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L’analyse de toute production langagière doit donc faire la distinction entre le sujet parlant, le locuteur et l’énonciateur : - le sujet parlant est un être empirique, le producteur effectif, physique, des paroles. Il n’a pas de place prévue dans la structure sémantique de l’énoncé, c’est-à-dire dans la description que celui-ci donne de son énonciation ; - le locuteur est un être de la fiction discursive, quelqu’un à qui on doit imputer la responsabilité des énoncés et le centre déictique ; - l’énonciateur est responsable de l’acte illocutoire 22 . C’est une instance qui est censée « s’exprimer à travers l’énonciation, sans que pour autant on [lui] attribue des mots précis ; [si elle] ‘parl[e]’, c’est seulement en ce sens que l’énonciation est vue comme exprimant [son] point de vue, [sa] position, [son] attitude, mais non pas, au sens matériel du terme, [ses] paroles ». Le locuteur apparaît comme un metteur en scène : « le locuteur, responsable de l’énoncé, donne existence, au moyen de celui-ci, à des énonciateurs dont il organise les points de vue et les attitudes » (1984 : 204ss). La fonction que remplit l’énonciateur se rapproche, selon Ducrot lui-même, de la focalisation genettienne (cf. 1.5.1), qui correspond à la perspective choisie pour présenter les événements, ou au « sujet de conscience » (Ducrot 1984 : 208). Le discours rapporté, dans ce schéma, est un énoncé dans lequel locuteur et énonciateur ne coïncident pas, selon différentes modalités que nous examinerons dans la partie suivante (1.4). Nous devons avant cela préciser la définition du discours rapporté et le délimiter par rapport à d’autres formes de reprise. Le DR est la représentation dans une énonciation d’une autre énonciation. Comme le souligne Authier-Revuz (1992 : 10), « ce que rapporte un DR ce n’est pas une phrase ou un énoncé, c’est un acte d’énonciation». Le discours rapporté peut se situer avant, après ou quasiment au même moment que l’énonciation cadre. Les paroles peuvent être proférées ou pensées (quelquefois sans qu’il soit possible de le déterminer), réelles ou virtuelles. L’exemple suivant montre par ailleurs que l’autre peut être soi-même, dans une situation de DR où seul le temps change 23 : 22 Ducrot (1989) explique que sa distinction entre locuteur et énonciateur a été inspirée par la distinction de Bally entre sujet communiquant et sujet modal. 23 Il n’y a que dans les cas d’une énonciation niée que l’énonciation rapportée et l’énonciation produite, à la première personne, peuvent coïncider : « Ich sage nicht x, sondern y ». - 30 -

(1) Dieser Aufenthalt im Kunsthistorischen Museum ist zweifellos eine der Voraussetzungen dafür, daß Reger so für die Times schreiben kann, wie er für die Times schreibt, sagte ich zu Irrsigler, ganz gleich, ob mich nun Irrsigler verstanden hat oder nicht, wahrscheinlich hat mich Irrsigler gar nicht verstanden, dachte ich und denke ich genauso jetzt. (Bernhard, Alte Meister : 19) Le discours rapporté peut lui-même être un discours rapporteur, comme en témoigne l’exemple suivant : (2) Ob Sie es glauben oder nicht, so der Engländer, so Reger zu mir, der gleiche Weißbärtige Mann von Tintoretto, der in meinem Schlafzimmer in Wales hängt, hängt auch hier. (Bernhard, Alte Meister : 151) La définition de l’énonciation est celle d’un acte de production d’un énoncé se manifestant par un couple locuteur-allocuté, un code, un repère temporel et spatial, une implication affective ou évaluative et les données environnantes. Le discours rapporté suppose deux situations d’énonciation, dont l’une a pour vocation de faire entendre l’autre. La situation d’énonciation est constituée de plusieurs paramètres, et le DR est la représentation d’une sélection de paramètres. Reconstituer la totalité de la situation d’énonciation est proche de l’utopie au vu de la multiplicité des paramètres de l’énonciation, de l’étendue de la situation d’énonciation et de son caractère dynamique. En effet, la situation d’énonciation n’est pas une entité figée mais une entité qui se construit en partie au cours de la communication : On entend par contexte un ensemble de données aussi hétérogène qu’étendu (et ce théoriquement à l’infini, car, de proche en proche, le contexte en vient à englober la totalité de l’univers physique et social) […] Donné à l’ouverture de l’interaction, le contexte est en même temps construit dans et par la façon dont celle-ci se déroule ; définie d’entrée, la situation est sans cesse redéfinie par l’ensemble des événements conversationnels : cette dynamique concerne par exemple : - la compétence encyclopédique des participants […] - le but de l’échange, qui lui préexiste tout en étant au coup par coup renégocié - l’identité et le statut des participants […] - la relation […] qui joue entre les interlocuteurs […] Corrélativement, les unités textuelles doivent être envisagées à la fois comme déterminées par le contexte, et comme le construisant progressivement (Kerbrat-Orecchioni 1998 : 106ss) Comme le montrent les deux exemples suivants, le DR représente une énonciation dans une autre en sélectionnant certains paramètres de la situation d’énonciation seconde. Le premier exemple est un erlebte Rede : (3) Frau Stuht aus der Glockengießerstraße hatte wieder einmal Gelegenheit, in den ersten Kreisen zu verkehren, indem sie Mamsell Jungmann und die Schneiderin am Hochzeitstage bei Tony’s Toilette unterstützte. Sie hatte, strafe sie Gott, niemals eine schönere Braut gesehen [...]. (Mann, Buddenbrooks : 164) - 31 -

L’analyse <strong>de</strong> toute production langagière doit donc faire la distinction entre le sujet parlant,<br />

le locuteur et l’énonciateur :<br />

- le sujet parlant est un être empirique, le producteur effectif, physique, <strong>de</strong>s paroles. Il n’a<br />

pas <strong>de</strong> place prévue dans la structure sémantique <strong>de</strong> l’énoncé, c’est-à-dire dans la<br />

<strong>de</strong>scription que celui-ci donne <strong>de</strong> son énonciation ;<br />

- le locuteur est un être <strong>de</strong> la fiction discursive, quelqu’un à qui on doit imputer la<br />

responsabilité <strong>de</strong>s énoncés et le centre déictique ;<br />

- l’énonciateur est responsable <strong>de</strong> l’acte illocutoire 22 . C’est une instance qui est censée<br />

« s’exprimer à travers l’énonciation, sans que pour autant on [lui] attribue <strong>de</strong>s mots<br />

précis ; [si elle] ‘parl[e]’, c’est seulement en ce sens que l’énonciation est vue comme<br />

exprimant [son] point <strong>de</strong> vue, [sa] position, [son] attitu<strong>de</strong>, mais non pas, au sens matériel<br />

du terme, [ses] paroles ». Le locuteur apparaît comme un metteur en scène : « le<br />

locuteur, responsable <strong>de</strong> l’énoncé, donne existence, au moyen <strong>de</strong> celui-ci, à <strong>de</strong>s<br />

énonciateurs dont il organise les points <strong>de</strong> vue et les attitu<strong>de</strong>s » (1984 : 204ss). La<br />

fonction que remplit l’énonciateur se rapproche, selon Ducrot lui-même, <strong>de</strong> la<br />

focalisation genettienne (cf. 1.5.1), qui correspond à la perspective choisie pour<br />

présenter les événements, ou au « sujet <strong>de</strong> conscience » (Ducrot 1984 : 208).<br />

Le discours rapporté, dans ce schéma, est un énoncé dans lequel locuteur et énonciateur ne<br />

coïnci<strong>de</strong>nt pas, selon différentes modalités que nous examinerons dans la partie suivante<br />

(1.4). Nous <strong>de</strong>vons avant cela préciser la définition du discours rapporté et le délimiter par<br />

rapport à d’autres formes <strong>de</strong> reprise.<br />

Le DR est la représentation dans une énonciation d’une autre énonciation. Comme le<br />

souligne Authier-Revuz (1992 : 10), « ce que rapporte un DR ce n’est pas une phrase ou un<br />

énoncé, c’est un acte d’énonciation». Le discours rapporté peut se situer avant, après ou<br />

quasiment au même moment que l’énonciation cadre. Les paroles peuvent être proférées ou<br />

pensées (quelquefois sans qu’il soit possible <strong>de</strong> le déterminer), réelles ou virtuelles.<br />

L’exemple suivant montre par ailleurs que l’autre peut être soi-même, dans une situation <strong>de</strong><br />

DR où seul le temps change 23 :<br />

22 Ducrot (1989) explique que sa distinction entre locuteur et énonciateur a été inspirée par la distinction <strong>de</strong><br />

Bally entre sujet communiquant et sujet modal.<br />

23 Il n’y a que dans les cas d’une énonciation niée que l’énonciation rapportée et l’énonciation produite, à la<br />

première personne, peuvent coïnci<strong>de</strong>r : « Ich sage nicht x, son<strong>de</strong>rn y ».<br />

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