1 couverture - Bibliothèques de l'Université de Lorraine

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printemps 1221. 5 Cette lettre contient le récit des victoires remportées sur les Musulmans par un nouveau roi David, 6 présenté comme un personnage historique. Elle contient aussi le texte d’une prophétie concernant la figure mythique du prêtre Jean (Revelationes beati Petri apostoli a discipulo eius Clemente in uno volumine redacte), annonçant la victoire des Chrétiens sur les païens. Il n’est pas historiquement attesté que cette lettre ait été lue publiquement. Au contraire, les lettres de Jacques de Vitry « restèrent presque complètement en dehors de la circulation : à aucun moment elles ne connurent une grande notoriété. » 7 Overhoff introduit un fait historique : les premières rumeurs concernant les Mongols et leur chef – sous les traits d’un roi David ou d’un prêtre Jean, le premier étant le fils ou du moins le descendant du second ou les deux n’étant qu’une seule et même personne – arrivèrent en Europe par le truchement des croisés assiégeant Damiette. Le légat du pape Pélage, qui commandait les troupes de Damiette, informa dans un texte proche de celui de la lettre de Jacques de Vitry – les deux reposant en partie sur une traduction réalisée par l’état-major des croisés –, 8 le pape Honorius III des succès de ce roi David. Le pape en fit répercuter la nouvelle par une circulaire à toutes les églises d’Occident. 9 L’Église voyait dans ce roi David ou dans ce prêtre Jean une aide providentielle dans sa lutte contre l’Islam. Overhoff s’est donc permis une légère entorse à la vérité historique : là où une circulaire pontificale circula dans les églises – qui s’inspirait de la lettre de Jacques de Vitry –, il fait lire la lettre de Jacques de Vitry lors des messes dominicales. Elle évoque la défaite des Géorgiens devant les portes de Tiflis, qui eut lieu en 1221. Ce fait fut donc connu en Occident, bien qu’il y ait confusion sur l’assaillant. Cette bataille devant Tiflis clôt le chapitre II du roman, au tableau 12. Celle-ci est donc antérieure au tableau 1. Entre le premier tableau du livre, évoquant les rumeurs et le dernier du deuxième chapitre, qui présente un assaillant concret, la réalité des Mongols a évolué de la légende à la rencontre. Overhoff montre donc des perceptions de la réalité diamétralement opposées bien qu’elles soient entièrement contemporaines. Il devient alors clair que les deux premiers chapitres forment une unité dans la structure du roman face aux trois chapitres suivants. 5 Ibid., p. 55. 6 En référence au roi David qui assura en Palestine la plus grande domination israélite de l’histoire. Il unit la Judée et Israël en 1006 avant J.-C. et fit de Jérusalem sa capitale. (Cf. Der Brockhaus : Atlas zur Geschichte. Epochen, Territorien, Ereignisse, Mannheim, 2005, p. 26). 7 Lettres de Jacques de Vitry, évêque de Saint-Jean d’Acre, édition critique par Robert B. C. Huygens, Leyde, 1960, p. 4. 8 Ibid., p. 61. 9 Cf. Gian Andri Bezzola : Die Mongolen in abendländischer Sicht [1220-1270]. Ein Beitrag zur Frage der Völkerbegegnungen, Berne/Munich, 1974, p. 17. 183

Overhoff a choisi l’Angleterre comme cadre pour présenter la première perception des Mongols en Occident. La rumeur venant d’Égypte, il aurait pu se servir du siège de Damiette comme localisation. La lettre de Jacques de Vitry et le rapport du légat Pélage étant adressés au pape, il aurait pu prendre Rome. Mais cela aurait été aller contre la structure de l’ouvrage et la démarche d’Overhoff. Dans ce premier chapitre, Au bord de la sphère d’action, il voulait montrer la perception des zones les plus éloignées de l’action de Gengis Khan. Il a donc choisi trois îles « des bouts du monde » ; c’est dans cette zone éloignée de la réalité de Gengis Khan que les rumeurs trouvaient leur meilleur terrain : c’est là que la distance entre réalité et les imaginations qu’elle suscite est la plus grande. Il s’agit dans ce tableau d’un dialogue entre deux marchands d’étoffes et de teintures lors d’un repas où le vin coule à flots. L’un des marchands représente le conservatisme, prônant le protectionnisme (refus des marchandises étrangères), ne jugeant la politique qu’à l’aune de son intérêt et voyant dans la possibilité d’une nouvelle croisade la promesse d’affaires lucratives. Dès ce dialogue, Overhoff montre son art d’introduire des vérités ou des faits historiques dans son texte. Après avoir rapporté le contenu de la lettre de Jacques de Vitry, son personnage Eyre évoque une autre interprétation que celle de l’Église : celle des Juifs, qui voyaient le Messie en ce roi David : « Ils croient qu’il vient pour les libérer, comme le fils des peuples perdus, ils frappent dans leurs mains et sautillent dans les rues, ils se sont concertés pour lui envoyer des vivres et des armes. ». 10 Cette espérance des juifs est consignée dans les Annales Marbacenses 11 et avait été étudiée par différents auteurs de la fin du XIX e siècle et du début du XX e , – par Ernst Kantorowicz 12 – dont Overhoff avait dû lire les travaux. 13 Une autre rumeur contenue dans les Annales est évoquée dans le dialogue du tableau 10 (voir infra). Perception des Mongols Gengis Khan apparaît pour la première fois dans le récit du marchand. Le fait que son nom ne soit pas cité reflète bien qu’il est à prendre ici comme un phénomène, comme une entité dont la nature est encore floue : 10 „Die glauben, er nahe zu ihrer Befreiung, als Sohn der verloren gegangenen Stämme, die klatschen in die Hände und hüpfen auf offener Straße, sie berieten, ihm Lebensmittel und Waffen zu schicken.“ (Le Monde avec Gengis Khan, p. 43). 11 Cf. Gian Andri Bezzola : Die Mongolen in abendländischer Sicht [1220-1270]. Ein Beitrag zur Frage der Völkerbegegnungen, Berne/Munich, 1974, p. 34. Annales Marbacenses, in : Monumenta Germaniae historica, Scriptores XVII, Hanovre/Leipzig, 1826, pp. 142-180. 12 „Die Juden aber, die ihrer Freude über das Nahen König Davids freien Lauf ließen, ja ihm Waffen, Schwerter und Schilde zuführen wollten, […].“ (Ernst Kantorowicz : Kaiser Friedrich der Zweite, Berlin, 1928, p. 503). 13 Par exemple : Friedrich Zarncke : Der Priester Johannes. Abhandlungen der phil. Klasse der sächsischen Akademie der Wissenschaften zu Leipzig, 7 et 8, Leipzig, 1879/1880 ; Harry Bresslau : Juden und Mongolen 1241, in : Zeitschrift der Geschichte der Juden in Deutschland 1, Brunswick, 1887, pp. 99-102. 184

printemps 1221. 5 Cette lettre contient le récit <strong>de</strong>s victoires remportées sur les Musulmans par<br />

un nouveau roi David, 6 présenté comme un personnage historique. Elle contient aussi le texte<br />

d’une prophétie concernant la figure mythique du prêtre Jean (Revelationes beati Petri<br />

apostoli a discipulo eius Clemente in uno volumine redacte), annonçant la victoire <strong>de</strong>s<br />

Chrétiens sur les païens.<br />

Il n’est pas historiquement attesté que cette lettre ait été lue publiquement. Au<br />

contraire, les lettres <strong>de</strong> Jacques <strong>de</strong> Vitry « restèrent presque complètement en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la<br />

circulation : à aucun moment elles ne connurent une gran<strong>de</strong> notoriété. » 7 Overhoff introduit<br />

un fait historique : les premières rumeurs concernant les Mongols et leur chef – sous les traits<br />

d’un roi David ou d’un prêtre Jean, le premier étant le fils ou du moins le <strong>de</strong>scendant du<br />

second ou les <strong>de</strong>ux n’étant qu’une seule et même personne – arrivèrent en Europe par le<br />

truchement <strong>de</strong>s croisés assiégeant Damiette. Le légat du pape Pélage, qui commandait les<br />

troupes <strong>de</strong> Damiette, informa dans un texte proche <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> la lettre <strong>de</strong> Jacques <strong>de</strong> Vitry –<br />

les <strong>de</strong>ux reposant en partie sur une traduction réalisée par l’état-major <strong>de</strong>s croisés –, 8 le pape<br />

Honorius III <strong>de</strong>s succès <strong>de</strong> ce roi David. Le pape en fit répercuter la nouvelle par une<br />

circulaire à toutes les églises d’Occi<strong>de</strong>nt. 9 L’Église voyait dans ce roi David ou dans ce prêtre<br />

Jean une ai<strong>de</strong> provi<strong>de</strong>ntielle dans sa lutte contre l’Islam.<br />

Overhoff s’est donc permis une légère entorse à la vérité historique : là où une<br />

circulaire pontificale circula dans les églises – qui s’inspirait <strong>de</strong> la lettre <strong>de</strong> Jacques <strong>de</strong> Vitry –,<br />

il fait lire la lettre <strong>de</strong> Jacques <strong>de</strong> Vitry lors <strong>de</strong>s messes dominicales.<br />

Elle évoque la défaite <strong>de</strong>s Géorgiens <strong>de</strong>vant les portes <strong>de</strong> Tiflis, qui eut lieu en 1221.<br />

Ce fait fut donc connu en Occi<strong>de</strong>nt, bien qu’il y ait confusion sur l’assaillant. Cette bataille<br />

<strong>de</strong>vant Tiflis clôt le chapitre II du roman, au tableau 12. Celle-ci est donc antérieure au<br />

tableau 1. Entre le premier tableau du livre, évoquant les rumeurs et le <strong>de</strong>rnier du <strong>de</strong>uxième<br />

chapitre, qui présente un assaillant concret, la réalité <strong>de</strong>s Mongols a évolué <strong>de</strong> la légen<strong>de</strong> à la<br />

rencontre. Overhoff montre donc <strong>de</strong>s perceptions <strong>de</strong> la réalité diamétralement opposées bien<br />

qu’elles soient entièrement contemporaines. Il <strong>de</strong>vient alors clair que les <strong>de</strong>ux premiers<br />

chapitres forment une unité dans la structure du roman face aux trois chapitres suivants.<br />

5 Ibid., p. 55.<br />

6 En référence au roi David qui assura en Palestine la plus gran<strong>de</strong> domination israélite <strong>de</strong> l’histoire. Il unit la<br />

Judée et Israël en 1006 avant J.-C. et fit <strong>de</strong> Jérusalem sa capitale. (Cf. Der Brockhaus : Atlas zur Geschichte.<br />

Epochen, Territorien, Ereignisse, Mannheim, 2005, p. 26).<br />

7 Lettres <strong>de</strong> Jacques <strong>de</strong> Vitry, évêque <strong>de</strong> Saint-Jean d’Acre, édition critique par Robert B. C. Huygens, Ley<strong>de</strong>,<br />

1960, p. 4.<br />

8 Ibid., p. 61.<br />

9 Cf. Gian Andri Bezzola : Die Mongolen in abendländischer Sicht [1220-1270]. Ein Beitrag zur Frage <strong>de</strong>r<br />

Völkerbegegnungen, Berne/Munich, 1974, p. 17.<br />

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