br />

<strong>de</strong> Risa était morte, on pouvait le comprendre. Il l’avait donc<br />

envoyée dans l’Est, à Yale… et en échange, elle lui ramenait<br />

un avocat à la maison.<br />

— Eh bien, si c’est un gars <strong>de</strong> Denver, ce n’est pas si grave,<br />

remarqua Joe. Ils s’installeront sans doute dans l’Etat.<br />

En voiture, Denver n’était qu’à huit heures <strong>de</strong> Trueheart.<br />

Mieux valait gar<strong>de</strong>r Risa près <strong>de</strong> la maison.<br />

— Tu sais ce que fait son vieux ? Promoteur ! Il découpe<br />

<strong>de</strong>s bonnes terres d’élevage pour en faire <strong>de</strong>s fermettes <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

hectares. Il s’est déjà fait un paquet.<br />

Ils avaient atteint l’autre flanc du mont Suntop et s’arrêtèrent<br />

sur la voie privée <strong>qui</strong>, à cet endroit, surplombait la vallée. En<br />

contrebas, le ruisseau traversait les prairies luxuriantes avant <strong>de</strong><br />

disparaître entre les peupliers <strong>qui</strong> suivaient son cours sinueux.<br />

Derrière la maison du contremaître, <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s chevaux<br />

allaient et venaient entre les enclos, les granges et le baraquement.<br />

Deux voitures montaient <strong>de</strong>puis la grand-route : les<br />

faneurs arrivaient.<br />

— Avant, un homme se mesurait à ce qu’il avait construit,


12<br />

un <strong>amour</strong> <strong>qui</strong> <strong>renaît</strong><br />

remarqua Tankersly à mi-voix. Et s’il ne l’avait pas construit<br />

lui-même…<br />

Ben était le troisième <strong>de</strong> sa lignée à possé<strong>de</strong>r Suntop. Cette<br />

terre appartenait aux Tankersly <strong>de</strong>puis les années 1880.<br />

— S’il ne l’avait pas construit lui-même, poursuivit‐il, il était<br />

fier <strong>de</strong> prendre le relais. D’agrandir sa propriété et d’augmenter<br />

son cheptel ou la qualité <strong>de</strong> son troupeau. Mais aujourd’hui,<br />

on dirait que la valeur d’un homme se mesure à ce qu’il peut<br />

détruire.<br />

Il cracha dans l’herbe et conclut :<br />

— Des fermettes ! Risa nous a ramené un bon à rien, <strong>qui</strong><br />

nous poignar<strong>de</strong>ra dans le dos à la première occasion. Pas le<br />

genre <strong>de</strong> reproducteur que je veux chez moi.<br />

Joe soupira. L’été promettait d’être orageux. Les Tankersly<br />

étaient têtus comme <strong>de</strong>s mules et, quand leurs avis divergeaient…<br />

— Au fait, tu as trouvé un remplaçant à ce garçon ? <strong>de</strong>manda<br />

Tankersly, changeant brusquement <strong>de</strong> sujet.<br />

L’un <strong>de</strong> leurs faneurs s’était ouvert la jambe d’un coup <strong>de</strong><br />

faux. Aussi Joe s’était‐il rendu à Trueheart la veille au soir pour<br />

lui trouver un remplaçant.<br />

— Non, répondit‐il.<br />

La fenaison était un travail épuisant et dangereux. Joe s’était<br />

rendu dans les bars <strong>de</strong> la ville et au Routier <strong>de</strong> Mo, mais il était<br />

revenu bredouille. Il y avait bien eu ce jeune vagabond, au Star,<br />

mais il avait refusé le boulot, ce <strong>qui</strong> était probablement aussi<br />

bien. <strong>Un</strong> contremaître finit par flairer le danger, et préfère le<br />

tenir à l’écart.<br />

— Tu as essayé le Lone Star ? <strong>de</strong>manda Tankersly avec humeur.<br />

Planté sur le bord <strong>de</strong> la route, au sud <strong>de</strong> Trueheart, le Lone<br />

Star était cher aux cœurs assoiffés <strong>de</strong>s cow-boys du coin et <strong>de</strong>s<br />

routiers <strong>de</strong> passage. C’était le meilleur endroit où trouver une<br />

femme, une bière fraîche ou une bagarre. Ou un clochard assez<br />

rai<strong>de</strong> pour participer à la fenaison, du moins le temps <strong>de</strong> gagner<br />

assez d’argent pour se payer sa prochaine bouteille.<br />

— Ouais. Il y avait un type, un Texan…<br />

Joe l’avait étudié, à travers la salle enfumée ; il était assez


un <strong>amour</strong> <strong>qui</strong> <strong>renaît</strong> 13<br />

costaud pour manier les bottes <strong>de</strong> foin et assez âgé pour tenir<br />

sa place dans une é<strong>qui</strong>pe <strong>de</strong> faneurs expérimentés.<br />

Vu la façon dont il passait d’un groupe <strong>de</strong> cow-boys à l’autre<br />

et engageait la conversation avec eux, il <strong>de</strong>vait chercher du<br />

travail. Désinvolte mais sûr <strong>de</strong> lui, il semblait à l’aise parmi<br />

les étrangers. Après l’avoir observé pendant quelques instants,<br />

Joe avait décidé qu’il ferait l’affaire. Il s’était approché pour lui<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’il cherchait du boulot.<br />

— Ça se pourrait, avait admis le gamin, avec juste une trace<br />

d’accent texan. Où ça ?<br />

Il n’avait pas <strong>de</strong>mandé quel genre <strong>de</strong> boulot ; seulement où.<br />

Voilà <strong>qui</strong> était étrange.<br />

— <strong>Un</strong> ranch au nord <strong>de</strong> la ville, avait seulement dit Joe. Il<br />

nous manque un faneur. C’est juste un boulot d’été, mais il est<br />

assez bien payé. Et vous pouvez être nourri et logé.<br />

Le jeune homme avait souri ; il avait été sur le point <strong>de</strong> refuser.<br />

Mais il s’était ravisé et avait <strong>de</strong>mandé :<br />

— Sur quel ranch ?<br />

— Suntop.<br />

Pourquoi Joe ne le lui aurait‐il pas dit ? Pourtant, il avait eu<br />

une intuition étrange.<br />

— C’est le meilleur ranch <strong>de</strong> la région, avait‐il ajouté.<br />

— C’est ce qu’on m’a dit. Mais, non merci.<br />

Ses manières étaient meilleures, et son accent moins traînant,<br />

que ceux <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>s Texans. Peut-être qu’il avait du sang<br />

mexicain ? Le jeune homme était grand et bien bâti, avec un<br />

physique agréable. Il avait peut-être vingt-cinq ans. Son regard<br />

et son aplomb étaient ceux d’un homme d’expérience. Souriant<br />

<strong>de</strong>vant la perplexité <strong>de</strong> Joe, il avait pris congé d’un signe <strong>de</strong> la<br />

tête et s’était éloigné.<br />

Quand Joe était revenu <strong>de</strong>s toilettes, le gamin offrait une<br />

tournée générale à quelques-uns <strong>de</strong>s employés <strong>de</strong>s Kristopherson.<br />

Peut-être que c’était une aventure avec un gars, qu’il cherchait,<br />

et pas du travail. Mais à la réflexion, trop <strong>de</strong> virilité affleurait<br />

sous ses bonnes manières pour que ce soit le cas.<br />

« Alors, qu’est-ce qu’il peut bien chercher ? » s’était <strong>de</strong>mandé


14<br />

un <strong>amour</strong> <strong>qui</strong> <strong>renaît</strong><br />

Joe. En attendant, il n’avait pas trouvé d’employé. Aussi était‐il<br />

reparti pour tenter sa chance chez Mo.<br />

— J’ai trouvé personne, répéta-t‐il d’un air maussa<strong>de</strong>.<br />

Les <strong>de</strong>ux hommes pénétrèrent dans la cour du ranch et<br />

arrêtèrent leurs chevaux. Les employés leur jetèrent un rapi<strong>de</strong><br />

regard et les saluèrent <strong>de</strong> la tête. <strong>Un</strong> jeune cow-boy musculeux<br />

sortit <strong>de</strong> l’écurie, une selle sur l’épaule.<br />

— Alors, je crois bien que je vais prendre Jake, fit Joe en le<br />

suivant du regard. A moins que vous préfériez que j’embauche<br />

le nouvel <strong>amour</strong>eux <strong>de</strong> Risa ? Peut-être qu’il aimerait essayer<br />

<strong>de</strong> soulever <strong>de</strong>s bottes <strong>de</strong> foin.<br />

— A peu près autant qu’un cochon aimerait faire <strong>de</strong>s<br />

claquettes ! répliqua Tankersly.<br />

Il tourna la tête vers la maison et se raidit.<br />

— Et quand on parle du loup… les voilà. Je n’aurais jamais<br />

cru ce type capable <strong>de</strong> se lever avant midi.<br />

Mais la fille aînée <strong>de</strong> Tankersly n’avait probablement pas<br />

passé la nuit dans le lit <strong>de</strong> l’avocat, pensa Joe. Ce n’était pas<br />

par hasard que la chambre <strong>de</strong> Ben était située entre l’aile <strong>de</strong> la<br />

maison <strong>qui</strong> abritait sa famille et celle <strong>qui</strong> accueillait les invités.<br />

Il aurait fallu avoir un sacré cran, pour passer <strong>de</strong>vant la porte <strong>de</strong><br />

la chambre du patron pour rejoindre celle <strong>de</strong> l’une <strong>de</strong> ses filles.<br />

Risa et son homme voulaient sans doute trouver un endroit<br />

tran<strong>qui</strong>lle pour se faire <strong>de</strong>s m<strong>amour</strong>s.<br />

La petite décapotable rouge s’arrêta dans la cour. Sans un<br />

regard pour le conducteur, le contremaître, un large sourire<br />

aux lèvres, amena sa jument jusqu’à la passagère.<br />

Risa détacha sa ceinture et se leva <strong>de</strong> son siège.<br />

— Joe ! Oh, Joe, tu as une mine superbe !<br />

Le cow-boy retira son chapeau <strong>de</strong> paille et se pencha ; elle<br />

plaqua un baiser sur sa joue burinée.<br />

— Mon Dieu, comme tu m’as manqué ! s’exclama-t‐elle.<br />

Ses grands yeux d’or étaient brillants <strong>de</strong> larmes. Sentant son<br />

regard s’embuer, Joe rabattit son chapeau vers l’avant.<br />

— C’est toi, <strong>qui</strong> nous as manqué, dit‐il d’un ton bourru.


un <strong>amour</strong> <strong>qui</strong> <strong>renaît</strong> 15<br />

Elle était plus jolie que jamais, lui semblait‐il, mais un peu<br />

trop mince à son goût.<br />

— Tu n’es même pas venue pour Noël ! lui reprocha-t‐il.<br />

— Je commençais tout juste à ne plus avoir le mal du pays,<br />

protesta-t‐elle en riant. S’il était revenu, je n’aurais pas pu le<br />

supporter. Et puis, j’ai rencontré… Oh !<br />

Elle se tourna vers le conducteur et s’agenouilla sur son siège.<br />

— Joe, je te présente Eric Foster, mon…<br />

Son visage à l’ovale parfait s’empourpra ; elle releva la tête. Si<br />

Joe montrait une quelconque désapprobation, elle était prête à<br />

l’affronter. Ce ne serait sûrement pas la première fois.<br />

— Mon fiancé, reprit‐elle. Nous sommes fiancés.<br />

Elle leva la main gauche. La pierre n’était pas tout à fait aussi<br />

grosse que Ben l’avait dit, et <strong>de</strong>ux fois plus voyante. Mais c’était<br />

à son père <strong>de</strong> montrer son désaccord, pas à Joe.<br />

— Très jolie, répondit‐il.<br />

Il adressa un signe <strong>de</strong> tête poli à l’ami <strong>de</strong> Risa, un jeune<br />

homme blond au physique <strong>de</strong> ve<strong>de</strong>tte <strong>de</strong> cinéma, et ajouta :<br />

— Enchanté <strong>de</strong> faire votre connaissance.<br />

— De même, répondit le jeune homme blond avec froi<strong>de</strong>ur.<br />

Il lui aurait suffi <strong>de</strong> se pencher pour serrer la main <strong>de</strong> Joe,<br />

mais il ne bougea pas d’un pouce.<br />

— Risa, est-ce que tu pourrais t’asseoir ? ajouta-t‐il sur le<br />

même ton. Tout le mon<strong>de</strong> te regar<strong>de</strong>.<br />

— Je…<br />

Elle se laissa glisser dans son siège.<br />

— Désolée, ajouta-t‐elle en recouvrant son sourire.<br />

Elle se laissait comman<strong>de</strong>r par ce jeune prétentieux ? <strong>Un</strong> an<br />

plus tôt, leur Risa lui aurait pincé le nez avant <strong>de</strong> bondir hors <strong>de</strong><br />

cette belle voiture. C’était donc ça, qu’on apprenait aux filles,<br />

dans l’Est ? On leur enlevait leur caractère ? Joe échangea un<br />

regard avec Ben, <strong>qui</strong> s’était approché.<br />

— Tu es déjà repartie ? <strong>de</strong>manda-t‐il à Risa.<br />

Si elle n’avait pas assez <strong>de</strong> culot pour répondre à son fiancé,<br />

il n’en était pas <strong>de</strong> même avec son père. Elle rétorqua :<br />

— Nous allons à Mesaver<strong>de</strong>, pour la journée.


16<br />

un <strong>amour</strong> <strong>qui</strong> <strong>renaît</strong><br />

— Les ruines anasazi me fascinent, ajouta le petit ami, affichant<br />

un large sourire à l’adresse <strong>de</strong> Ben. Et avec Risa comme<br />

gui<strong>de</strong>, comment aurais-je pu résister ?<br />

Ben répliqua, impassible :<br />

— Je pensais que vous auriez pu nous ai<strong>de</strong>r, aujourd’hui. Il<br />

nous manque quelqu’un pour la fenaison. Cela vous donnerait<br />

un aperçu du travail <strong>qui</strong> se fait ici.<br />

« Si tu comptes faire partie <strong>de</strong> la famille… », pensa-t‐il.<br />

Le large sourire rusé <strong>de</strong> l’avocat ne vacilla pas.<br />

— Bon sang, Ben, j’adorerais ça ! Mais j’ai le rhume <strong>de</strong>s<br />

foins… Je ferais mieux <strong>de</strong> passer la journée loin du ranch.<br />

— Ouais, fit Ben en se redressant sur sa selle.<br />

Il posa son regard perçant sur sa fille.<br />

— Soyez <strong>de</strong> retour pour le dîner, d’accord, princesse ?<br />

— Nous ferons <strong>de</strong> notre mieux, répondit Foster.<br />

Il parlait à sa place ! Joe n’aimait pas ça du tout. Il porta un<br />

doigt à son chapeau et sourit à Risa, <strong>qui</strong> leur adressa un signe<br />

<strong>de</strong> la main. La décapotable redémarra, se frayant un chemin à<br />

travers la cour grouillant <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

— Le rhume <strong>de</strong>s foins…, répéta Joe dans un soupir en les<br />

regardant s’éloigner.<br />

— Tu comprends, maintenant ? répliqua Ben <strong>qui</strong> cracha <strong>de</strong><br />

nouveau par terre. A croire qu’elle ne sait pas choisir un homme !<br />

Hier, il m’a <strong>de</strong>mandé combien j’avais <strong>de</strong> terres !<br />

— Vraiment ?<br />

Ce n’était pas correct. Quand on savait combien un homme<br />

avait <strong>de</strong> terres, on connaissait sa fortune au centime près. Autant<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à voir son relevé <strong>de</strong> compte.<br />

— Si un type comme ça fait un enfant à ma fille, écuma<br />

Tankersly, la famille s’en ressentira pendant quatre générations !<br />

Mais comment dicter sa conduite à une femme ? Joe n’y<br />

était jamais parvenu ; Ben Tankersly non plus, malgré toutes<br />

ses terres, son argent et sa ténacité. Risa n’en ferait qu’à sa tête<br />

et selon son cœur, même si cela <strong>de</strong>vait la mener tout droit au<br />

chagrin d’<strong>amour</strong>.


un <strong>amour</strong> <strong>qui</strong> <strong>renaît</strong> 17<br />

« C’est vraiment une honte », pensa Joe en rabattant son vieux<br />

chapeau <strong>de</strong> paille sur son nez. Puis il s’éloigna, bien décidé à<br />

gâcher la journée <strong>de</strong> quelqu’un d’autre — celle <strong>de</strong> Jake, décidat‐il.<br />

Et qu’il ne vienne pas lui parler <strong>de</strong> rhume <strong>de</strong>s foins…

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