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Chapitre 1<br />
Le Dr Sienna Maxwell faisait de son mieux pour<br />
ignorer l’homme qui se trouvait à l’<strong>au</strong>tre bout du<br />
rayon de fruits et légumes ; il était tellement be<strong>au</strong><br />
que c’en était indécent. Mais, quand son rire profond<br />
s’éleva, mêlé <strong>au</strong> gloussement cristallin d’une vieille<br />
dame, elle ne put s’empêcher de regarder de nouve<strong>au</strong><br />
dans sa direction. Vêtu d’un fin pull-over noir <strong>au</strong> col<br />
en V et d’un pantalon couleur f<strong>au</strong>ve, il était à la fois<br />
élégant et décontracté. Avec ses épais cheveux bruns<br />
en bataille, ses yeux marron <strong>au</strong> regard chaleureux et<br />
son sourire avenant, il <strong>au</strong>rait pu être le frère cadet de<br />
George Clooney. Soudain il tendit la main vers l’oreille<br />
de la vieille dame et y fit apparaître un kiwi. Cette<br />
dernière lui adressa un sourire lumineux. Ma parole,<br />
mais elle flirtait avec lui !<br />
Sienna ramena une mèche de ses cheveux derrière<br />
son oreille et s’absorba dans la contemplation du<br />
fenouil frais. Elle n’avait <strong>au</strong>cune idée de la façon dont<br />
se cuisinait ce légume, mais elle n’en mit pas moins<br />
deux dans son caddie, tout en continuant à regarder<br />
l’homme du coin de l’œil.<br />
Il posa le kiwi dans le panier de la vieille dame, lui<br />
serra doucement l’ép<strong>au</strong>le et s’éloigna. Il n’avait pas fait
8<br />
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong><br />
deux pas qu’un homme corpulent, <strong>au</strong> visage rouge,<br />
lui adressait un salut chaleureux. Il s’appuya sur son<br />
caddie, détendu et plein d’entrain, tout prêt à bavarder<br />
comme s’il n’avait rien d’<strong>au</strong>tre à faire.<br />
Comme elle aimerait <strong>au</strong>ssi avoir le temps de flâner<br />
de la sorte, parfois, pensa Sienna en soupirant. Comme<br />
pour la rappeler à l’ordre, son téléphone portable vibra<br />
soudain dans la poche de sa veste. C’était l’alarme qui<br />
lui signalait qu’elle devait être de retour à la clinique<br />
dans dix minutes pour recevoir son premier patient<br />
de l’après-midi. Elle avait profité de sa p<strong>au</strong>se-déjeuner<br />
pour venir acheter les ingrédients dont elle avait besoin<br />
pour préparer un curry thaï. Quand Glyneth et Rex lui<br />
avaient annoncé qu’ils venaient la voir, elle leur avait<br />
promis sans réfléchir de leur servir un dîner merveilleux,<br />
qu’elle s’était vantée de pouvoir préparer elle-même.<br />
Elle avait peut-être parlé un peu trop vite…<br />
Distraite par la voix douce et profonde de l’inconnu,<br />
elle se surprit à regarder de nouve<strong>au</strong> dans sa direction.<br />
Maintenant, il discutait avec une femme d’une trentaine<br />
d’années, accompagnée de deux jeunes enfants.<br />
Pendant qu’ils bavardaient, un couple de retraités lui<br />
fit un signe de la main et lui lança quelques mots de<br />
salutation. Il semblait connaître tout le monde en ville.<br />
Quel contraste avec sa propre situation ! Quand elle<br />
était venue s’installer dans cette bourgade, elle avait<br />
pensé qu’elle ne tarderait pas à organiser des dîners et<br />
des sorties. Mais trois mois après son arrivée, elle n’avait<br />
toujours pas d’amis qu’elle <strong>au</strong>rait pu inviter à prendre<br />
le café ! Elle était tout simplement trop prise par son<br />
travail pour trouver le temps de se faire des relations.<br />
Bien sûr, elle n’était pas seule. Son fils Oliver vivait
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong> 9<br />
avec elle ; mais il passait de plus en plus de temps avec<br />
ses copains.<br />
Mais elle n’avait pas vraiment le temps de dresser<br />
un bilan de sa vie, et elle consulta sa liste de courses.<br />
Il lui fallait des feuilles de… combava ? A quoi cela<br />
pouvait-il bien ressembler ? Tout en dirigeant son<br />
caddie vers la section des produits exotiques, elle jeta<br />
un dernier regard furtif vers l’homme <strong>au</strong> teint hâlé et<br />
<strong>au</strong>x cheveux bruns qui bavardait toujours comme s’il<br />
n’avait rien d’<strong>au</strong>tre à faire. Elle ne savait pas si elle avait<br />
envie d’être cet homme… ou d’être plus intime avec<br />
lui. Oh, bien sûr, il n’était pas dans ses habitudes de<br />
regarder les hommes en ayant ce genre de pensée. Plus<br />
depuis longtemps, tout <strong>au</strong> moins. Mais quelque chose<br />
chez cet homme-là venait de ramener ses hormones<br />
endormies à la vie. Comment se faisait-il qu’elle ne<br />
l’ait jamais rencontré <strong>au</strong> cours des trois mois qu’elle<br />
avait déjà passés à Summerside ?<br />
Leurs regards se croisèrent par-dessus le rayon des<br />
fleurs coupées. Un léger sourire apparut sur ses lèvres<br />
qui avaient juste ce qu’il fallait d’angles et de courbes<br />
pour être incroyablement sexy, et une lueur d’amusement<br />
brilla dans ses yeux.<br />
Gênée qu’il l’eût surprise en train de le fixer, elle se<br />
sentit rougir. Elle poussa son caddie vers l’avant, tout<br />
en notant avec un détachement très professionnel que<br />
son t<strong>au</strong>x d’adrénaline avait <strong>au</strong>gmenté et que son cœur<br />
battait nettement plus vite. Il fallait qu’elle se reprenne.<br />
Elle était une adulte, pas une adolescente. Elle était<br />
médecin, avec des pensées rationnelles. Comment<br />
pouvait-elle fantasmer comme une midinette sur un<br />
homme croisé <strong>au</strong> rayon des fruits et légumes ?
10<br />
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong><br />
Elle abandonna sa quête de feuilles de combava,<br />
prit un sac plastique et le remplit de ce qui se trouvait<br />
devant elle, <strong>au</strong> hasard. Et, juste <strong>au</strong> moment où son pouls<br />
avait repris un rythme normal, juste <strong>au</strong> moment où<br />
elle commençait à retrouver son calme, elle entendit<br />
cette voix basse et profonde, à un mètre d’elle à peine.<br />
L’homme s’était rapproché et plaisantait avec la femme<br />
qui se tenait juste à côté d’elle. Elle se força à ne pas<br />
regarder dans sa direction, mais tous ses sens furent<br />
immédiatement en alerte. Et, quand la cliente s’éloigna,<br />
elle se retrouva à cinquante centimètres du frère de<br />
George Clooney.<br />
Ce fut alors qu’elle vit les feuilles de combava dans<br />
le rayon. Heureuse de cette diversion, elle tendit la<br />
main vers le paquet. L’inconnu tendit la sienne <strong>au</strong><br />
même moment… et, immanquablement, leurs doigts<br />
se frôlèrent. Elle retira vivement sa main et le sachet<br />
de plastique tomba par terre. Elle se baissa pour le<br />
ramasser.<br />
Il en fit <strong>au</strong>tant, et attrapa le sachet avant elle.<br />
— Tenez, lui dit-il en le lui tendant avec ce petit<br />
sourire un peu trop sexy.<br />
— Merci.<br />
Il lui suffit de croiser son regard pour sentir ses joues<br />
s’enflammer de nouve<strong>au</strong>. Elle se releva avant qu’il ait<br />
pu lui proposer de l’aider et, nerveuse, regarda le rayon.<br />
— Il y en a d’<strong>au</strong>tres, dit-elle.<br />
— Be<strong>au</strong>coup d’<strong>au</strong>tres, oui, reconnut-il en laissant<br />
tomber deux sachets dans son caddie. Vous allez faire<br />
du curry ?<br />
Elle ramena derrière son oreille d’<strong>au</strong>tres mèches<br />
échappées de sa queue-de-cheval. En se rappelant la
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong> 11<br />
recette compliquée qu’elle avait découpée dans un<br />
magazine, elle hocha la tête.<br />
— Un curry vert thaï, oui, répondit-elle. Avec du<br />
poulet.<br />
— Il va <strong>au</strong>ssi vous falloir du galanga, des piments<br />
verts…<br />
Tout en parlant, il attrapait les ingrédients dans le<br />
rayon, les empilant dans l’une de ses larges mains.<br />
— De la coriandre fraîche, du gingembre…<br />
Les yeux fixés sur toutes ces choses <strong>au</strong> nom étrange<br />
qu’elle n’avait pas l’habitude d’utiliser, elle regretta de<br />
ne pas avoir choisi un plat plus simple.<br />
— Merci, mais je ne vais pas prendre tout cela, ditelle.<br />
J’ai voulu être <strong>au</strong>dacieuse, mais je crois que j’ai vu<br />
trop grand. J’ai un pot de pâte de curry. Je l’utiliserai.<br />
— Le curry tout prêt n’est jamais <strong>au</strong>ssi bon.<br />
Il hésita à peine plus d’une seconde avant d’ajouter :<br />
— Voudriez-vous venir dîner chez moi ce soir ? J’ai<br />
quelques invités. Je fais un curry, justement.<br />
« Avec grand plaisir ! », faillit-elle lui répondre. Elle<br />
se mordit la lèvre. Elle plaisantait ? Elle ne le connaissait<br />
même pas ! Et puis il y avait Glyneth et Rex.<br />
— Je vous remercie, mais je suis déjà prise.<br />
Il esquissa un petit sourire en coin.<br />
— Je ne peux pas vous blâmer d’être prudente. Mais<br />
tout le monde vous le dira : je suis un gentil garçon.<br />
Elle allait lui répondre lorsque son téléphone vibra<br />
de nouve<strong>au</strong> dans sa poche. Plus que cinq minutes avant<br />
son rendez-vous.<br />
— Vous m’excuserez, mais je dois retourner travailler,<br />
dit-elle très vite.<br />
— L’apéritif est à 19 heures. En général, nous ne
12<br />
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong><br />
passons pas à table avant 21 heures. Vous ne voulez<br />
vraiment pas venir ?<br />
— C’est gentil mais j’ai d’<strong>au</strong>tres projets.<br />
— Samedi prochain, alors ? Notez-le dans votre<br />
agenda.<br />
Elle ne put s’empêcher de rire.<br />
— Est-ce que vous donnez un dîner tous les samedis ?<br />
— Je ne suis pas sûr que l’on puisse dire que je<br />
donne un dîner, répondit-il en h<strong>au</strong>ssant les ép<strong>au</strong>les.<br />
Disons que je prépare un repas assez copieux, et tous<br />
ceux qui en ont envie viennent et se débrouillent pour<br />
se trouver une place à table. S’il y a trop de monde, je<br />
vais chercher la table des cartes.<br />
Quel contraste avec les soirées que Anthony et elle<br />
donnaient à Melbourne ! C’étaient des réceptions<br />
solennelles, planifiées des semaines à l’avance. La<br />
table était dressée avec le plus grand soin suivant les<br />
directives du magazine Gourmet. Les plats venaient<br />
essentiellement de chez le meilleur traiteur, non seulement<br />
parce qu’elle n’avait pas le temps de cuisiner,<br />
mais <strong>au</strong>ssi parce que leurs amis rivalisaient avec un<br />
tel acharnement pour servir les plats les plus raffinés<br />
qu’elle était complètement dépassée. A côté de chaque<br />
assiette il y avait un carton portant le nom de l’invité,<br />
et des compositions florales trônaient un peu partout.<br />
Chaque couvert comportait trois verres différents, et<br />
une demi-douzaine de fourchettes et coute<strong>au</strong>x. Jamais<br />
elle n’avait été assez détendue pour apprécier un seul<br />
de ces dîners. Et elle avait fini par les détester après<br />
avoir découvert ce que Anthony et sa prétendue amie<br />
Erica faisaient dans l’office entre les plats.<br />
Ce bref rappel à sa vie passée la mit presque de
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong> 13<br />
m<strong>au</strong>vaise humeur. Elle ne pouvait toujours pas se<br />
résoudre à accepter l’échec de son mariage. Ce genre<br />
de chose n’était pas censé se produire dans son monde<br />
parfait.<br />
— Je dois y aller, répéta-t‐elle.<br />
— Je m’appelle Jack.<br />
Il sortit son portefeuille et en tira une carte qu’il lui<br />
posa dans la main.<br />
— Voilà mon adresse, <strong>au</strong> cas où vous changeriez<br />
d’avis.<br />
Elle baissa les yeux vers la carte. Jack Thatcher,<br />
Linden Avenue. Avant qu’elle ait eu le temps de lui<br />
répondre ou de lui dire son nom, un vieil homme<br />
— visiblement dur d’oreille, et qui s’appuyait sur une<br />
canne — s’approcha d’eux et lança d’une voix forte,<br />
en portant une main en cornet à son oreille :<br />
— Comment ça va, Jack ? Ça fait un moment que<br />
tu n’es pas venu manger le gâte<strong>au</strong> <strong>au</strong> citron de ma<br />
femme. Elle voudrait bien savoir pourquoi.<br />
Elle glissa la carte dans la poche de côté de son sac à<br />
main et s’éloigna. Elle passa à la caisse, sortit du magasin<br />
en hâte et remonta la rue. La clinique se trouvait sur<br />
Main Street, à l’<strong>au</strong>tre bout de la zone commerciale.<br />
Le soleil n’avait pas encore disparu derrière les arbres,<br />
mais une petite brise printanière soufflait, assez forte<br />
pour qu’elle se félicite d’avoir mis une veste. Ici, sur la<br />
péninsule, il faisait toujours quelques degrés de moins<br />
qu’en ville. Mais elle se sentait bien dans cette petite<br />
bourgade en bord de mer. Professionnellement parlant,<br />
elle avait fait un grand pas en avant en devenant chef<br />
de la clinique de Summerside. Et maintenant, après sa<br />
rencontre avec Jack Thatcher, elle se sentait envahie par
14<br />
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong><br />
une sensation très agréable, comme si les jours qui se<br />
profilaient devant elle allaient être des jours heureux.<br />
Quand elle entra dans le hall de la clinique, Bev,<br />
la réceptionniste, tapait sur son clavier d’ordinateur.<br />
Elle la salua et traversa le hall pour passer derrière la<br />
réception. Là, elle s’arrêta et posa sur la réceptionniste<br />
un regard pensif. Summerside était une petite ville<br />
qui ne comportait que cinq mille habitants environ.<br />
Bev, qui avait la cinquantaine et qui était très sociable,<br />
pourrait sans doute lui donner quelques détails sur<br />
l’homme qu’elle venait tout juste de rencontrer.<br />
— Oh, Bev, fit-elle négligemment. Est-ce que par<br />
hasard vous connaîtriez Jack Thatcher ?<br />
Bev arrêta de taper et fit pivoter son f<strong>au</strong>teuil de<br />
bure<strong>au</strong> pour lui faire face, tout en passant une de ses<br />
mains chargées de bagues dans ses cheveux blonds<br />
brillants, coupés <strong>au</strong> carré.<br />
— Tout le monde connaît Jack, répondit-elle avec<br />
un petit soupir. Ses dîners sont célèbres.<br />
— Est-ce qu’il est marié ?<br />
— Veuf.<br />
Bev jeta un regard circulaire dans le hall pour s’assurer<br />
que personne ne pouvait les entendre et poursuivit,<br />
un peu plus bas :<br />
— Sa femme est morte dans le crash d’un petit<br />
avion de tourisme il y a quelques années. Une horrible<br />
tragédie.<br />
Elle s’interrompit et la regarda droit dans les yeux<br />
avant d’ajouter :<br />
— Pourquoi cette question ?<br />
— Comme ça. Je viens juste de le rencontrer en<br />
faisant mes courses.
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong> 15<br />
— Laissez-moi vous mettre en garde, poursuivit<br />
Bev en lui lançant un regard entendu. Be<strong>au</strong>coup de<br />
femmes lui ont fait des avances, mais il n’a jamais eu<br />
de relation suivie avec <strong>au</strong>cune d’entre elles. Jamais.<br />
Elles disent qu’il est toujours amoureux de sa femme.<br />
— Je ne suis pas intéressée de cette façon ! se hâtat‐elle<br />
de répondre. Il m’a semblé très gentil, rien de plus.<br />
— Mais il est gentil ! Avec tout le monde. Que vous<br />
soyez jeune, vieux, riche ou p<strong>au</strong>vre, Jack est prêt à<br />
vous donner sa chemise. C’est un homme merveilleux.<br />
Seulement, il ne f<strong>au</strong>t rien attendre de lui, si vous voyez<br />
ce que je veux dire.<br />
— Il m’a invitée à dîner ce soir.<br />
— Vraiment ?<br />
La réceptionniste la regarda avec plus d’attention,<br />
visiblement prête à poursuivre la discussion, mais Sienna<br />
n’avait pas le temps de discuter. Aussi lui adressa-t‐elle<br />
un petit sourire d’excuse avant de se diriger vers la salle<br />
du personnel. Là, elle accrocha sa veste dans la penderie<br />
et posa ses courses sur le comptoir du coin cuisine.<br />
Elle constata qu’elle n’avait pas acheté tout ce qu’il lui<br />
fallait, et qu’elle se retrouvait avec des produits qu’elle<br />
ne se souvenait même pas avoir posés dans son caddie…<br />
Tout cela parce qu’un homme qui avait le sourire de<br />
George Clooney l’avait regardée droit dans les yeux <strong>au</strong><br />
rayon des fruits et légumes du supermarché du coin.<br />
Sans ralentir sa course, Jack épongea la sueur qui<br />
ruisselait sur son front avec le bas de son T-shirt, remonta<br />
l’allée qui menait à la maison en brique qu’occupaient
16<br />
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong><br />
ses parents, frappa deux fois et ouvrit la porte sans<br />
attendre de réponse.<br />
— Il y a quelqu’un ?<br />
— Bonjour, mon chéri !<br />
Hetty, sa mère, se précipita pour l’accueillir.<br />
— Maman ? fit-il, ébahi.<br />
C’était la première fois qu’il la revoyait depuis<br />
qu’il était rentré de ses trois mois de vacances dans le<br />
Queensland. D’habitude, elle portait des pantalons<br />
et des gilets de laine, et ses cheveux teints en blond<br />
étaient coupés <strong>au</strong> carré. Mais <strong>au</strong>jourd’hui elle arborait<br />
un ample pantalon d’aspect soyeux et une large tunique<br />
en mousseline. Ses cheveux, maintenant gris, étaient<br />
coupés court.<br />
Elle s’avança pour le prendre dans ses bras mais fit<br />
<strong>au</strong>ssitôt un pas en arrière.<br />
— Tu es couvert de transpiration !<br />
— Qu’as-tu fait à tes cheveux ?<br />
Sa mère passa les doigts dans ses mèches courtes et<br />
demanda :<br />
— Ça te plaît ?<br />
— C’est… différent.<br />
— J’ai décidé de garder mes cheveux gris, dit-elle<br />
en souriant, une étincelle dans ses yeux bleus. De<br />
paraître mon âge, d’être vraiment moi.<br />
— Ah oui ? Et qui as-tu fait semblant d’être jusqu’ici ?<br />
— Oh, Jack !<br />
— Je plaisante.<br />
Il passa son bras <strong>au</strong>tour de ses ép<strong>au</strong>les et ajouta :<br />
— Je trouve que ça te va bien.<br />
— Alors ? Comment s’est passé ton voyage ?
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong> 17<br />
demanda-t‐elle. J’ai l’impression que tu es parti depuis<br />
des années.<br />
— Très bien. Les tropiques sont vraiment le meilleur<br />
endroit pour passer des vacances.<br />
Il suivit sa mère dans le salon où son père, assis dans<br />
son f<strong>au</strong>teuil relax, une bière à la main, regardait par la<br />
fenêtre, vers les enclos à chev<strong>au</strong>x qui se trouvaient de<br />
l’<strong>au</strong>tre côté de la rue. Smedley, son terrier Jack Russell,<br />
était couché à ses pieds.<br />
— Salut, papa !<br />
— Jack, grommela son père, sans se lever.<br />
Sa mère laissa échapper un soupir.<br />
— Il reste assis là toute la journée à ne rien faire,<br />
à bougonner à propos de tout et de rien, murmurat‐elle.<br />
Parfois, je me dis que nous n’<strong>au</strong>rions jamais dû<br />
vendre la ferme.<br />
— Et toi, comment vas-tu ?<br />
— Je vais bien. Mieux que bien même. Viens dans<br />
la cuisine, je viens de faire des brownies, dit-elle en<br />
l’entraînant avec elle. Est-ce que Bogie a apprécié de<br />
vivre sur un bate<strong>au</strong> ?<br />
— Un vrai marin ! On <strong>au</strong>rait dit qu’il était né dessus.<br />
Je rentrais <strong>au</strong> port chaque soir pour qu’il puisse faire<br />
sa promenade.<br />
— Et… est-ce que tu as rencontré quelqu’un pendant<br />
ton voyage ?<br />
— Non.<br />
Non, pas pendant son voyage. Mais le visage de<br />
la femme qu’il avait rencontrée tout à l’heure surgit<br />
dans son esprit.<br />
— C’est bizarre, dit sa mère en grimaçant. J’avais<br />
eu un pressentiment.
18<br />
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong><br />
— Désolé, mais ton intuition maternelle s’est<br />
trompée, cette fois.<br />
Il pénétra à la suite de sa mère dans la petite cuisine<br />
baignée de soleil, dans laquelle flottait une odeur<br />
de gâte<strong>au</strong> tout juste sorti du four. Une corbeille de<br />
linge humide était posé par terre, à côté de la porte<br />
de derrière. Sa mère s’apprêtait probablement à aller<br />
l’étendre quand il était arrivé.<br />
— Ton père passait son temps à se plaindre que je<br />
ne faisais plus de pâtisserie, expliqua-t‐elle en coupant<br />
une tranche de gâte<strong>au</strong>. Alors je m’y suis remise.<br />
— Tu sais bien qu’il adore tes gâte<strong>au</strong>x.<br />
Il prit une bouchée de la part que lui tendait sa mère.<br />
— Et je le comprends ! ajouta-t‐il. Ils sont délicieux.<br />
Fais-lui-en plus souvent. Il retrouvera vite sa bonne<br />
humeur.<br />
— C’est le moment de son check-up annuel, mais<br />
il le repousse sans arrêt. Son ancien médecin a pris<br />
sa retraite, et il dit qu’il ne veut pas en dresser un<br />
nouve<strong>au</strong>. Je pense qu’en réalité il a peur qu’on lui dise<br />
de perdre du poids et de faire de l’exercice. Je trouve<br />
qu’il a be<strong>au</strong>coup grossi, ces derniers temps.<br />
— Laisse-lui le temps de s’habituer à sa nouvelle<br />
vie. Est-ce que vous voulez venir dîner à la maison,<br />
ce soir ? Renita et Lexie seront là.<br />
— Moi, je ne peux pas. Je pars pour une retraite de<br />
quinze jours <strong>au</strong> centre de méditation. Mais propose-le<br />
à ton père. Cela lui changera les idées.<br />
— De la méditation ? s’étonna-t‐il. C’est nouve<strong>au</strong>,<br />
ça. Dis-moi, il y a bien des changements dans ta vie.<br />
Tu n’es plus la même.<br />
Sa mère ferma les yeux, et ses lèvres s’étirèrent en
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong> 19<br />
un sourire lumineux. Quand elle rouvrit les yeux, elle<br />
irradiait le calme.<br />
— C’est possible. Et je ne peux pas te dire combien<br />
je me sens sereine, maintenant. J’aimerais que ton père<br />
essaie la méditation, lui <strong>au</strong>ssi.<br />
Son sourire s’estompa et son expression se teinta<br />
de tristesse.<br />
— Mais il ne me soutient pas, ajouta-t‐elle en<br />
soupirant. Je pense qu’il a peur.<br />
— Il s’y fera, dit Jack en se frottant les mains<br />
<strong>au</strong>-dessus de l’évier pour en faire tomber les miettes.<br />
Je vais aller le voir.<br />
Il coupa un <strong>au</strong>tre morce<strong>au</strong> de gâte<strong>au</strong> et le posa sur<br />
une assiette qu’il porta à son père dans le salon. Sur la<br />
table à côté du f<strong>au</strong>teuil, il y avait déjà une assiette qui<br />
ne contenait plus que des miettes. Le ventre de son<br />
père débordait par-dessus sa ceinture. Sa mère avait<br />
raison : il avait pris quelques kilos depuis la dernière<br />
fois qu’il l’avait vu.<br />
— Tiens, papa. Alors, quoi de neuf ?<br />
Son père prit une bouchée de brownie.<br />
— Ta mère est devenue lesbienne, ronchonna-t‐il.<br />
Tu as vu comment elle est coiffée ?<br />
Jack réprima un rire.<br />
— Ce n’est qu’une coupe de cheveux, papa.<br />
Il s’assit sur le canapé de brocard vert sombre qui<br />
faisait face <strong>au</strong> f<strong>au</strong>teuil de son père et se pencha pour<br />
caresser Smedley qui était venu vers lui.<br />
— C’est plus qu’une coupe de cheveux, grommela<br />
son père. Elle a rejoint une secte. Les papiers qu’elle<br />
rapporte à la maison disent qu’ils sont chastes, dans ce<br />
centre de méditation.
20<br />
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong><br />
— Etre chaste n’est pas la même chose qu’être<br />
lesbienne.<br />
— Qui sait ce qu’elle fabrique avec ces gens en robe<br />
blanche, insista son père. Moi, tout ce que je vois, c’est<br />
qu’elle n’est pas ici avec moi.<br />
— Tu devrais te trouver des passe-temps, toi <strong>au</strong>ssi.<br />
Sans prêter attention à sa remarque, son père engloutit<br />
le reste de sa part de brownie.<br />
— Et elle n’est presque jamais ici pour préparer le<br />
repas.<br />
— Allons, papa. Tu peux te débrouiller seul. Maman<br />
a bien le droit de penser un peu à elle.<br />
Jack observa son père avec attention. Il n’était pas<br />
dans sa nature d’être <strong>au</strong>ssi ronchon. Il était évident qu’il<br />
avait peur. Peur de vieillir, peur de devenir inutile.<br />
Peur de perdre sa femme.<br />
— Je m’attendais à ce que les filles prennent son<br />
parti, mais pas toi, laissa tomber son père en ramassant<br />
les miettes de gâte<strong>au</strong> sur l’assiette.<br />
— Je suis venu t’inviter à dîner, dit-il, éludant la<br />
remarque.<br />
Il ne voulait surtout pas se retrouver mêlé <strong>au</strong>x problèmes<br />
conjug<strong>au</strong>x de ses parents.<br />
— Il y a du foot ce soir, répliqua son père. Est-ce<br />
que tu le regarderas ?<br />
— Sans doute pas.<br />
— Alors, oublie.<br />
Son père attrapa ses lunettes cerclées de métal et en<br />
inspecta les verres.<br />
— Ces fichus trucs sont toujours sales, pesta-t‐il.<br />
— Est-ce que tu te sens bien ? C’est bientôt, ta visite<br />
annuelle chez le médecin, non ?
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong> 21<br />
— Tout va bien pour moi, répondit son père en<br />
essuyant ses lunettes avec le pan de sa chemise. Je suis<br />
en pleine forme.<br />
— C’est très bien, mais tu devrais quand même faire<br />
ce check-up. Pourquoi ne viendrais-tu pas courir avec<br />
moi, de temps en temps ?<br />
— Tu rigoles ! Je n’ai plus l’âge de ces âneries !<br />
Il leva sa bouteille de bière et s’aperçut qu’elle était<br />
vide.<br />
— Hetty ! Tu peux m’apporter une <strong>au</strong>tre bière ?<br />
Pas de réponse.<br />
Il se leva péniblement de son f<strong>au</strong>teuil et se redressa,<br />
une main plaquée sur les reins.<br />
— Bon sang, où est-elle encore ? Jamais là quand<br />
j’ai besoin d’elle !<br />
— Elle est sans doute dehors en train d’étendre le<br />
linge. Je vais t’attraper une bière.<br />
Mais son père se dirigeait déjà vers la cuisine d’un<br />
pas traînant.<br />
Jack soupira et jeta un coup d’œil à sa montre.<br />
— Il f<strong>au</strong>t que j’y aille. A plus tard, papa.<br />
— Oliver ? Je suis rentrée.<br />
Sienna regarda sa montre. 18 heures. Elle était en<br />
retard. Elle posa son sac de courses sur le comptoir de<br />
granit sombre dans sa petite cuisine bien agencée et<br />
regarda les enveloppes qu’elle avait prises dans la boîte<br />
<strong>au</strong>x lettres en rentrant. Une facture d’électricité, des<br />
prospectus, une lettre du collège.<br />
— Oliver, tu es là ?
22<br />
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong><br />
— Dans ma chambre ! cria son fils, dont la voix se<br />
brisait toutes les deux syllabes.<br />
Laissant les courses et le courrier de côté, elle alla<br />
chercher un plan de la ville dans la bibliothèque installée<br />
dans le coin petit déjeuner. Elle avait bien trop à faire<br />
pour prendre le temps de s’en occuper maintenant,<br />
mais elle voulait savoir où ce Jack Thatcher vivait<br />
exactement.<br />
Elle découvrit que Linden Avenue se trouvait <strong>au</strong>x<br />
confins de la ville, <strong>au</strong> sud, à trois kilomètres environ<br />
du centre. Là-bas, les maisons jouxtaient des enclos<br />
où paissaient du bétail et des chev<strong>au</strong>x. Quant à elle,<br />
elle habitait à environ trois kilomètres <strong>au</strong> nord de la<br />
ville, dans un quartier plus ancien de Summerside. Elle<br />
avait peu de chances de rencontrer Jack en faisant son<br />
jogging. Dommage…<br />
Elle rangea le plan et retourna dans la cuisine pour<br />
commencer à préparer le dîner, furieuse d’attacher<br />
<strong>au</strong>tant d’importance à un détail <strong>au</strong>ssi futile. Si elle<br />
continuait comme ça, elle finirait par prendre sa voiture<br />
pour aller rôder dans sa rue !<br />
Elle rangea ses courses et sortit le poulet du congélateur<br />
pour le faire décongeler <strong>au</strong> micro-ondes. Mais<br />
son esprit ne cessait de revenir à Jack Thatcher. Si<br />
Glyneth et Rex n’avaient pas dû venir, elle serait allée à<br />
son dîner. Elle n’était pourtant pas du genre à accepter<br />
les invitations d’inconnus, mais Jack Thatcher avait eu<br />
une façon tellement spontanée de l’inviter.<br />
Pendant que le poulet décongelait, elle ouvrit la<br />
lettre envoyée par le collège d’Oliver. Il s’agissait sans<br />
doute d’un courrier qui annonçait quelque manifestation.<br />
Mais, quand elle parcourut la feuille, son cœur se
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong> 23<br />
serra. C’était un courrier du conseiller d’éducation du<br />
collège qui l’informait sèchement que son fils n’avait<br />
pas rendu ses devoirs dans trois matières : l’anglais, les<br />
maths et la biologie. Elle respira plusieurs fois pour se<br />
calmer. Oliver était un garçon intelligent et sérieux ;<br />
elle n’<strong>au</strong>rait pas dû recevoir un tel courrier.<br />
— Olly ! cria-t‐elle, assez fort pour qu’il l’entende<br />
depuis sa chambre. Oliver !<br />
— Ne crie pas. Je suis là.<br />
Son fils apparut à la porte de la cuisine. Il avait<br />
troqué son uniforme vert olive et gris pour un T-shirt<br />
Billabong et un jean, et passé du gel sur ses épais<br />
cheveux blonds. Il entra dans la cuisine et se dirigea<br />
vers le placard où étaient rangés les verres. Avec son<br />
mètre quatre-vingts, il la dépassait déjà d’une quinzaine<br />
de centimètres.<br />
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t‐il.<br />
Elle agita la lettre vers lui, si brusquement qu’elle<br />
en froissa le papier.<br />
— M. Kitzinger dit que tu n’as pas rendu tes devoirs.<br />
— Ah.<br />
Un verre à la main, il passa devant elle pour aller se<br />
servir de l’e<strong>au</strong> <strong>au</strong> robinet.<br />
— Eh bien, qu’as-tu à me répondre ?<br />
Il but quelques gorgées et versa le reste de l’e<strong>au</strong><br />
dans l’évier.<br />
— Je déteste l’anglais, mon prof de maths est nul et<br />
je veux laisser tomber la biologie l’année prochaine.<br />
Elle le regarda, affolée. Elle savait qu’il était à l’âge<br />
où l’on se désintéressait des études, mais c’était la<br />
première fois qu’il parlait de laisser tomber une matière<br />
scientifique.
24<br />
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong><br />
— Quoi que tu penses de tes professeurs ou des<br />
matières qu’ils t’enseignent, tu dois travailler. Si tes<br />
notes ne s’améliorent pas, tu ne seras jamais accepté<br />
à l’université.<br />
Il s’avachit sur le comptoir, les sourcils froncés<br />
<strong>au</strong>-dessus de ses yeux bleu-gris profondément enfoncés.<br />
— Peut-être que je ne veux pas aller à l’université,<br />
lâcha-t‐il.<br />
Sienna sentit son sang se glacer dans ses veines.<br />
— Tu ne peux pas encore savoir ce que tu veux,<br />
mon chéri. Tu n’as que quatorze ans.<br />
— Exactement. Je n’ai que quatorze ans. Alors,<br />
arrête de décider de mon avenir à ma place.<br />
Oliver se redressa et quitta la cuisine d’un pas nonchalant<br />
pour aller dans le séjour, où il se laissa tomber sur<br />
le canapé avant d’allumer la télé.<br />
Sienna le suivit. Elle n’allait pas abandonner le sujet<br />
<strong>au</strong>ssi vite.<br />
— Eteins ça, s’il te plaît, dit-elle d’une voix ferme.<br />
Elle attendit, en comptant mentalement jusqu’à 10.<br />
Elle était arrivée à 8 quand il obéit.<br />
— Si tu veux faire médecine, il f<strong>au</strong>t que tu prennes<br />
de bonnes habitudes de travail et…<br />
— Mais je ne veux pas faire médecine, la coupat‐il.<br />
C’est toi qui le veux. Il y a déjà assez de médecins<br />
dans la famille : papa, toi, grand-mère et grand-père.<br />
— Quand j’avais ton âge, je croyais ne pas vouloir<br />
être médecin, moi non plus. Et puis j’ai changé d’avis.<br />
Toi <strong>au</strong>ssi tu changeras d’avis, quand tu seras plus grand.<br />
— Tu ne peux pas savoir si je changerai d’avis ou<br />
non ! protesta-t‐il. Tu crois me connaître, mais c’est<br />
f<strong>au</strong>x !
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong> 25<br />
Elle prit une grande inspiration tout en réfléchissant<br />
à ce qu’elle allait lui répondre. Elle voulait lui dire que<br />
si, elle le connaissait. C’était son fils, le bébé dont elle<br />
s’était occupée depuis sa naissance. Elle savait qu’il<br />
avait une tache de naissance dans le dos et que son gros<br />
orteil s’incurvait vers l’intérieur, exactement comme<br />
le sien. Elle savait que le réch<strong>au</strong>ffement climatique le<br />
préoccupait et qu’il préférait les comédies <strong>au</strong>x films<br />
policiers.<br />
Ensuite, elle posa les yeux sur le grand garçon affalé<br />
sur le canapé, qui levait vers elle un regard à la fois<br />
boudeur et angoissé, et tout ce qu’elle voulait lui dire<br />
resta coincé dans sa gorge. Le connaissait-elle encore<br />
vraiment ? Bien sûr, il était toujours son fils, et tout<br />
ce qu’elle savait à son sujet était encore vrai, mais il<br />
changeait. Il grandissait. Il s’éloignait d’elle. Il était<br />
de plus en plus musclé, sa voix muait, un fin duvet<br />
ombrait son menton, et il commençait à se faire sa<br />
propre opinion sur be<strong>au</strong>coup de sujets. Avant, elle<br />
connaissait la moindre de ses pensées, le moindre de<br />
ses sentiments, parce qu’il les partageait avec elle dès<br />
qu’il avait passé la porte. Maintenant, ce n’était plus<br />
le cas. Bientôt, son fils serait un homme. Bien trop<br />
tôt. Un matin, elle se réveillerait et se rendrait compte<br />
qu’il n’était plus là. Qu’il avait quitté le nid.<br />
Elle croisa les bras sur sa poitrine et, l’estomac noué,<br />
demanda :<br />
— Qu’est-ce que… qu’est-ce que tu veux faire ?<br />
Il h<strong>au</strong>ssa les ép<strong>au</strong>les.<br />
— J’en sais rien. Curer des fossés, peut-être.<br />
Elle allait se fâcher lorsqu’elle se rendit compte qu’il<br />
essayait juste de la mettre hors d’elle. Et il y arrivait
26<br />
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong><br />
plutôt bien. Il avait toujours été un excellent élève, et<br />
ce depuis l’école primaire. Il avait un potentiel énorme,<br />
une compréhension quasi immédiate des nouvelles<br />
choses enseignées, et elle avait mis be<strong>au</strong>coup d’espoirs<br />
en lui. Elle savait <strong>au</strong>ssi qu’il était sensible et réagissait <strong>au</strong><br />
quart de tour. Le plus important, à cet instant précis,<br />
était donc de ne pas réagir de façon excessive.<br />
Elle respira et dit calmement :<br />
— Quel que soit le métier que tu feras plus tard,<br />
Olly, il est important que tu ailles <strong>au</strong> lycée et que tu<br />
aies ton diplôme de fin d’études. Tu dois apprendre<br />
plusieurs matières et obtenir de bonnes notes, afin<br />
d’avoir le plus d’options possible.<br />
— Tu as raison, répondit-il à contrecœur, sans la<br />
regarder.<br />
Maintenant qu’il était d’accord avec elle, elle ne put<br />
s’empêcher d’enfoncer le clou.<br />
— Tu sais l’importance que j’attache à l’éducation.<br />
C’est un crime d’avoir <strong>au</strong>tant de dons que toi, d’être<br />
<strong>au</strong>ssi intelligent et plein de talent que tu l’es, et de ne<br />
pas utiliser tes capacités <strong>au</strong> mieux.<br />
— Un crime est quelque chose d’illégal, répliquat‐il,<br />
toujours <strong>au</strong>ssi pointilleux. Je n’ai rien fait d’illégal.<br />
— Pour moi, ne pas exploiter son potentiel <strong>au</strong><br />
mieux est illégal.<br />
Il leva les yeux <strong>au</strong> ciel.<br />
— Alors je veux que tout de suite après le dîner tu<br />
fasses les devoirs que tu n’as pas rendus, poursuivit-elle.<br />
Pas de MSN, pas de textos avec tes amis.<br />
— Mais on est samedi soir ! se plaignit-il. Je vais<br />
chez Jason. Je ferai mes devoirs demain.<br />
— Oliver…
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong> 27<br />
— Je te le promets !<br />
Le micro-ondes sonnait. Elle devait retourner dans la<br />
cuisine et s’occuper de ce satané dîner qu’elle regrettait<br />
de plus en plus d’avoir organisé.<br />
— Très bien, dit-elle. Tu peux aller chez Jason ce<br />
soir, mais tu passeras ton dimanche à faire les devoirs<br />
que tu n’as pas rendus.<br />
Elle attendit quelques secondes. Comme son fils ne<br />
répondait pas, elle insista :<br />
— Eh bien ?<br />
— D’accord, marmonna Oliver.<br />
Il frotta ses grands pieds sur le sol, déplaçant le tapis<br />
qui couvrait le parquet. Après quelques instants de<br />
silence, il demanda :<br />
— Est-ce que tu veux voir mon robot qui marche<br />
à l’énergie solaire ?<br />
Elle n’avait pas vraiment le temps…<br />
— Bien sûr, répondit-elle avec un enthousiasme<br />
qu’elle espéra sincère.<br />
Oliver se leva et alla chercher dans sa chambre une<br />
lampe torche et un engin bizarre, fait d’un CD-ROM,<br />
d’une balle de ping-pong coupée en deux et de deux<br />
moteurs recouverts de caoutchouc, attachés sur le<br />
dessous du CD-ROM. Des fils passaient par le trou<br />
central du CD, reliant les moteurs qui faisaient également<br />
fonction de jambes à ce que son fils lui dit être<br />
une série de capteurs lumineux. Les capteurs étaient<br />
reliés à un petit interrupteur et à une batterie de<br />
secours. Oliver posa le robot sur le sol et s’agenouilla.<br />
Il actionna l’interrupteur et éclaira les capteurs avec<br />
la lampe torche.<br />
Rien ne se passa.
28<br />
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong><br />
Le visage d’habitude pâle de son fils s’empourpra si<br />
vivement que les boutons qui parsemaient son menton<br />
devinrent rouge sombre. Il rapprocha la lumière.<br />
— Allez !<br />
— Laisse-lui le temps, dit Sienna.<br />
Alors les jambes de l’étrange créature commencèrent<br />
à bouger lentement, de bas en h<strong>au</strong>t. Leur extrémité<br />
en caoutchouc grinça sur le sol. Jamais elle n’avait rien<br />
vu d’<strong>au</strong>ssi bizarre.<br />
— C’est incroyable ! lança-t‐elle, impressionnée<br />
malgré elle. Tu as fait ça en cours de science ? Tout seul ?<br />
— Ouais ! On a eu un exposé spécial avant-hier,<br />
répondit son fils avec enthousiasme. Un type est venu<br />
nous montrer comment fabriquer des trucs électroniques.<br />
C’était super !<br />
Le robot se cogna dans le canapé et continua à<br />
marcher frénétiquement sur place jusqu’à ce que Oliver<br />
l’attrape et le dirige dans une <strong>au</strong>tre direction.<br />
— Mais il me f<strong>au</strong>t de meilleures jambes, ajouta-t‐il.<br />
Et un truc pour le faire aller à reculons. Jack a dit que<br />
la prochaine fois il apporterait plus de pièces.<br />
Jack ? Pouvait-il s’agir de l’homme du supermarché ?<br />
Non. La coïncidence <strong>au</strong>rait été trop énorme.<br />
Elle se pencha pour serrer l’ép<strong>au</strong>le de son fils.<br />
— Tu es un garçon intelligent. Tu as un esprit<br />
scientifique. Tu pourrais choisir de faire n’importe<br />
quoi et y réussir.<br />
Oliver leva les yeux vers elle, un sourire timide sur<br />
les lèvres. Son regard contenait une affection tellement<br />
manifeste que, gêné, il rougit et détourna les yeux.<br />
— Oh, Olly.<br />
Envahie d’une bouffée d’amour maternel, elle se
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong> 29<br />
pencha pour le serrer dans ses bras. Il lui rendit rapidement<br />
son étreinte, avant de commencer à se tortiller<br />
pour se dégager. Avec un soupir, elle passa la main<br />
dans ses cheveux avant de le relâcher à contrecœur.<br />
Ils regardèrent le robot avancer, grinçant et raclant le<br />
carrelage. Meesha, la chatte, descendue de l’accoudoir<br />
du f<strong>au</strong>teuil où elle était en train de dormir, observait<br />
la progression saccadée du CD-ROM avec un vif<br />
intérêt, hésitant entre la fuite ou l’attaque.<br />
— As-tu parlé à ton père récemment ? demanda<br />
soudain Sienna.<br />
Oliver secoua la tête avec brusquerie et se renfrogna.<br />
— Est-ce que tu lui as dit si tu irais <strong>au</strong> ski avec lui<br />
en Nouvelle-Zélande ? insista-t‐elle néanmoins.<br />
— Pourquoi est-ce que tu veux que j’y aille ? Ça<br />
me ferait rater une semaine d’école, et <strong>au</strong>ssi l’examen<br />
pour savoir si je peux suivre le cours de mathématiques<br />
avancées l’année prochaine.<br />
— Je parlerai à ton professeur. Nous trouverons<br />
une solution.<br />
Le robot se cogna dans le pied de la table et s’arrêta.<br />
Oliver le ramassa et regarda les jambes décrire un<br />
dernier mouvement avant de s’arrêter.<br />
— Je ne veux pas y aller si elle y va <strong>au</strong>ssi, lâcha-t‐il.<br />
Sienna soupira. Bien sûr, le manque d’enthousiasme<br />
d’Oliver était là. Elle <strong>au</strong>rait dû s’en douter ; les rapports<br />
entre son fils et la compagne de son père n’étaient pas<br />
<strong>au</strong> be<strong>au</strong> fixe.<br />
— Erica est enceinte de sept mois, et ce n’est pas une<br />
période facile pour elle, mon chéri. D’après ce que m’a<br />
dit ton père, je ne pense pas qu’elle vous accompagnera.<br />
Mais Oliver n’en fut pas plus heureux pour <strong>au</strong>tant.
30<br />
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong><br />
Elle n’avait <strong>au</strong>cune envie de lui faire une nouvelle<br />
leçon de morale ce soir, mais elle ne voulait pas non<br />
plus qu’il laisse passer cette occasion de voir son père.<br />
— Si tu veux continuer à avoir une vraie relation<br />
avec ton père, tu dois passer du temps avec lui. Un<br />
week-end sur deux n’est pas suffisant. Nous étions<br />
convenus que tu passerais des vacances avec lui, une<br />
fois par an.<br />
Oliver leva les yeux vers elle et scruta son visage.<br />
— Et toi, ça ne t’embête pas ?<br />
Oh si, ça l’embêtait, comme il disait. Et même be<strong>au</strong>coup.<br />
Bien sûr elle avait surmonté la rage et la douleur<br />
qu’elle avait éprouvées <strong>au</strong> début en découvrant la liaison<br />
de sa meilleure amie avec son mari, mais elle souffrait<br />
toujours un peu. Néanmoins, elle voulait faire ce qui<br />
était le mieux pour son fils.<br />
— Je n’ai rien à voir là-dedans, dit-elle avec fermeté.<br />
Et toi, tu n’as pas à prendre parti. Tu peux nous aimer<br />
tous les deux. Tu peux même…<br />
Elle s’interrompit et conclut avec effort :<br />
— … aimer Erica.<br />
— Jamais de la vie !<br />
Oliver resta silencieux pendant un moment, pensif,<br />
avant de demander :<br />
— Ça ne te fait vraiment rien ?<br />
— Non, mon chéri. J’aimerais vraiment que tu y<br />
ailles.<br />
Il la regarda de nouve<strong>au</strong>, comme pour s’assurer<br />
qu’elle pensait ce qu’elle disait, et son visage s’illumina.<br />
Il venait de prendre conscience qu’il allait vraiment<br />
partir en vacances.<br />
— D’accord ! Je vais appeler papa tout de suite.
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong> 31<br />
Il hésita, la serra vivement dans ses bras et ajouta :<br />
— Merci.<br />
Elle regarda son fils quitter le salon et retint une<br />
larme.<br />
Oliver hésitait à partir en vacances avec son père car<br />
il se faisait du souci pour ce qu’elle pouvait ressentir.<br />
Cette attention la touchait. Mais elle ne voulait surtout<br />
pas que son fils s’empêche de vivre et se prive de ce<br />
que pouvait lui offrir son père à c<strong>au</strong>se d’elle.<br />
Elle jeta un regard à sa montre. Oh, mon Dieu !<br />
Déjà 18 h 30 ! Ses invités allaient bientôt arriver et<br />
elle n’avait rien de prêt.<br />
— J’<strong>au</strong>rais pourtant juré qu’elle appréciait notre<br />
conversation. Mais, tout à coup, j’ai bien vu qu’elle se<br />
forçait pour sourire, dit Jack à Bogie tout en posant ses<br />
courses sur le comptoir de la cuisine. Tu penses que<br />
j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ?<br />
Le golden retriever lui témoigna sa sympathie en<br />
remuant sa queue touffue, mais il était bien trop occupé<br />
à inspecter le carrelage, en quête de quelques miettes,<br />
pour lui fournir une vraie réponse.<br />
— Il n’est pas dans mes habitudes de suivre les<br />
femmes qui font leurs emplettes <strong>au</strong> rayon fruits et<br />
légumes, poursuivit-il. Mais, si tu avais vu cette masse<br />
de boucles rousses, tu <strong>au</strong>rais traversé le magasin pour<br />
aller lui parler, toi <strong>au</strong>ssi.<br />
Elle devait avoir son âge. Quelques années de moins,<br />
peut-être. Entre trente et trente-cinq ans. Elle portait<br />
un jean de marque, des ch<strong>au</strong>ssures plates en cuir de<br />
bonne qualité, un chemisier blanc impeccable sous
32<br />
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong><br />
une veste sombre faite sur mesure. Elle pouvait être<br />
une riche femme <strong>au</strong> foyer — il n’en manquait pas à<br />
Summerside. Mais ces doigts fins, bien propres et <strong>au</strong>x<br />
ongles coupés court pouvaient <strong>au</strong>ssi bien appartenir à<br />
une pianiste. Ou à une neurochirurgienne. Il penchait<br />
plus pour la pianiste, mais peut-être n’était-ce que<br />
parce qu’il aimait Oscar Peterson.<br />
Il y avait justement un CD d’Oscar Peterson dans<br />
le lecteur. Les notes de piano emplirent bientôt la<br />
cuisine de leur swing joyeux. Des grains de poussière<br />
voletaient dans les derniers rayons de soleil que laissaient<br />
entrer les grandes fenêtres. Dans le jardin, des<br />
loriquets à tête bleue venaient se percher pour la nuit<br />
dans les eucalyptus, et leur jacassement était si bruyant<br />
qu’il couvrait presque la musique.<br />
Jack se servit un verre de vin rouge et commença<br />
à cuisiner.<br />
Une heure plus tard, alors que les arômes combinés<br />
du curry, de l’ail et du gingembre flottaient dans la<br />
cuisine, il entendit la porte de devant s’ouvrir vivement.<br />
Son premier invité était arrivé.<br />
— Hé, Jack ! lança sa sœur Renita. Viens me donner<br />
un coup de main ! Cette boîte pèse une tonne.<br />
Il sortit de la cuisine et s’engagea dans le petit<br />
couloir qui longeait le salon. Sa sœur disparaissait<br />
presque derrière une grande boîte en carton. Il la lui<br />
prit des bras.<br />
— Elle n’est pas si lourde, fit-il remarquer en riant.<br />
Peut-être que tu devrais commencer à faire de la<br />
musculation.<br />
— Beurk ! Je sais que je détesterais ça.<br />
Renita le précéda dans la cuisine. Sa queue-de-cheval
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong> 33<br />
se balançait dans son dos et ses tongs claquaient sur le<br />
carrelage. Elle avait troqué le tailleur qu’elle portait<br />
habituellement à la banque, où elle était analyste de<br />
crédit, pour un débardeur et un pantalon large.<br />
— Je croyais que tu devais amener un petit ami,<br />
dit-il.<br />
— Il a dû s’absenter pour son travail, répondit-elle<br />
sans se retourner. Comment s’est passé ton voyage ?<br />
— Eh bien… j’ai passé trois mois à naviguer et à<br />
plonger le long de la Grande Barrière de corail. On<br />
peut difficilement rêver mieux.<br />
— D’accord, d’accord, n’en rajoute pas, pesta Renita<br />
avec bonne humeur. Aie pitié des personnes qui doivent<br />
travailler pour vivre.<br />
— Est-ce que le nom de ton nouve<strong>au</strong> petit ami me<br />
dirait quelque chose ?<br />
— Sans doute pas. Mais <strong>au</strong> moins, j’en ai un.<br />
Renita alla chercher un verre à vin dans le placard<br />
et ouvrit la bouteille de s<strong>au</strong>vignon blanc qu’elle avait<br />
apportée.<br />
— Au fait, lança-t‐elle. Est-ce que tu as vu maman<br />
depuis ton retour ? Elle s’est coupé les cheveux.<br />
— Oui, et je trouve que ça lui va bien. Mais je<br />
m’inquiète pour papa. Cela fait déjà six mois qu’il a<br />
pris sa retraite, et il est toujours <strong>au</strong>ssi morose. Maman<br />
a tellement d’activités que je pense qu’il a l’impression<br />
qu’elle l’abandonne.<br />
— Est-ce que tu l’as invité à venir ce soir ? demanda<br />
sa sœur en se servant un verre.<br />
— Il préfère regarder le foot.<br />
Il souleva les rabats de la boîte et jeta un œil à<br />
l’intérieur.
34<br />
l’invitation <strong>au</strong> <strong>bonheur</strong><br />
— Qu’est-ce que tu as apporté ?<br />
— Tout ce qu’il f<strong>au</strong>t pour faire des hors-d’œuvre thaï.<br />
Ils sont meilleurs si on les prépare <strong>au</strong> dernier moment.<br />
Elle remua le contenu du wok qui était sur le feu et<br />
huma les parfums qui s’en échappaient, l’air approbateur.<br />
— Ça sent bon, dit-elle d’un air gourmand. Au fait,<br />
j’ai vu Sharon <strong>au</strong> magasin de vins. Glenn et elle seront<br />
un peu en retard. Qui d’<strong>au</strong>tre as-tu invité ?<br />
— Lexie, Ron et Diane.<br />
Il remua le curry parfumé, plongea une cuillère<br />
dans la s<strong>au</strong>ce <strong>au</strong> lait de coco et la goûta. Il manquait<br />
quelque chose… Des feuilles de combava. Comment<br />
avait-il pu oublier ? Il posa six des feuilles vert foncé<br />
sur la planche et les coupa en fines lanières. Il se revit<br />
accroupi, en train de ramasser le sachet tombé par terre,<br />
avec devant lui deux immenses yeux gris-vert, <strong>au</strong>ssi<br />
limpides que de l’e<strong>au</strong> de source. Les joues crémeuses<br />
de la jeune femme s’étaient teintées de rose quand il<br />
lui avait posé le sachet dans les mains.<br />
Il se tourna vers sa sœur et demanda :<br />
— Est-ce que tu trouves que je suis trop direct<br />
avec les gens ?<br />
Renita le regarda par-dessus son verre de s<strong>au</strong>vignon,<br />
les sourcils froncés.<br />
— Bien. Dis-moi tout. Qui est cette femme ?