1 couverture - Bibliothèques de l'Université de Lorraine

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tableaux. 59 L’unique point commun qui les unit est leur objet : l’évocation de la puissance mongole. Mais au-dede la composition du roman on peut voir dans le principe du Monde avec Gengis Khan une conception du monde comme un théâtre : c’est une illustration moderne de l’idée classique de theatrum mundi. Certains passages de l’avant-propos du Monde avec Gengis Khan sont révélateurs à cet égard. Ils nuancent le sens dans lequel on peut assimiler le monde à un théâtre et l’histoire à un spectacle. Arrivé au terme de son exposé sur l’Europe, perdue en ce début de XIII e siècle dans un monde sans repères, Overhoff conclut : « De nouveau, tout débouche sur l’ouverture. Nous sommes captivés par ce spectacle. Pour les hommes d’alors, cela signifiait espoir et frayeur ». 60 En elle-même, « l’histoire du monde n’a rien d’un spectacle. » 61 Ce n’est que rétrospectivement que l’histoire est perçue comme spectacle. Le spectacle, c’est la représentation que nous en faisons : « représentation » prend alors tout son sens. 62 IV Sous le signe du voyage Une analyse générale du Monde avec Gengis Khan ne saurait cependant se limiter à l’examen de son caractère historique. C’est là certes sa principale caractéristique, mais le roman comporte également une autre dimension. Il se situe aussi dans la littérature de voyage. Overhoff en effet nous invite à la découverte du monde, ainsi qu’il l’indique dans son titre. Il conduit le lecteur à travers tout le Continent eurasiatique. Si Le Monde avec Gengis Khan est un voyage dans le temps, c’en est aussi un dans l’espace. Le voyage dans le temps nous emporte au XIII e siècle ; le voyage dans l’espace nous transporte dans toute l’Eurasie, c’est-àdire dans tout le monde alors connu. Le roman se révèle donc comme une transposition du principe de la littérature de voyage dans le domaine du roman historique. Faisant suite à l’ouvrage d’Overhoff sur l’Amérique latine, Le Monde avec Gengis Khan peut être lu selon une grille classique du récit de voyage qui se propose d’apporter une description des lieux visités, limitée ici au domaine des idées, des mentalités. C’est une succession de descriptions des mentalités des différentes 59 Exception à ce principe : l’un des deux Géorgiens du tableau 12 raconte son combat avec un Mongol, qu’il a terrassé en lui plantant sa lance dans le ventre et le laissant pour mort. C’est ce même Mongol, rescapé de ses blessures, qui tient le monologue du tableau 15. (cf. p. 147 et p. 188). 60 „Alles mündet wieder ins Offene. Uns fesselt das Schauspiel. Den Menschen der Zeit war es Hoffnung und Schrecken.“ (Le Monde avec Gengis Kahn, avant-propos, p. 18). 61 „Doch wahrlich nicht um Schauspiel geht es in der Weltgeschichte.“ (Inscriptions européennes, p. 109). 62 Le terme de „Schauspiel“, spectacle, revient constamment dans les Inscriptions européennes, souvent associé à son intensité : „Das macht dies Schauspiel atemraubend.“ (Ibid., p. 109). On trouvera infra dans la partie « Examen selon les principes du théâtre classique » une étude détaillée du roman sous cet aspect dramatique. 88

cités, des différentes provinces et des différents pays. Chaque tableau est une halte, une prise de vue. La classification des différentes catégories de la littérature de voyage établie par Joseph Strelka 63 est encore communément reçue : 1. les guides touristiques comme le Baedeker ; 2. les guides thématiques à tendance scientifique comme les guides culturels ; 3. les journaux de voyages, les récits de voyages ayant eu lieu ; 4. les romans décrivant des voyages inventés, comme, à l’époque moderne, Siddhartha d’Hermann Hesse ou Der kurze Brief zum langen Abschied de Peter Handke. Le Monde avec Gengis Khan n’entre directement dans aucune de ces rubriques de la littérature de voyage. Il ne décrit pas le voyage d’un héros. Pourtant, Le Monde avec Gengis Khan offre divers aspects par lesquels il se rattache à la quatrième catégorie : 1. Le lecteur est invité à effectuer un voyage fictif. 2. Il y a bien un sujet qui voyage à travers le roman. Mais, au lieu d’un héros, c’est une idée (une rumeur, une image) qui voyage, et dont le lecteur suit les métamorphoses, qui correspondent aux « aventures » rencontrées par les voyageurs, à travers les réactions des personnages dans les différents lieux décrits. 3. Cette rumeur naît d’une réalité : la conquêtre mongole, qui elle-même se déploie dans l’espace et le temps ; par définition, l’épopée de Gengis Khan est un voyage. 4. Les personnages à l’intérieur des tableaux sont eux-mêmes pour la plupart en mouvement. Ou bien ils reviennent de voyage (tableau 1), ou bien ils ont fait le voyage pour rencontrer un autre personnage (tableaux 2, 6), ou ils sont en train de voyager et font une halte (tableaux 8, 29), ou ils sont sur le point de partir (tableau 24), ou bien ils ont entendu des récits de voyageurs et s’entretiennent (tableau 17) ou les méditent dans la solitude (tableau 28). Cet aspect du roman revêt toute son importance quand on sait qu’Overhoff place l’histoire de l’humanité sous le signe du voyage, de la découverte, de l’attrait du voyage. Voyager était pour Overhoff une caractéristique innée de l’homme. 64 Le voyage, la soif de découvrir, de conquérir aussi, est un des moteurs de l’histoire de l’humanité. « L’immensité du monde et les possibilités qu’il recèle est pour l’enfant déjà une tentation frémissante. Elle emporte l’imagination de l’adulte et pousse les peuples à se mesurer à elle. C’est ainsi que s’accomplit 63 Cf. Joseph Strelka : Der literarische Reisebericht, in : Jahrbuch für Internationale Germanistik 34, 1971, pp. 63-75. 64 Cf. note 15 du chapitre I. 89

cités, <strong>de</strong>s différentes provinces et <strong>de</strong>s différents pays. Chaque tableau est une halte, une prise<br />

<strong>de</strong> vue.<br />

La classification <strong>de</strong>s différentes catégories <strong>de</strong> la littérature <strong>de</strong> voyage établie par<br />

Joseph Strelka 63 est encore communément reçue :<br />

1. les gui<strong>de</strong>s touristiques comme le Bae<strong>de</strong>ker ;<br />

2. les gui<strong>de</strong>s thématiques à tendance scientifique comme les gui<strong>de</strong>s culturels ;<br />

3. les journaux <strong>de</strong> voyages, les récits <strong>de</strong> voyages ayant eu lieu ;<br />

4. les romans décrivant <strong>de</strong>s voyages inventés, comme, à l’époque mo<strong>de</strong>rne, Siddhartha<br />

d’Hermann Hesse ou Der kurze Brief zum langen Abschied <strong>de</strong> Peter Handke.<br />

Le Mon<strong>de</strong> avec Gengis Khan n’entre directement dans aucune <strong>de</strong> ces rubriques <strong>de</strong> la<br />

littérature <strong>de</strong> voyage. Il ne décrit pas le voyage d’un héros. Pourtant, Le Mon<strong>de</strong> avec Gengis<br />

Khan offre divers aspects par lesquels il se rattache à la quatrième catégorie :<br />

1. Le lecteur est invité à effectuer un voyage fictif.<br />

2. Il y a bien un sujet qui voyage à travers le roman. Mais, au lieu d’un héros, c’est une<br />

idée (une rumeur, une image) qui voyage, et dont le lecteur suit les métamorphoses,<br />

qui correspon<strong>de</strong>nt aux « aventures » rencontrées par les voyageurs, à travers les<br />

réactions <strong>de</strong>s personnages dans les différents lieux décrits.<br />

3. Cette rumeur naît d’une réalité : la conquêtre mongole, qui elle-même se déploie dans<br />

l’espace et le temps ; par définition, l’épopée <strong>de</strong> Gengis Khan est un voyage.<br />

4. Les personnages à l’intérieur <strong>de</strong>s tableaux sont eux-mêmes pour la plupart en<br />

mouvement. Ou bien ils reviennent <strong>de</strong> voyage (tableau 1), ou bien ils ont fait le<br />

voyage pour rencontrer un autre personnage (tableaux 2, 6), ou ils sont en train <strong>de</strong><br />

voyager et font une halte (tableaux 8, 29), ou ils sont sur le point <strong>de</strong> partir (tableau 24),<br />

ou bien ils ont entendu <strong>de</strong>s récits <strong>de</strong> voyageurs et s’entretiennent (tableau 17) ou les<br />

méditent dans la solitu<strong>de</strong> (tableau 28).<br />

Cet aspect du roman revêt toute son importance quand on sait qu’Overhoff place l’histoire<br />

<strong>de</strong> l’humanité sous le signe du voyage, <strong>de</strong> la découverte, <strong>de</strong> l’attrait du voyage. Voyager était<br />

pour Overhoff une caractéristique innée <strong>de</strong> l’homme. 64 Le voyage, la soif <strong>de</strong> découvrir, <strong>de</strong><br />

conquérir aussi, est un <strong>de</strong>s moteurs <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’humanité. « L’immensité du mon<strong>de</strong> et les<br />

possibilités qu’il recèle est pour l’enfant déjà une tentation frémissante. Elle emporte<br />

l’imagination <strong>de</strong> l’adulte et pousse les peuples à se mesurer à elle. C’est ainsi que s’accomplit<br />

63 Cf. Joseph Strelka : Der literarische Reisebericht, in : Jahrbuch für Internationale Germanistik 34, 1971, pp.<br />

63-75.<br />

64 Cf. note 15 du chapitre I.<br />

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