Mécano-sensibilité cellulaire : adaptation physique à la rigidité
Mécano-sensibilité cellulaire : adaptation physique à la rigidité
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<strong>Mécano</strong>-<strong>sensibilité</strong> <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> :<br />
<strong>adaptation</strong> <strong>physique</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong><br />
La <strong>rigidité</strong> des tissus joue un rôle important dans de nombreux processus physiologiques comme <strong>la</strong> migration<br />
<strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> ou <strong>la</strong> différentiation des cellules souches. Pour comprendre le mécanisme qui permet aux cellules<br />
de détecter <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> de leur environnement, les chercheurs ont surtout étudié certaines boucles biochimiques<br />
de régu<strong>la</strong>tion déclenchées par <strong>la</strong> déformation de protéines spécifiques. Pour notre part, nous nous sommes<br />
intéressés aux cellules comme générateurs de force. Nous avons ainsi mesuré <strong>la</strong> puissance mécanique<br />
développée par une cellule vivante isolée pour défléchir une micro-<strong>la</strong>melle de verre de raideur calibrée.<br />
On observe que <strong>la</strong> puissance mécanique fournie s’ajuste <strong>à</strong> <strong>la</strong> raideur des <strong>la</strong>melles et présente<br />
les caractéristiques d’une <strong>adaptation</strong> d’impédance. Pour confirmer l’existence d’une réponse purement<br />
mécanique de <strong>la</strong> structure <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>, nous avons développé un procédé original permettant de contrôler,<br />
en temps réel, <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> effective perçue par une cellule vivante isolée. On constate alors que <strong>la</strong> dérivée<br />
temporelle de <strong>la</strong> force générée par <strong>la</strong> cellule s’adapte <strong>à</strong> <strong>la</strong> raideur de son substrat en un temps t < 0,1 s,<br />
bien plus rapidement que les cascades de réactions chimiques imaginées jusque-l<strong>à</strong> pour expliquer<br />
l’<strong>adaptation</strong> <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong>.<br />
Les cellules vivantes sont les briques élémentaires du<br />
vivant. D’une taille caractéristique d’une dizaine de<br />
micromètres, elles s’assemblent pour former les<br />
tissus biologiques qui constituent, <strong>à</strong> leur tour, des organes<br />
aux fonctions physiologiques spécifiques. De fait, chaque<br />
cellule possède un certain bagage protéique et un patrimoine<br />
génétique (ADN du noyau) qui lui permettent de<br />
produire les molécules nécessaires au maintien de l’organisme<br />
et <strong>à</strong> son fonctionnement. Les produits des réactions<br />
biochimiques sont alors échangés, de manière contrôlée,<br />
avec le reste de l’organisme au travers de <strong>la</strong> membrane<br />
p<strong>la</strong>smique qui sépare milieux intra et extra-<strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>s. La<br />
cellule vivante peut donc être perçue comme l’unité de production<br />
chimique de base dont l’activité est modulée par <strong>la</strong><br />
composition chimique de son environnement (taux de<br />
sucre sanguin qui contrôle <strong>la</strong> production d’insuline par<br />
exemple). Cette vision néglige cependant tous les aspects<br />
mécaniques des fonctions <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>s.<br />
Il s’avère en effet que les cellules sont capables d’une<br />
part d’exercer des contraintes sur les tissus environnants<br />
et, d’autre part, d’adapter leur activité aux propriétés et<br />
aux signaux mécaniques de leur environnement. Ainsi, si<br />
<strong>la</strong> plupart des cellules des organismes animaux sont <strong>à</strong><br />
demeure dans les tissus, elles sont capables de s’activer et<br />
de migrer au sein de l’organisme. C’est par exemple le cas<br />
des fibrob<strong>la</strong>stes de <strong>la</strong> peau qui, en cas de lésion cutanée,<br />
se dép<strong>la</strong>cent jusqu’<strong>à</strong> <strong>la</strong> lésion pour produire le col<strong>la</strong>gène<br />
nécessaire <strong>à</strong> <strong>la</strong> réparation du tissu. Inversement, des processus<br />
pathologiques comme le développement tumoral<br />
voient certaines cellules se détacher de leur tissu d’origine,<br />
migrer au travers de l’organisme et coloniser de nouveaux<br />
tissus. Cette capacité des cellules <strong>à</strong> migrer implique<br />
l’existence d’une machinerie intra<strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> capable de<br />
générer des forces, ainsi que des protéines transmembranaires<br />
pour transmettre ces forces <strong>à</strong> l’environnement (voir<br />
encadré 1). Le plus étonnant est que cette machinerie<br />
Article proposé par :<br />
Atef Asnacios, atef.asnacios@univ-paris-diderot.fr<br />
Jonathan Fouchard, jonathan.fouchard@univ-paris-diderot.fr<br />
Démosthène Mitrossilis, demosthenem@yahoo.fr<br />
Laboratoire Matière et Systèmes Complexes, UMR 7057, CNRS/Univ. Paris 7, Paris<br />
72
<strong>Mécano</strong>-<strong>sensibilité</strong> <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> : <strong>adaptation</strong> <strong>physique</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong><br />
Encadré 1<br />
Appareil contractile, complexes d’adhésion et signalisation locale<br />
Les cellules vivantes exercent des forces de traction sur<br />
leur substrat. Ces forces sont générées par des complexes<br />
contractiles. Ces complexes sont constitués de fi<strong>la</strong>ments<br />
d’actine et de moteurs molécu<strong>la</strong>ires (myosine). Les myosines,<br />
assemblées tête-bêche, font glisser les fi<strong>la</strong>ments d’actine<br />
les uns par rapport aux autres et induisent ainsi <strong>la</strong><br />
contraction de l’ensemble de <strong>la</strong> fibre. Cette contraction des<br />
complexes d’actine et de myosine au sein d’une cellule isolée<br />
repose sur le même principe que celle des fibres muscu<strong>la</strong>ires<br />
mais ne présente pas <strong>la</strong> même organisation cristalline que<br />
dans le muscle. Les forces générées par ces structures intra<strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>s<br />
sont transmises <strong>à</strong> l’environnement au travers de<br />
complexes protéiques d’adhérence (figure E1).<br />
La figure E2 décrit schématiquement <strong>la</strong> manière dont<br />
l’<strong>adaptation</strong> <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> est généralement pensée.<br />
Sur substrat mou, <strong>la</strong> contractilité <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> se traduirait<br />
essentiellement par une grande déformation du substrat, de<br />
faibles forces générées et de faibles déformations des adhésions.<br />
En revanche, sur substrat rigide, faiblement déformable,<br />
les forces générées par <strong>la</strong> cellule induiraient des<br />
déformations importantes de certaines protéines des complexes<br />
adhésifs. Ces protéines, en se déformant, révèleraient<br />
des sites de phosphory<strong>la</strong>tion (addition d’un groupe<br />
phosphate qui change <strong>la</strong> réactivité chimique de <strong>la</strong> protéine)<br />
et déclencheraient ainsi des cascades chimiques de régu<strong>la</strong>tion<br />
de l’activité <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>. Ces cascades induiraient, en<br />
retour, une augmentation de <strong>la</strong> contraction <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong><br />
(rétroaction positive).<br />
Figure E1 – Schéma de <strong>la</strong> machinerie permettant <strong>à</strong> <strong>la</strong> cellule de<br />
déformer son substrat. Les générateurs de force (vert) sont constitués<br />
d’assemb<strong>la</strong>ges d’actine et de myosine. Comme dans les muscles, les<br />
mouvements re<strong>la</strong>tifs des deux espèces génèrent <strong>la</strong> contraction. Les<br />
forces sont transmises <strong>à</strong> l’environnement via des complexes protéiques<br />
d’adhérence. Ces complexes sont formés de nombreuses molécules<br />
(rose) qui font le lien entre les protéines transmembranaires (rouge) et<br />
les fibres contractiles (vert).<br />
Figure E2 – Représentation schématique du rôle des complexes<br />
d’adhésion comme déclencheurs de <strong>la</strong> réponse <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong>.<br />
<strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> semble être sensible <strong>à</strong> son environnement<br />
mécanique et, notamment, <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> des tissus. Des<br />
expériences en <strong>la</strong>boratoire ont par exemple montré que<br />
des cellules qui migrent sur des substrats synthétiques de<br />
<strong>rigidité</strong> anisotrope dans le p<strong>la</strong>n s’orientaient préférentiellement<br />
suivant <strong>la</strong> direction de plus grande <strong>rigidité</strong> 1 .<br />
Cette <strong>sensibilité</strong> des cellules <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> de leur substrat<br />
n’est pas qu’une curiosité de <strong>la</strong>boratoire. Des chercheurs<br />
ont en effet tenté de soigner des patients victimes<br />
d’infarctus en injectant des cellules souches dans le tissu<br />
1. Voir « Images de <strong>la</strong> Physique » 2007 : L’adhésion <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>, une sonde<br />
de l’environnement mécanique dans les tissus et Les cellules vivantes répondent<br />
<strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> de leur substrat.<br />
cardiaque nécrosé. Or, non seulement les cellules injectées<br />
n’ont pu se développer en cellules muscu<strong>la</strong>ires pour<br />
régénérer le muscle cardiaque, mais les médecins ont<br />
observé que les cellules souches présentaient des facteurs<br />
de l’apoptose, c’est-<strong>à</strong>-dire de <strong>la</strong> mort programmée des<br />
cellules. Les chercheurs ont alors émis l’hypothèse que ce<br />
phénomène pouvait être provoqué par <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> du tissu<br />
nécrosé qui est beaucoup plus importante que celle du<br />
tissu muscu<strong>la</strong>ire sain. De fait, les différents tissus vivants<br />
ou organes ont non seulement leurs fonctions biochimiques<br />
propres, mais possèdent également des <strong>rigidité</strong>s<br />
spécifiques. Dans ce cadre, il est apparu p<strong>la</strong>usible que des<br />
cellules disséminées dans l’organisme puissent profiter<br />
de cette caractéristique pour se repérer et éviter de se déve-<br />
73
Bio<strong>physique</strong><br />
lopper dans un tissu différent de celui dont elles sont originaires<br />
(effet anti-métastase).<br />
Cette hypothèse a finalement pu être vérifiée in vitro en<br />
cultivant des cellules souches sur des substrats synthétiques<br />
mimant les é<strong>la</strong>sticités typiques des tissus, des plus<br />
mous (cerveau, module d’Young E d’environ 1 kPa) au<br />
plus durs (col<strong>la</strong>gène osseux, E 100 kPa). <strong>à</strong> conditions<br />
chimiques identiques, on observe que les supports mous<br />
induisent une orientation des cellules souches vers un type<br />
<strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> neuronal, alors que les substrats les plus durs<br />
conduisent au développement d’ostéob<strong>la</strong>stes, c’est-<strong>à</strong>-dire<br />
des cellules de type osseux. De plus, les mêmes auteurs<br />
ont pu montrer que <strong>la</strong> formation des myofibrilles (fi<strong>la</strong>ments<br />
contractiles élémentaires qui s’assemblent pour former<br />
les fibres muscu<strong>la</strong>ires) était optimale lorsque des<br />
cellules pré-muscu<strong>la</strong>ires étaient cultivées sur des substrats<br />
mimant <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> des muscles sains (E 10 kPa).<br />
Activité contractile<br />
et <strong>adaptation</strong> d’impédance<br />
En principe, pour déterminer <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> d’un matériau,<br />
il faut lui appliquer une contrainte donnée et mesurer<br />
<strong>la</strong> déformation qui en résulte. Or, il a été très tôt<br />
observé que les cellules vivantes appliquaient effectivement<br />
des forces sur leurs substrats. Ces forces de traction<br />
sont générées par des complexes contractiles d’actine et<br />
de myosine semb<strong>la</strong>bles, dans leur fonctionnement, aux<br />
fibres muscu<strong>la</strong>ires. Les forces générées par ces structures<br />
intra<strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>s sont transmises <strong>à</strong> l’environnement au travers<br />
de complexes protéiques d’adhésion qui constituent<br />
le véritable lien mécanique entre milieux intra et extra-<strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>s.<br />
Il est donc apparu naturel que certaines protéines<br />
de ces complexes puissent se comporter comme des capteurs<br />
de force dont <strong>la</strong> déformation permettrait de déclencher<br />
des cascades de réactions chimiques, appelées voies<br />
biochimiques de signalisation (encadré 1).<br />
La réponse <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> telle que décrite précédemment<br />
pose cependant un certain nombre de questions. Par<br />
exemple, <strong>la</strong> réponse déclenchée par <strong>la</strong> déformation des<br />
contacts adhésifs est par définition locale et nécessite<br />
donc d’être coordonnée <strong>à</strong> l’échelle globale de <strong>la</strong> cellule<br />
pour permettre des processus organisés comme <strong>la</strong> migration<br />
orientée. Or, il n’existe aucun modèle pour ce<strong>la</strong>. Par<br />
ailleurs, si <strong>la</strong> déformation de certaines molécules de signalisation<br />
est contrôlée par le niveau de force qui leur est<br />
appliqué, quelle re<strong>la</strong>tion existe-t-il entre <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> de l’environnement<br />
et <strong>la</strong> force de traction <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> ? Pour<br />
répondre <strong>à</strong> ces interrogations, nous avons mis au point un<br />
dispositif nous permettant de mesurer <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois <strong>la</strong> force<br />
générée par une cellule vivante isolée ainsi que sa vitesse<br />
de contraction. En d’autres termes, nous nous sommes<br />
intéressés aux propriétés de <strong>la</strong> machinerie <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> responsable<br />
de <strong>la</strong> génération de force et nous avons caractérisé<br />
sa réponse propre <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong>.<br />
Figure 1 – (a) Images d’une cellule vivante défléchissant une micro-<strong>la</strong>melle<br />
de verre de raideur calibrée k et principe de mesure de <strong>la</strong> force de traction<br />
<strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> : F = kd, où d est <strong>la</strong> déflexion de <strong>la</strong> <strong>la</strong>melle. (b) Variation temporelle<br />
de <strong>la</strong> force de traction <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> pour deux <strong>la</strong>melles de raideurs différentes.<br />
Plus <strong>la</strong> <strong>la</strong>melle-ressort est raide, plus <strong>la</strong> force croît rapidement. Adapté de<br />
Mitrossilis et al PNAS 2009 et al. PNAS 2010.<br />
Le dispositif utilisé est très simple dans son principe.<br />
Une cellule est capturée entre deux micro-<strong>la</strong>melles de<br />
verre, l’une rigide, l’autre souple et de raideur calibrée k<br />
(figure 1). La <strong>la</strong>melle souple est donc utilisée comme un<br />
simple ressort dont <strong>la</strong> déflexion d donne <strong>la</strong> force de traction<br />
<strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> F = kd. Le système est monté sur un microscope<br />
optique et <strong>la</strong> déflexion de <strong>la</strong> <strong>la</strong>melle souple est détectée<br />
et enregistrée en temps réel. Les déflexions typiques sont<br />
de l’ordre de quelques micromètres, les raideurs de 1 <strong>à</strong><br />
quelques centaines de nN/μm et les forces <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>s dans<br />
<strong>la</strong> gamme 1-300 nN. Les <strong>la</strong>melles de verre sont recouvertes<br />
de fibronectine, molécule de <strong>la</strong> matrice extra<strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>. Du<br />
point de vue chimique, les contacts cellule-<strong>la</strong>melles ressemblent<br />
<strong>à</strong> des interfaces cellule-matrice extra<strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>.<br />
Dans ces conditions, on observe que <strong>la</strong> cellule une fois<br />
mise en contact avec les <strong>la</strong>melles s’étale (augmentation du<br />
diamètre apparent) et applique une force de traction qui<br />
rapproche l’extrémité de <strong>la</strong> <strong>la</strong>melle souple de <strong>la</strong> <strong>la</strong>melle<br />
rigide (diminution de <strong>la</strong> hauteur <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> entre <strong>la</strong>melles).<br />
74
<strong>Mécano</strong>-<strong>sensibilité</strong> <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> : <strong>adaptation</strong> <strong>physique</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong><br />
0,02<br />
0,5<br />
1,2<br />
0,1<br />
Vitesse de contraction (µm/s)<br />
0,015<br />
0,01<br />
0,005<br />
0,4<br />
0,3<br />
0,2<br />
0,1<br />
Puissance mécanique (f W)<br />
V/V max<br />
1<br />
0,8<br />
0,6<br />
0,4<br />
0,2<br />
0,08<br />
0,06<br />
0,04<br />
0,02<br />
P/F max V max<br />
0<br />
0<br />
0<br />
50 100 150 200<br />
0<br />
0<br />
Charge (nN)<br />
Figure 2 – Re<strong>la</strong>tions force-vitesse (carrés b<strong>la</strong>ncs) et charge-puissance (disques<br />
noirs) d’une cellule isolée. Les valeurs sont calculées <strong>à</strong> partir des courbes de<br />
force pour une déflexion arbitraire de 1 μm. Les charges reportées en abscisse<br />
correspondent <strong>à</strong> des raideurs de <strong>la</strong>melles variant de 2,5 <strong>à</strong> 176 nN/μm (figure<br />
reprise de Mitrossilis et al. PNAS 2009).<br />
Dans une première étude, nous avons utilisé des<br />
<strong>la</strong>melles souples de différentes raideurs et observé comment<br />
<strong>la</strong> valeur de k influençait <strong>la</strong> force de traction <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>.<br />
On observe essentiellement que <strong>la</strong> force croît plus<br />
rapidement lorsque <strong>la</strong> raideur est plus importante<br />
(figure 1b). En conséquence, après un temps donné, <strong>la</strong> cellule<br />
applique une force d’autant plus importante que le<br />
substrat est rigide. Pour comprendre l’origine <strong>physique</strong><br />
possible de ce phénomène, il faut se rappeler que <strong>la</strong> dérivée<br />
temporelle de <strong>la</strong> force est directement proportionnelle<br />
<strong>à</strong> <strong>la</strong> vitesse de contraction <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>. En effet, <strong>la</strong> force est<br />
donnée par <strong>la</strong> tension de <strong>la</strong> <strong>la</strong>me ressort F = kd, d’où<br />
dF<br />
= kV où V est <strong>la</strong> vitesse <strong>à</strong> <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> <strong>la</strong>melle est<br />
dt<br />
défléchie et, également, <strong>la</strong> vitesse de contraction de <strong>la</strong> cellule<br />
perpendicu<strong>la</strong>irement aux <strong>la</strong>melles. La puissance<br />
mécanique développée par <strong>la</strong> cellule pour défléchir <strong>la</strong><br />
<strong>la</strong>melle-ressort est donc simplement P= FV =<br />
F dF<br />
, et<br />
k dt<br />
peut être obtenue <strong>à</strong> partir de <strong>la</strong> force F(t) ainsi que de sa<br />
dérivée. Si l’on considère, pour différentes raideurs testées,<br />
<strong>la</strong> puissance mécanique développée <strong>à</strong> une déflexion<br />
d 0 donnée (c’est-<strong>à</strong>-dire pour un raccourcissement <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong><br />
identique), on obtient P= 0 . Ainsi, <strong>à</strong> d 0 fixée, on<br />
peut exprimer l’augmentation de dF avec k en re<strong>la</strong>tion<br />
dt<br />
force-vitesse V =<br />
1 dF<br />
( F=<br />
kd<br />
k dt 0), ou encore en re<strong>la</strong>tion<br />
charge-puissance P= d dF ( F=<br />
kd )(figure 2).<br />
d dF<br />
dt<br />
0 dt 0<br />
L’augmentation de dF<br />
dt<br />
avec <strong>la</strong> raideur k est donc liée <strong>à</strong><br />
une augmentation de <strong>la</strong> puissance mécanique avec <strong>la</strong><br />
charge. L’<strong>adaptation</strong> <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> pourrait ainsi<br />
s’expliquer par <strong>la</strong> réponse <strong>à</strong> <strong>la</strong> charge des éléments<br />
contractiles d’actine et de myosine. Ces éléments agissent<br />
comme des générateurs de force et l’<strong>adaptation</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong><br />
serait un phénomène d’<strong>adaptation</strong> d’impédance<br />
mécanique (définie comme le rapport charge sur vitesse).<br />
Sur substrats mous, les générateurs de force sont<br />
–0,2<br />
–0,2<br />
faiblement chargés, <strong>la</strong> vitesse de contraction est élevée et<br />
l’énergie consommée pour produire <strong>la</strong> contraction est<br />
perdue en friction interne dans les fibres. <strong>à</strong> mesure que<br />
l’on augmente <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> du substrat, <strong>la</strong> vitesse de contraction<br />
diminue et, avec elle, <strong>la</strong> dissipation interne. L’appareil<br />
contractile devient plus efficace avec <strong>la</strong> charge. Ce phénomène<br />
a d’ailleurs été décrit très tôt dans le cas des muscles<br />
et porte le nom d’effet Fenn.<br />
Nous avons alors cherché <strong>à</strong> voir si les re<strong>la</strong>tions forcevitesse<br />
et charge-puissance des cellules isolées pouvaient<br />
se comparer aux re<strong>la</strong>tions obtenues pour les muscles. Or,<br />
un des résultats les plus frappants dans le cas des muscles<br />
est qu’il est possible de rassembler les données obtenues<br />
pour différents types muscu<strong>la</strong>ires sur une courbe maîtresse.<br />
En normalisant les vitesses par <strong>la</strong> vitesse maximale<br />
V max de contraction sous charge nulle, et les forces par <strong>la</strong><br />
force d’arrêt F max , c’est-<strong>à</strong>-dire <strong>la</strong> charge <strong>à</strong> <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> vitesse<br />
de contraction s’annule (V = 0), on aboutit <strong>à</strong> l’équation<br />
universelle adimensionnée de Hill : (f + r)(v + r) = (1 + r)r,<br />
F<br />
F max<br />
0<br />
0,2<br />
0,4<br />
F/F max<br />
0,6<br />
– 0,2<br />
1,2<br />
Figure 3 – Lorsque les données de <strong>la</strong> figure 2 sont représentées en variables<br />
adimensionnées, les re<strong>la</strong>tions force-vitesse (carrés b<strong>la</strong>ncs) et chargepuissance<br />
(disques noirs) obtenues pour une cellule isolée correspondent<br />
bien <strong>à</strong> celles des muscles (courbes bleue et rouge). <strong>à</strong> charge nulle, <strong>la</strong> vitesse<br />
de contraction est maximale et toute l’énergie produite par <strong>la</strong> cellule est<br />
dissipée en friction interne. <strong>à</strong> charge maximale, l’énergie est employée <strong>à</strong><br />
bander <strong>la</strong> structure <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> sans pour autant pouvoir déformer le substrat<br />
(tétanisation). Dans ces deux cas limites, <strong>la</strong> puissance mécanique utile est<br />
nulle (figure reprise de Mitrossilis et al. PNAS 2009).<br />
avec f = , v =<br />
V<br />
, où r est une constante de l’ordre de<br />
V max<br />
1/4 pour tous les muscles. Nous avons alors mesuré F max<br />
et V max pour nos cellules isolées lors d’expériences spécifiques<br />
effectuées respectivement <strong>à</strong> déformation et charge<br />
nulle. Les re<strong>la</strong>tions force-vitesse et charge-puissance adimensionnées<br />
obtenues pour les cellules uniques se sont<br />
révélées en parfait accord avec l’équation de Hill adimensionnée<br />
(figure 3).<br />
<strong>à</strong> ce stade, il est apparu possible que <strong>la</strong> réponse <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong><br />
<strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> puisse être le reflet de l’<strong>adaptation</strong> des<br />
0,8<br />
1<br />
75
Bio<strong>physique</strong><br />
générateurs de force <strong>à</strong> <strong>la</strong> charge. Ce mécanisme d’<strong>adaptation</strong><br />
<strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> est par nature très différent des modèles<br />
qui impliquent une régu<strong>la</strong>tion de <strong>la</strong> contractilité <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong><br />
via des cascades biochimiques (encadré 1). Une différence<br />
notable entre ces deux processus réside dans le temps<br />
caractéristique de réponse. Une réponse de type purement<br />
mécanique, comme dans le cas d’une <strong>adaptation</strong><br />
d’impédance, doit être quasi-instantanée. En revanche,<br />
des boucles de régu<strong>la</strong>tion chimique déclenchées au niveau<br />
local des adhésions, amplifiées et coordonnées <strong>à</strong> l’échelle<br />
de <strong>la</strong> cellule dans son ensemble, exigeraient au minimum<br />
quelques secondes. C’est ainsi que nous avons cherché <strong>à</strong><br />
révéler <strong>la</strong> cinétique de réponse de <strong>la</strong> cellule <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong>,<br />
mais ce<strong>la</strong> exigeait au préa<strong>la</strong>ble de mettre au point un procédé<br />
permettant de changer, en temps réel, <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> perçue<br />
par une cellule vivante.<br />
a<br />
Force (nN)<br />
400<br />
300<br />
200<br />
100<br />
0<br />
0 200 400 600 800 1000<br />
90<br />
5<br />
1200<br />
Raideur effective (nN/µm)<br />
Raideur effective et réponse<br />
instantanée <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong><br />
Lorsqu’une cellule se contracte entre les micro<strong>la</strong>melles<br />
de notre appareil <strong>à</strong> force, <strong>la</strong> déformation <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong><br />
et <strong>la</strong> déformation de <strong>la</strong> <strong>la</strong>melle-ressort sont égales<br />
(figure 1). La re<strong>la</strong>tion force-déformation est donc imposée<br />
par <strong>la</strong> micro-<strong>la</strong>melle dont <strong>la</strong> raideur contrôle ainsi le point<br />
de fonctionnement de <strong>la</strong> machinerie contractile de <strong>la</strong> cellule.<br />
Pour nous affranchir de <strong>la</strong> raideur <strong>physique</strong> de <strong>la</strong><br />
<strong>la</strong>melle-ressort, nous avons développé un système de<br />
double rétroaction qui nous permet de contrôler indépendamment<br />
déformation <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> et déformation de <strong>la</strong><br />
<strong>la</strong>melle-ressort (encadré 2). Nous pouvons ainsi imposer, <strong>à</strong><br />
loisir et en temps réel, une re<strong>la</strong>tion force-déformation<br />
arbitraire correspondant <strong>à</strong> une raideur effective comprise<br />
entre zéro et l’infini.<br />
Nous avons ainsi pu mesurer <strong>la</strong> force de traction générée<br />
par une cellule isolée soumise <strong>à</strong> des changements soudains<br />
et importants de <strong>la</strong> raideur effective, alternant par<br />
exemple entre 5 et 90 nN/μm (figure 4a). <strong>à</strong> titre de comparaison,<br />
nous avons reporté sur le même graphe les courbes<br />
de traction obtenues avec des ressorts de raideurs équivalentes<br />
aux valeurs de k eff (5 et 90 nN/μm). La première<br />
observation est que <strong>la</strong> pente dF/dt change <strong>à</strong> chaque changement<br />
de raideur effective. De plus, que <strong>la</strong> valeur de <strong>la</strong> raideur<br />
soit simulée ou corresponde <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> vraie d’une<br />
<strong>la</strong>melle-ressort, les pentes observées sont identiques. La<br />
cellule se comporte donc vis-<strong>à</strong>-vis du système <strong>à</strong> raideur<br />
effective comme elle le fait avec de vrais ressorts, adaptant<br />
dF/dt (et donc <strong>la</strong> vitesse de contraction et <strong>la</strong> puissance<br />
mécanique) <strong>à</strong> <strong>la</strong> raideur perçue de son environnement.<br />
Ensuite, il apparaît que le paramètre de contrôle de <strong>la</strong><br />
réponse <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> est bien <strong>la</strong> raideur et non le niveau de<br />
force cellule-substrat. D’une part, on observe que les changements<br />
de raideur effective (par définition, discontinuité<br />
de k eff ) ont lieu sans discontinuité pour <strong>la</strong> valeur de <strong>la</strong><br />
force F. D’autre part, deux changements identiques de k eff<br />
effectués <strong>à</strong> différentes valeurs de force induisent le même<br />
b<br />
Force (nN)<br />
206<br />
204<br />
202<br />
200<br />
198<br />
196<br />
1010<br />
1015<br />
1020<br />
Temps (s)<br />
1025<br />
1030<br />
Figure 4 – (a) évolution de <strong>la</strong> force de traction (bleu) lors d’une expérience<br />
où <strong>la</strong> raideur effective (rouge) est commutée de 5 <strong>à</strong> 90 nN/μm et vice<br />
versa. Les points en noir servent de références ; ils correspondent aux<br />
résultats obtenus avec des <strong>la</strong>melles-ressorts de raideurs équivalentes<br />
aux valeurs de k eff choisies (disques pleins : 5 nN/μm – disques vides :<br />
90 nN/μm). On observe que, pour une valeur de raideur donnée,<br />
dF/dt est <strong>la</strong> même que <strong>la</strong> raideur soit réelle ou effective. Par ailleurs, <strong>la</strong> valeur<br />
de dF/dt est c<strong>la</strong>irement contrôlée par k eff , et non par le niveau de <strong>la</strong> force F.<br />
Par exemple, pour deux niveaux de forces différents, le passage de <strong>la</strong> valeur<br />
de raideur haute, <strong>à</strong> <strong>la</strong> valeur basse, induit <strong>la</strong> même modification de dF/dt. (b)<br />
Détail sur un changement de raideur effective. La force générée par <strong>la</strong> cellule<br />
est relevée <strong>à</strong> intervalles de 0,1 seconde (points bleus). On ne peut distinguer<br />
de régime transitoire entre les pentes dF/dt avant et après le changement<br />
de raideur effective. L’<strong>adaptation</strong> de <strong>la</strong> contractilité <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> a donc lieu en<br />
moins de 0,1 seconde (figure adaptée de Mitrossilis et al. PNAS 2010).<br />
changement de pente dF/dt. Cette observation est en désaccord<br />
avec les modèles admis jusque l<strong>à</strong> qui supposaient que<br />
<strong>la</strong> réponse <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> est contrôlée par le niveau de force<br />
appliqué <strong>à</strong> certaines molécules mécano-sensibles.<br />
Enfin, si l’on se concentre sur un changement de raideur<br />
donné (figure 4b), on observe que le changement de<br />
dF/dt (pente locale de <strong>la</strong> courbe de force) a lieu brutalement,<br />
sans que l’on puisse percevoir un quelconque<br />
régime transitoire. L’<strong>adaptation</strong> de <strong>la</strong> contractilité <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong><br />
<strong>à</strong> <strong>la</strong> raideur se fait donc sur une échelle de temps plus<br />
rapide que <strong>la</strong> résolution temporelle de notre système d’acquisition,<br />
c’est-<strong>à</strong>-dire en moins de 0,1 seconde. Les<br />
90<br />
5<br />
Raideur effective (nN/µm)<br />
76
<strong>Mécano</strong>-<strong>sensibilité</strong> <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> : <strong>adaptation</strong> <strong>physique</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong><br />
Encadré 2<br />
Raideur modu<strong>la</strong>ble en temps réel : principe et mise en œuvre<br />
L 0<br />
L(t)<br />
δ(t)<br />
k 0<br />
t = 0<br />
t > 0<br />
a<br />
Raideur <strong>physique</strong> k 0<br />
k 0<br />
k 0<br />
δ(t)<br />
L 0<br />
b<br />
t = 0<br />
Raideur effective k eff = ∞<br />
t > 0<br />
L 0<br />
D(t)<br />
Figure E3 – (a) Sur substrats é<strong>la</strong>stiques, contraction <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> et<br />
déformation du substrat sont liées. Le substrat impose sa re<strong>la</strong>tion<br />
force-déformation. (b) Une double boucle de rétroaction maintient <strong>la</strong><br />
position du contact cellule-ressort fixe dans le temps. Ce<strong>la</strong> permet de<br />
contrôler indépendamment <strong>la</strong> déformation du substrat é<strong>la</strong>stique (dL ress )<br />
et le raccourcissement <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> (dL cell ). La re<strong>la</strong>tion force-déformation<br />
imposée <strong>à</strong> <strong>la</strong> cellule peut donc être choisie arbitrairement en jouant sur le<br />
rapport entre les deux signaux de commande (figure issue de Mitrossilis<br />
et al. PNAS 2010).<br />
Pour mesurer les forces développées par les cellules<br />
vivantes, on utilise des dispositifs basés sur <strong>la</strong> déformation<br />
d’un substrat ou d’une sonde é<strong>la</strong>stique. Ces systèmes agissent<br />
comme des ressorts dont <strong>la</strong> déformation est égale <strong>à</strong> <strong>la</strong> déformation<br />
<strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>, dL ress = dL cell (figure E3a). Dans ces conditions,<br />
<strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion force-déformation est imposée par le ressort<br />
dont <strong>la</strong> raideur fixe ainsi le point de fonctionnement de <strong>la</strong><br />
machinerie <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>. Pour s’affranchir de <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> du substrat,<br />
il faut découpler <strong>la</strong> déformation <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> de celle de son<br />
support. Ceci peut être réalisé grâce <strong>à</strong> un système de double<br />
boucle de rétroaction, l’une contrô<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> déflexion du ressort<br />
(donc <strong>la</strong> force), <strong>la</strong> deuxième imposant <strong>la</strong> variation de longueur<br />
<strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>, c’est-<strong>à</strong>-dire sa déformation (figure E3b).<br />
La mise en œuvre concrète de <strong>la</strong> méthode de <strong>la</strong> raideur<br />
effective sur le dispositif <strong>à</strong> <strong>la</strong>mes parallèles est illustrée sur <strong>la</strong><br />
figure E4. Dans le cas où aucune rétroaction n’est <strong>à</strong> l’œuvre<br />
(figure E4a), <strong>la</strong> cellule, en se contractant, défléchit <strong>la</strong> <strong>la</strong>melle<br />
souple vers <strong>la</strong> <strong>la</strong>melle rigide. La déflexion de <strong>la</strong> <strong>la</strong>melle<br />
souple est égale au raccourcissement <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> (δ = ∆L) : <strong>la</strong><br />
raideur perçue par <strong>la</strong> cellule F est simplement celle de <strong>la</strong><br />
∆L<br />
<strong>la</strong>melle flexible, F = k<br />
∆ L 0<br />
. Pour mimer une raideur infinie<br />
(figure E4b), au fur et <strong>à</strong> mesure que <strong>la</strong> cellule tire sur les<br />
<strong>la</strong>melles, une boucle d’asservissement maintient <strong>la</strong> pointe de<br />
<strong>la</strong> <strong>la</strong>melle flexible <strong>à</strong> sa position initiale en appliquant <strong>à</strong> cette<br />
<strong>la</strong>melle une déflexion δ. On contreba<strong>la</strong>nce ainsi <strong>la</strong> force de<br />
traction <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> tout en maintenant fixe <strong>la</strong> distance entre<br />
c<br />
t = 0<br />
Raideur effective k eff = 0<br />
L 0<br />
D(t)<br />
t > 0<br />
t = 0 t > 0<br />
δ(t)<br />
d Raideur effective keff = k 0 D(t)<br />
Figure E4 – Quelques protocoles expérimentaux représentatifs.<br />
(a) Le dispositif usuel, sans aucune rétroaction. (b) Protocole <strong>à</strong> k eff infinie.<br />
(c) Expérience <strong>à</strong> k eff = 0. (d) Cas général : 0 < k eff < ∞ (Figure issue de<br />
Mitrossilis et al. PNAS 2010).<br />
les <strong>la</strong>melles. La cellule se tétanise. Elle applique une force<br />
F = k 0 δ sans pouvoir se raccourcir (∆L = 0) et k<br />
F<br />
eff<br />
= est ∆ L<br />
donc infinie. Pour tester l’effet d’une raideur nulle<br />
(figure E4c), <strong>la</strong> pointe de <strong>la</strong> <strong>la</strong>melle souple est cette fois-ci<br />
maintenue en p<strong>la</strong>ce en appliquant un dép<strong>la</strong>cement D <strong>à</strong> <strong>la</strong><br />
<strong>la</strong>melle rigide. Ainsi, <strong>la</strong> cellule se raccourcit (∆L = D) sans<br />
appliquer de force (F = 0) et k eff = 0. Dans le cas plus général<br />
(0 < k eff < ∞, figure E4d), deux commandes sont envoyées<br />
simultanément pour maintenir <strong>la</strong> pointe de <strong>la</strong> <strong>la</strong>melle souple<br />
dans sa position initiale. La <strong>la</strong>melle rigide est dép<strong>la</strong>cée de D,<br />
alors que <strong>la</strong> <strong>la</strong>melle flexible est défléchie de δ. Dans ces<br />
conditions, <strong>la</strong> force générée par <strong>la</strong> cellule est bien F = k 0 δ et<br />
le raccourcissement <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> donné par ∆L = D. La valeur<br />
de keff<br />
=<br />
F<br />
= k<br />
∆L<br />
0 δ peut donc être choisie <strong>à</strong> loisir en fixant le<br />
D<br />
rapport δ des deux signaux de commande.<br />
D<br />
k 0<br />
δ(t)<br />
77
Bio<strong>physique</strong><br />
boucles biochimiques de régu<strong>la</strong>tion de l’adhésion et de <strong>la</strong><br />
contractilité ne peuvent expliquer une réponse aussi<br />
rapide <strong>à</strong> l’échelle de <strong>la</strong> cellule dans son ensemble. Les<br />
temps caractéristiques reportés dans <strong>la</strong> littérature sont en<br />
effet de 0,3 s pour une signalisation locale <strong>à</strong> partir d’un<br />
complexe d’adhésion, de l’ordre de <strong>la</strong> vingtaine de<br />
secondes <strong>à</strong> quelques minutes pour remodeler <strong>la</strong> structure<br />
d’un complexe d’adhésion, et plus d’une quarantaine de<br />
minutes pour former des fibres de stress (fibres tensiles<br />
d’actine et de myosine organisées <strong>à</strong> l’échelle <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>).<br />
Conclusions<br />
Nos résultats montrent qu’un changement soudain de<br />
<strong>la</strong> raideur effective perçue par une cellule isolée induit<br />
une réponse quasi-instantanée (dF/dt adaptée en moins<br />
de 0,1 seconde). Cette réponse est trop rapide pour s’expliquer<br />
par les cascades biochimiques de régu<strong>la</strong>tion de l’activité<br />
<strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> invoquées jusqu’alors. De fait, cette<br />
<strong>adaptation</strong> <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> précoce est certainement de nature<br />
purement mécanique et pourrait s’expliquer par un phénomène<br />
d’<strong>adaptation</strong> d’impédance mécanique.<br />
Notons qu’un des points forts de <strong>la</strong> méthode de raideur<br />
effective présentée ici est qu’elle peut être mise en<br />
œuvre sur tout système de mesure de force, qu’il soit<br />
mécanique ou non, et quelle que soit l’échelle spatiale<br />
sondée. On pourrait ainsi l’appliquer au microscope <strong>à</strong><br />
force atomique ou aux pinces optiques pour étudier <strong>la</strong><br />
dynamique de réponse <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong> au niveau molécu<strong>la</strong>ire,<br />
ou du moins au niveau des différentes sous-structures <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong>s.<br />
Inversement, ce procédé pourrait équiper des<br />
systèmes plus macroscopiques pour étudier l’effet de <strong>la</strong><br />
<strong>rigidité</strong> sur le développement (morphogénèse, embryogénèse)<br />
ou même <strong>la</strong> croissance des p<strong>la</strong>ntes.<br />
Pour le moment, nous travaillons sur un dispositif<br />
coup<strong>la</strong>nt micro-<strong>la</strong>melles <strong>à</strong> raideur effective et microscopie<br />
de fluorescence <strong>à</strong> ondes évanescentes. Dans ce dispositif,<br />
l’interface cellule-substrat est éc<strong>la</strong>iré <strong>à</strong> l’angle de réflexion<br />
totale. De ce fait, seule l’onde évanescente pénètre l’échantillon<br />
et l’on ne visualise que les protéines des complexes<br />
d’adhérence qui sont immédiatement au contact du substrat.<br />
Le système couplé (raideur effective-ondes évanescentes)<br />
devrait nous renseigner sur <strong>la</strong> manière dont les<br />
processus <strong>physique</strong>s (contractilité, tension <strong>à</strong> l’échelle de <strong>la</strong><br />
cellule dans son ensemble) et biochimiques (régu<strong>la</strong>tions<br />
locales au niveau des adhésions) sont intégrés pour permettre<br />
l’<strong>adaptation</strong> <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>rigidité</strong>. L’intégration<br />
des signaux de différentes natures et <strong>à</strong> différentes échelles<br />
est en effet indispensable pour permettre des processus<br />
fondamentaux comme <strong>la</strong> migration <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong> qui<br />
implique une <strong>adaptation</strong> permanente de <strong>la</strong> structure <strong>cellu<strong>la</strong>ire</strong><br />
<strong>à</strong> son environnement.<br />
POUR EN SAVOIR PLUS<br />
Discher D., Janmey P., Wang Y. « Tissue cells feel and respond<br />
to the stiffness of their substrate », Science, 310,<br />
1139-43 (2005).<br />
Vogel V., Sheetz M., « Local force and geometry sensing regu<strong>la</strong>te<br />
cell functions », Nat. Rev. Mol. Cell. Biol., 7, 265-75<br />
(2006).<br />
Mitrossilis D., Fouchard J., Guiroy A., Desprat N., Rodriguez<br />
N., Fabry B. et al., « Single-cell response to stiffness<br />
exhibits muscle-like behavior », Proc. Natl. Acad. Sci.<br />
USA, 106, 18243-8 (2009).<br />
Mitrossilis D., Fouchard J., Pereira D., Postic F., Richert A.,<br />
Saint-Jean M. et al., « Real-time single cell response to<br />
stiff ness », Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 107, 16518-23<br />
(2010).<br />
Ont également participé aux travaux présentés dans cet<br />
article : N. Desprat, B. Fabry, A. Guiroy, D. Pereira, F. Postic,<br />
A. Richert, N. Rodriguez et M. Saint-Jean.<br />
78