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commence qu’avec « le calme du tombeau », que les italiques de connotation autonymique invitent fortement à lire comme du DIL. Si notre hypothèse est la bonne, l’erreur dans l’analyse de Ducrot reposerait sur les limites et le cadre syntaxique à donner au DIL 146 . La définition que nous avons retenue du DIL permet de penser que celui-ci peut être partiel. Nous rejoignons en cela les descriptions de G. Steinberg (1971 : 100-105), de M. Hirsch (1980b) et de M. Vuillaume (1996) et confirmons l’intuition de M. Lips (1926), qui avait relevé des cas de DIL partiel, qu’elle désigne comme un discours indirect introduit « subrepticement » (1926 : 46ss) dans le discours du narrateur : (135) Car, au fond permanent d’œufs, de côtelettes, de pommes de terre, de confitures, de biscuits, qu’elle ne nous annonçait même plus, Françoise ajoutait […] : une barbue parce que la marchande lui en avait garanti la fraîcheur, une dinde parce qu’elle en avait vu une belle au marché de Roussainville-le-Pin, des cardons à la moelle parce qu’elle ne nous en avait pas encore fait de cette manière-là, un gigot rôti parce que le grand air creuse et qu’il avait bien le temps de descendre d’ici sept heures, des épinards pour changer, des abricots parce que c’était encore une rareté, des groseilles parce que dans quinze jours il n’y en aurait plus, des framboises que M. Swann avait apportées exprès […]. (Proust, Du côté de chez Swann, cité par Lips 1926 : 47) 147 L’argumentation de Hirsch (1980b) en faveur d’un DIL limité à des constituants prédicatifs est reprise et développée par Vuillaume (1996). Dans les deux exemples suivants, l’appréciation subjective est un indice de DIL ; la proposition dans son entier n’est toutefois pas du DIL, mais une narration avec le point de vue d’un personnage. (136) Malheureusement, à la fin de la deuxième année, M. Goriot justifia les bavardages dont il était l’objet, en demandant à Mme Vauquer de passer au second étage, et de réduire sa pension à neuf cents francs [...]. Ce fut à qui devinerait les causes de cette décadence. Exploration difficile ! Comme l’avait dit la comtesse, le père Goriot était un sournois, un taciturne [...]. Ce négociant si distingué devint un fripon, ce galantin fut un vieux drôle. (Balzac, Le Père Goriot, cité par Hirsch 1980b : 97) (137) Une fois là-bas, mon oncle Jules s’établit marchand de je ne sais quoi, et il écrivit qu’il gagnait un peu d’argent et qu’il espérait dédommager mon père du tort qu’il lui avait fait. Cette lettre causa dans la famille une émotion profonde. Jules, qui ne valait pas, comme on dit, les quatre fers d’un chien, devint tout à coup un honnête homme, un garçon de cœur, un vrai Davranche, intègre comme tous les Davranche. (Maupassant, Contes et nouvelles, cité par Vuillaume 1996 : 61) 146 Ducrot cite certes des DIL qui n’apparaissent pas dans la proposition principale mais uniquement dans la subordonnée, mais la portée reste phrastique : « Cependant, elle soupira : - Ce qu'il y a de plus lamentable, n’est-ce pas, c’est de traîner, comme moi, une existence inutile ? Si nos douleurs pouvaient servir à quelqu’un, on se consolerait dans la pensée du sacrifice ! Il se mit à vanter la vertu, le devoir et les immolations silencieuses, ayant lui-même un incroyable besoin de dévouement qu’il ne pouvait assouvir. » (Flaubert, Madame Bovary, cité par Ducrot (1980 : 57-58). 147 Lips se sert de la traduction en latin pour illustrer l’ambivalence d’un autre DIL partiel : « Car on apprit que l’ébéniste de notre cour, dont les ateliers n’étaient séparés de la boutique de Jupien que par une cloison fort mince, allait recevoir congé du gérant, parce qu’il frappait des coups trop bruyants. » (Proust, Du côté de Guermantes, cité par Lips 1926 : 47). L’énoncé désigne une cause indiquée par l’auteur ou une cause invoquée par le personnage, et la traduction serait soit quod percutiebat soit quod percuteret (1926 : 47). - 152 -

• Les valeurs de l’imparfait et du passé simple Le dernier argument est basé sur les valeurs de l’imparfait et du passé simple (Hirsch 1980a : 87ss ; Hirsch 1980b : 96ss ; Pérennec 1984 : 50 ; Vuillaume 1990 : 48 ; Vuillaume 1998 ; Mellet 2000). La littérature sur l’imparfait l’analyse le plus souvent dans son opposition au passé simple et s’inscrit dans trois paradigmes explicatifs principaux (Bres 1998 : 160) : a) l’aspect : imperfectif vs perfectif ; b) la référenciation : anaphorique vs non-anaphorique ; c) la textualité : non-progression vs progression, arrière-plan vs premier plan. Aussi bien la description de l’imparfait comme celle d’un temps imperfectif que celle d’un temps anaphorique rendent compte de la relation étroite entre l’imparfait et le DIL. Si l’on considère l’imparfait comme un temps imperfectif, ouvert, cette valeur s’accommode avec la représentation d’un discours : celui-ci est représenté en cours, et non pas sous une forme condensée par l’énonciateur citant. L’imperfectif donne à entendre les propos rapportés en accompagnant le déroulement de cette énonciation seconde. S. Mellet (2000 : 92) ajoute que le modèle aspectuel ne rend compte qu’insuffisamment de « l’adéquation totale entre imparfait et style indirect libre en contexte narratif passé ». L’auteur, se situant dans le cadre explicatif anaphorique, propose une description référentielle à double repère qui rejoint les analyses d’Authier-Revuz. L’auteur décrit les formes de l’imparfait comme des formes qui « impliquent toujours un double ancrage énonciatif : ce sont des formes qui, en soi, sont bi-vocales. (Authier-Revuz) » (Mellet 2000 : 92) 148 . User d’un imparfait, c’est en effet donner à voir un procès passé de l’intérieur, à partir d’un point de vue lui-même situé dans le passé, fourni préalablement par le contexte et instauré par celui-ci comme origine secondaire des repérages énonciatifs. Cette translation vers le passé des coordonnées déictiques n’occulte cependant pas entièrement le hic et nunc du narrateur, qui reste disponible comme repère ultime, ne serait-ce que pour permettre le calcul temporel faisait de l’imparfait un temps du passé. Le procès décrit à l’imparfait est donc, en tout contexte, soumis à un double repérage […] : simultanéité [...] avec la situation passée avec laquelle l’imparfait est en relation anaphorique et antériorité par rapport au nunc du narrateur ; ce double repérage est le propre d’une forme « toncale ». Selon l’auteur, le double repérage de l’imparfait justifie la corrélation entre l’imparfait et le discours indirect libre : [...] le discours rapporté suscite la présence dans le texte de deux sujets énonciateurs ; cette double présence active tout particulièrement la dualité du repérage énonciatif [...]. L’imparfait est donc 148 M. Pérennec (1984), sans s’inscrire dans le cadre d’une théorie anaphorique, propose également une description à double repérage de l’imparfait, dont « l’existence présuppose une relation entre l’énonciateur et le procès » (1984 : 50), et conclut sur l’incompatibilité du DIL et du passé simple, qui se construit sans référence à l’instance d’énonciation. - 153 -

commence qu’avec « le calme du tombeau », que les italiques <strong>de</strong> connotation autonymique<br />

invitent fortement à lire comme du DIL. Si notre hypothèse est la bonne, l’erreur dans<br />

l’analyse <strong>de</strong> Ducrot reposerait sur les limites et le cadre syntaxique à donner au DIL 146 . La<br />

définition que nous avons retenue du DIL permet <strong>de</strong> penser que celui-ci peut être partiel.<br />

Nous rejoignons en cela les <strong>de</strong>scriptions <strong>de</strong> G. Steinberg (1971 : 100-105), <strong>de</strong> M. Hirsch<br />

(1980b) et <strong>de</strong> M. Vuillaume (1996) et confirmons l’intuition <strong>de</strong> M. Lips (1926), qui avait<br />

relevé <strong>de</strong>s cas <strong>de</strong> DIL partiel, qu’elle désigne comme un discours indirect introduit<br />

« subrepticement » (1926 : 46ss) dans le discours du narrateur :<br />

(135) Car, au fond permanent d’œufs, <strong>de</strong> côtelettes, <strong>de</strong> pommes <strong>de</strong> terre, <strong>de</strong> confitures, <strong>de</strong> biscuits, qu’elle<br />

ne nous annonçait même plus, Françoise ajoutait […] : une barbue parce que la marchan<strong>de</strong> lui en<br />

avait garanti la fraîcheur, une din<strong>de</strong> parce qu’elle en avait vu une belle au marché <strong>de</strong><br />

Roussainville-le-Pin, <strong>de</strong>s cardons à la moelle parce qu’elle ne nous en avait pas encore fait <strong>de</strong><br />

cette manière-là, un gigot rôti parce que le grand air creuse et qu’il avait bien le temps <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>scendre d’ici sept heures, <strong>de</strong>s épinards pour changer, <strong>de</strong>s abricots parce que c’était encore une<br />

rareté, <strong>de</strong>s groseilles parce que dans quinze jours il n’y en aurait plus, <strong>de</strong>s framboises que M.<br />

Swann avait apportées exprès […]. (Proust, Du côté <strong>de</strong> chez Swann, cité par Lips 1926 : 47) 147<br />

L’argumentation <strong>de</strong> Hirsch (1980b) en faveur d’un DIL limité à <strong>de</strong>s constituants prédicatifs<br />

est reprise et développée par Vuillaume (1996). Dans les <strong>de</strong>ux exemples suivants,<br />

l’appréciation subjective est un indice <strong>de</strong> DIL ; la proposition dans son entier n’est toutefois<br />

pas du DIL, mais une narration avec le point <strong>de</strong> vue d’un personnage.<br />

(136) Malheureusement, à la fin <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième année, M. Goriot justifia les bavardages dont il était l’objet,<br />

en <strong>de</strong>mandant à Mme Vauquer <strong>de</strong> passer au second étage, et <strong>de</strong> réduire sa pension à neuf cents francs<br />

[...]. Ce fut à qui <strong>de</strong>vinerait les causes <strong>de</strong> cette déca<strong>de</strong>nce. Exploration difficile ! Comme l’avait dit la<br />

comtesse, le père Goriot était un sournois, un taciturne [...]. Ce négociant si distingué <strong>de</strong>vint un<br />

fripon, ce galantin fut un vieux drôle. (Balzac, Le Père Goriot, cité par Hirsch 1980b : 97)<br />

(137) Une fois là-bas, mon oncle Jules s’établit marchand <strong>de</strong> je ne sais quoi, et il écrivit qu’il gagnait un peu<br />

d’argent et qu’il espérait dédommager mon père du tort qu’il lui avait fait. Cette lettre causa dans la<br />

famille une émotion profon<strong>de</strong>. Jules, qui ne valait pas, comme on dit, les quatre fers d’un chien, <strong>de</strong>vint<br />

tout à coup un honnête homme, un garçon <strong>de</strong> cœur, un vrai Davranche, intègre comme tous les<br />

Davranche. (Maupassant, Contes et nouvelles, cité par Vuillaume 1996 : 61)<br />

146 Ducrot cite certes <strong>de</strong>s DIL qui n’apparaissent pas dans la proposition principale mais uniquement dans la<br />

subordonnée, mais la portée reste phrastique : « Cependant, elle soupira : - Ce qu'il y a <strong>de</strong> plus lamentable,<br />

n’est-ce pas, c’est <strong>de</strong> traîner, comme moi, une existence inutile ? Si nos douleurs pouvaient servir à quelqu’un,<br />

on se consolerait dans la pensée du sacrifice ! Il se mit à vanter la vertu, le <strong>de</strong>voir et les immolations<br />

silencieuses, ayant lui-même un incroyable besoin <strong>de</strong> dévouement qu’il ne pouvait assouvir. » (Flaubert,<br />

Madame Bovary, cité par Ducrot (1980 : 57-58).<br />

147 Lips se sert <strong>de</strong> la traduction en latin pour illustrer l’ambivalence d’un autre DIL partiel : « Car on apprit que<br />

l’ébéniste <strong>de</strong> notre cour, dont les ateliers n’étaient séparés <strong>de</strong> la boutique <strong>de</strong> Jupien que par une cloison fort<br />

mince, allait recevoir congé du gérant, parce qu’il frappait <strong>de</strong>s coups trop bruyants. » (Proust, Du côté <strong>de</strong><br />

Guermantes, cité par Lips 1926 : 47). L’énoncé désigne une cause indiquée par l’auteur ou une cause invoquée<br />

par le personnage, et la traduction serait soit quod percutiebat soit quod percuteret (1926 : 47).<br />

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