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Le thème de la nuit dans «Les Misérables - Gymnase de Morges

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<strong>Le</strong> <strong>thème</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> <strong>dans</strong> «<strong>Le</strong>s <strong>Misérables</strong> » <strong>de</strong> Victor Hugo<br />

Dans <strong>Le</strong>s <strong>Misérables</strong>, le <strong>thème</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> est un <strong>thème</strong> important qu’il convient <strong>de</strong> développer.<br />

À travers trois personnages, analysons <strong>la</strong> manière dont Hugo utilise <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> et les différents sens<br />

qu’elle prend. <strong>Le</strong> discours <strong>de</strong> Victor Hugo sur <strong>la</strong> société française du 19 e siècle permettra <strong>de</strong><br />

compléter le constat, tiré <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong>s trois personnages, précé<strong>de</strong>mment réalisé.<br />

Jean Valjean :<br />

Dans <strong>la</strong> partie du récit liée à Jean Valjean, <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> représente le mal, <strong>la</strong> haine ou le malheur mais<br />

également l’oubli ou le sentiment d’être perdu.<br />

À son arrivée à Digne, Jean Valjean se retrouve seul et à <strong>la</strong> rue car même s’il a <strong>de</strong> quoi payer on<br />

refuse <strong>de</strong> le loger et <strong>de</strong> le nourrir pour cause <strong>de</strong> son passeport jaune (ex-bagnard). La <strong>nuit</strong> tombe<br />

alors. Jean Valjean erre <strong>dans</strong> Digne à <strong>la</strong> recherche d’un abri pour <strong>la</strong> <strong>nuit</strong>. Dans ce cas Hugo utilise <strong>la</strong><br />

<strong>nuit</strong> pour accentuer l’ambiance <strong>de</strong> malheur et <strong>de</strong> détresse du passage.<br />

Dans le chapitre trois « une tempête sous un crâne » (T. 1, p. 301) du livre septième « L’affaire<br />

Champmathieu » Jean Valjean se trouve face à un dilemme : sauver l’homme innocent qu’on a<br />

confondu avec lui-même ou <strong>la</strong>isser le procès se dérouler et donc <strong>la</strong>isser un homme se faire<br />

condamner à sa propre p<strong>la</strong>ce. C’est <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> <strong>dans</strong> sa chambre <strong>de</strong> Montfermeil qu’il ressasse ses<br />

pensées à ce propos. La <strong>nuit</strong> accentue les ténèbres <strong>dans</strong> lesquelles il se trouve, le désordre <strong>de</strong> ses<br />

pensées. Il ne sait pas quoi faire, il ne « voit » pas quoi faire. Hugo décrit même l’âme d’un homme<br />

qui réfléchit comme étant obscure : « À <strong>de</strong> certaines heures, pénétrez à travers <strong>la</strong> face livi<strong>de</strong> d’un<br />

être humain qui réfléchit, et regar<strong>de</strong>z <strong>de</strong>rrière, regar<strong>de</strong>z <strong>dans</strong> cette âme, regar<strong>de</strong>z <strong>dans</strong> cette<br />

obscurité » (T.1, B.301)<br />

Dans le même sens, lorsque Jean Valjean est au bagne, Victor Hugo utilise <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> pour décrire un état<br />

<strong>de</strong> cécité <strong>de</strong> l’âme : « Il vivait habituellement <strong>dans</strong> cette ombre, tâtonnant comme un aveugle et<br />

comme un rêveur. Seulement, par intervalles, il lui venait tout à coup, <strong>de</strong> lui-même ou du <strong>de</strong>hors,<br />

une secousse <strong>de</strong> colère, un surcroît <strong>de</strong> souffrance, un pâle et rapi<strong>de</strong> éc<strong>la</strong>ir qui illuminait toute son<br />

âme, et faisait brusquement apparaître partout autour <strong>de</strong> lui, en avant et en arrière, aux lueurs d’une<br />

lumière affreuse, les hi<strong>de</strong>ux précipices et les sombres perspectives <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée. L’éc<strong>la</strong>ir passé, <strong>la</strong><br />

<strong>nuit</strong> retombait, et où était-il ? il ne le savait plus. » (T.1, B.144 – H.145)<br />

Lorsque Jean Valjean est au bagne, il prend conscience qu’il existe pesant au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> lui « une<br />

sorte d’entassement effrayant <strong>de</strong> choses, <strong>de</strong> lois, <strong>de</strong> préjugés, d’hommes et <strong>de</strong> faits *…+ qui n’était<br />

autre chose que cette prodigieuse pyrami<strong>de</strong> que nous appelons <strong>la</strong> civilisation » (T.1, B.146),<br />

civilisation parmi <strong>la</strong>quelle Valjean aperçoit l’argousin, le gendarme, l’archevêque ainsi que<br />

l’empereur <strong>dans</strong> <strong>la</strong> lumière, éc<strong>la</strong>iré par leur puissance et par le respect qu’ils inspirent :, il se sent <strong>de</strong><br />

plus en plus écrasé, meurtri, abandonné et commence à ressentir <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine pour cette société<br />

humaine : « Il lui semb<strong>la</strong>it que ces splen<strong>de</strong>urs lointaines, loin <strong>de</strong> dissiper sa <strong>nuit</strong>, <strong>la</strong> rendait plus<br />

funèbre et plus noire. » (T.1, H.147). Dans cet exemple-là, <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> a, <strong>dans</strong> un premier temps, le sens<br />

<strong>de</strong> misère, malheur et détresse, puis <strong>dans</strong> un second temps, <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> décrit <strong>la</strong> haine et le mal que Jean<br />

Valjean cultive pour <strong>la</strong> société. En continuation <strong>de</strong> cet exemple en voici un autre. Jean Valjean s’est<br />

fixé <strong>de</strong>ux principes, <strong>de</strong>ux idées : cacher son nom et sanctifier son âme (T.1, M.311). « Il reconnaissait<br />

que l’une <strong>de</strong> ces idées était nécessairement bonne, tandis que l’autre pouvait <strong>de</strong>venir mauvaise ;<br />

que celle-là était le dévouement et que celle-ci était <strong>la</strong> personnalité ; que l’une disait : le prochain et<br />

que l’autre disait : moi ; que l’une venait <strong>de</strong> <strong>la</strong> lumière (c.f présentation Dereck) et que l’autre venait<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>nuit</strong>. » La <strong>nuit</strong> signifie ici le mal.<br />

Cependant pour Jean Valjean <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> peut également avoir un effet positif. A chaque fois que Jean<br />

Valjean s’éva<strong>de</strong> ou déménage (exepté T.1, p.489) il s’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> pour passer inaperçu <strong>dans</strong><br />

l’obscurité (T.1: p.578, p.395, etc.). <strong>Le</strong> <strong>de</strong>rnier sens <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> utilisé pour Jean Valjean n’apparaît que<br />

peu souvent, en voici un exemple : « Certes, si quelqu’un lui eût dit en ces moment-là qu’une heure


viendrait où ce nom retentirait à son oreille, où ce hi<strong>de</strong>ux mot, Jean Valjean, sortirait tout à coup <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> <strong>nuit</strong> et se dresserait <strong>de</strong>vant lui, *…+ et que ce nom ne le menacerait pas *…+, il eût hoché tête et<br />

regardé ces paroles comme insensées. » (T.1, H.306). Ici le terme <strong>nuit</strong> signifie l’oubli. <strong>Le</strong> nom Jean<br />

Valjean a été bel et bien oublié (sauf par Javert).<br />

Cosette (l’enfant)<br />

Quand Hugo se réfère à <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> <strong>dans</strong> les parties du récit traitant <strong>de</strong> l’enfant, le lecteur est plongé <strong>dans</strong><br />

une ambiance sombre. Il est dit que <strong>la</strong> petite Cosette est épouvantée <strong>de</strong> se rendre à <strong>la</strong> source <strong>de</strong><br />

Montfermeil <strong>la</strong> <strong>nuit</strong>. Hugo décrit ainsi ce que représente <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> pour l’enfant.<br />

« <strong>Le</strong> frémissement nocturne <strong>de</strong> <strong>la</strong> forêt l’enveloppait tout entière. Elle ne pensait plus, elle ne voyait<br />

plus. L’immense <strong>nuit</strong> faisait face à ce petit être. D’un côté, toute l’ombre ; <strong>de</strong> l’autre, un atome. »<br />

(T1, M506). Hugo décrit <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> comme mouvante. <strong>Le</strong> frémissement <strong>de</strong> <strong>la</strong> forêt est uniquement dû à<br />

<strong>la</strong> <strong>nuit</strong>. La <strong>nuit</strong> <strong>de</strong>vient un être. Et tout homme en a peur : « l’obscurité est vertigineuse. Il faut à<br />

l’homme <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté. Quiconque s’enfonce <strong>dans</strong> le contraire du jour se sent le cœur serré. Quand<br />

l’œil voit noir, l’esprit voit trouble. Dans l’éclipse, <strong>dans</strong> <strong>la</strong> <strong>nuit</strong>, <strong>dans</strong> l’opacité fuligineuse, il y a <strong>de</strong><br />

l’anxiété, même pour les plus forts. *…+ <strong>Le</strong>s cavités <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>nuit</strong>, les choses <strong>de</strong>venues hagar<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s<br />

profils taciturnes qui se dissipent quand on avance, <strong>de</strong>s échevellement obscurs, <strong>de</strong>s touffes irritées,<br />

<strong>de</strong>s f<strong>la</strong>ques livi<strong>de</strong>s, le lugubre reflété <strong>dans</strong> le funèbre, l’immensité sépulcrale du silence, les êtres<br />

inconnus possibles, <strong>de</strong>s penchements <strong>de</strong> branches mystérieux, d’effrayants torses d’arbres, <strong>de</strong><br />

longues poignées d’herbe frémissantes, on est sans défense contre tout ce<strong>la</strong>. *…+ On éprouve<br />

quelque chose <strong>de</strong> hi<strong>de</strong>ux comme si l’âme s’amalgamait à l’ombre. Cette pénétration <strong>de</strong>s ténèbres<br />

est inexprimablement sinistre <strong>dans</strong> un enfant. » (T1, H-B.508). Ainsi <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> dévoile l’imagination <strong>la</strong><br />

plus sinistre <strong>de</strong> l’enfant. Il y voit toutes les choses qui lui font le plus peur. La <strong>nuit</strong> se transforme en<br />

monstre et pénètre l’âme <strong>de</strong> l’enfant pour y semer <strong>la</strong> terreur. On retrouve ce même sentiment chez<br />

Azelma (T2, H26).<br />

Dans l’exergue (p. 31), Victor Hugo parle <strong>de</strong> «l’atrophie <strong>de</strong> l’enfant par <strong>la</strong> <strong>nuit</strong>» qu’il désigne comme<br />

l’un <strong>de</strong>s trois problèmes du siècle. La <strong>nuit</strong> terrifie l’enfant. Plus il connait <strong>de</strong> misère plus ses pires<br />

cauchemars que <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> révèlent sont sinistres et plus l’enfant est affaiblit moralement.<br />

Marius<br />

Dans le cas <strong>de</strong> Marius, <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> désigne <strong>la</strong> tristesse ainsi que l’ignorance et <strong>la</strong> misère.<br />

Quand Marius rencontre Cosette, sa vie en est éc<strong>la</strong>irée. Il a soudainement un but quotidien : tout<br />

d’abord <strong>la</strong> voir et puis finir par faire sa connaissance. Après l’avoir perdue <strong>de</strong> vue, il <strong>la</strong> retrouve : «<br />

C’était bien elle. C’est à peine si Marius <strong>la</strong> distinguait à travers <strong>la</strong> vapeur lumineuse qui s’était<br />

subitement répandue sur ses yeux. C’était ce doux être absent, cet astre qui lui avait lui pendant six<br />

mois. C’était cette prunelle, ce front, cette bouche, ce beau visage évanoui qui avait fait <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> en<br />

s’en al<strong>la</strong>nt. » Marius sans Cosette n’a plus <strong>de</strong> but. Pendant six mois tous les jours, il <strong>la</strong> voyait et<br />

cherchait à s’en approcher. Quand soudainement elle disparait, il se sent perdu, sans but : Il erre. La<br />

tristesse s’installe <strong>dans</strong> son quotidien. Et quand il <strong>la</strong> perd <strong>de</strong> vue à nouveau : « Il perdait sa joie, son<br />

bonheur, son amour ! il retombait <strong>dans</strong> <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> ! il avait vu et il re<strong>de</strong>venait aveugle ! » (T2, M48). La<br />

vue <strong>de</strong> Cosette le rend heureux : elle «illumine» sa vie. Cette «cécité» vient du fait que, sans elle, il<br />

ne voit plus <strong>de</strong> bonheur nulle part : il est malheureux.<br />

Lorsque Marius apprends enfin quel personnage était son père, il fut ébloui. « Il s’aperçut alors que<br />

jusqu’à ce moment il n’avait pas plus compris son pays qu’il n’avait compris son père. Il n’avait connu<br />

ni l’un ni l’autre, et il avait eut une sorte <strong>de</strong> <strong>nuit</strong> volontaire sur les yeux. » En effet Marius n’avait<br />

auparavant même pas essayé <strong>de</strong> savoir qu’avait fait son père. De ce côté-là il était donc ignorant. Ici<br />

Hugo se sert <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> pour décrire l’ignorance.<br />

Lorsque Marius était enfant, le seul contact qu’il avait avec le reste du mon<strong>de</strong> se faisait <strong>dans</strong> le salon<br />

<strong>de</strong> madame <strong>de</strong> T. : «<strong>Le</strong> salon <strong>de</strong> madame <strong>de</strong> T. était tout ce que Marius Pontmercy connaissait du


mon<strong>de</strong>. C’était <strong>la</strong> seule ouverture par <strong>la</strong>quelle il pût regar<strong>de</strong>r <strong>dans</strong> <strong>la</strong> vie. Cette ouverture était<br />

sombre, et il lui venait <strong>de</strong> cette lucarne plus <strong>de</strong> froid que <strong>de</strong> chaleur, plus <strong>de</strong> <strong>nuit</strong> que <strong>de</strong> jour.» (T1,<br />

M782). Ce que Marius voit <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie à travers le salon <strong>de</strong> madame <strong>de</strong> T. n’est que malheur et misère.<br />

Hugo donne encore une fois au terme <strong>nuit</strong> un sens négatif.<br />

Plus tard Marius aime regar<strong>de</strong>r <strong>la</strong> <strong>nuit</strong> par <strong>la</strong> fenêtre <strong>de</strong> sa chambre. <strong>Le</strong> mot « fenêtre » fait ici<br />

allusion au mot « lucarne » <strong>de</strong> <strong>la</strong> citation précé<strong>de</strong>nte. Marius amoureux voit le bon coté <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie sans<br />

plus arrêter son jugement sur <strong>la</strong> misère sociale. Lorsqu’Azelma rencontre Marius celui-ci ouvre à<br />

nouveau les yeux sur cette misère : «La jeune fille fut pour Marius une sorte d’envoyée <strong>de</strong>s ténèbres.<br />

Elle lui révé<strong>la</strong> tout un coté hi<strong>de</strong>ux <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>nuit</strong>.» (T2, H28). Marius voit alors ce qu’il y a <strong>de</strong> pire <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />

misère sociale : <strong>la</strong> misère <strong>de</strong> l’enfant.<br />

La <strong>nuit</strong> <strong>dans</strong> les misérables représente donc : <strong>la</strong> tristesse, le malheur, le sentiment d’être perdu,<br />

quelque chose qui révèle les peurs <strong>de</strong> chacun, le mal, l’ignorance ainsi que <strong>la</strong> misère. Or tous ces<br />

éléments sont liés. Ils sont tous fruit <strong>de</strong> <strong>la</strong> misère sociale. Et l’allégorie <strong>de</strong> misère c’est <strong>la</strong> mer : «La<br />

mer c’est l’inexorable <strong>nuit</strong> sociale où <strong>la</strong> pénalité jette ses damnés. La mer, c’est l’immense misère.»<br />

(T1, B150).<br />

Ainsi le terme <strong>nuit</strong> désigne <strong>la</strong> misère sociale du 19 e siècle.

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