1 couverture - Bibliothèques de l'Université de Lorraine

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essentielles ressortent de ces quelques mots : la nécessité de faire appel au passé et le danger qui lui est inhérent : l’idéalisation de l’analogie. Il s’agit tout d’abord de réfuter l’argument selon lequel l’histoire ne serait d’aucune utilité, d’aucun intérêt pour l’époque contemporaine ; il faut au contraire, quand l’époque est instable, qu’elle traverse une crise, interroger le passé. Il s’agit également de plaider pour l’indispensable connaissance du passé, de consulter les décisions et les avis des grands esprits du passé pour aborder les problèmes du présent, pour en tirer des leçons. De même que le présent doit être décrypté en fonction du passé, le passé doit être compris en fonction de l’avenir qui l’attendait, c’est-à-dire de ce qui l’a suivi, qui était alors de l’avenir et est pour nous un passé ultérieur. Dans l’étude des rapports entre les États, aucune conclusion significative n’est possible sans une connaissance approfondie du contexte historique. Certes, l’histoire ne se répète pas purement et simplement, mais elle offre une source inépuisable d’enseignements dont il faut tirer les leçons. En ce sens, elle constitue un outil essentiel pour celui qui veut comprendre les affaires du monde. Car seules la connaissance historique et la compréhension de ses contraintes et de ses exigences, permettent de prendre la véritable mesure des défis du présent. De l’histoire, Overhoff attend donc des clefs pour comprendre. Loin des théories en vigueur, qui selon leurs orientations cherchaient à y trouver des confirmations de la déchéance ou des progrès connus par la civilisation, il estime que le XX e siècle a apporté un « changement d’attitude à l’égard du passé ». 98 La conception du XIX e siècle, précise-t-il, était fondée sur un caractère unique et fini de l’histoire, que l’on pouvait reconnaître et déterminer, qu’on a appelée « historicisme ». 99 La conception qui prévaut aux yeux d’Overhoff ne voit plus un passé d’une rigidité absolue, que le regard de l’homme d’aujourd’hui ne pourrait plus modifier ; au contraire, chaque génération le recrée, en le considérant d’un regard neuf. Le reproche de passéisme, c’est-à-dire de nostalgie du passé, de 98 „veränderte Einstellung zur Vergangenheit“. Tiré des paroles d’introduction à la séance de lecture de la nouvelle Incipit vita nova, le 15.03.1951 à Karlsruhe, script. 99 Ibid. : „Als etwas Einmaliges, Fertiges, das man genau erkennen und bezeichnen konnte […] Man nennt diese Einstellung heute mit einem Schlagwort, Historismus.“ Voir également l’article de Bertrand Müller dans le Dictionnaire historique de la Suisse : « Des historiens comme Leopold Ranke et Johann Gustav Droysen soulignent l’unicité des phénomènes historiques, la liberté de l’action et son imprévisibilité. L’historisme est une notion étroitement associée à la culture nationale et à l’idéologie bourgeoise allemande du XIX e siècle. L’historisme, surtout allemand, est aussi une prise de conscience historique d’une bourgeoisie en mal d’histoire, qui s’invente un passé en créant une tradition incarnant non pas le nouvel ordre social mais la nation elle-même. Dans une nation qui n’a pas encore de longue tradition, l’histoire est garante, avec la philologie, de la transmission de l’historiographie et de l’identité nationale par la culture et la langue. Ses grands piliers sont les institutions d’enseignement et de culture. La défaite allemande en 1918 signifie l’effondrement de ce modèle culturel et idéologique. Dès lors la ‘crise de l’historisme’ dans l’entre-deux-guerres ne se limite pas à une crise des méthodes de la discipline historique, elle exprime l’effondrement de sa fonction culturelle et idéologique dans la formation des élites et de l’opinion dès la fin du XIX e s. […] L’historisme témoigne d’une crise des traditions qui se manifeste par un retour sur les origines et un récit généalogique des filiations. » 100

désir d’y retourner, de le retrouver en le faisant renaître, ne saurait donc lui être adressé, car Overhoff ne va chercher dans l’histoire que des leçons pour l’avenir. Indépendamment de son apparition dans l’histoire, une situation est interprétée différemment selon les époques. Une situation, si reculée soit-elle, va être analysée avec un appareil idéologique de conceptions changeant selon les époques. C’est ce qu’exprime Overhoff quand il dit que chaque génération doit revivre et réécrire l’histoire, parce que chaque génération découvre d’autres choses grâce au regard qu’elle porte sur le passé. Plusieurs attitudes sont alors possibles : observer le passé et se réjouir des progrès réalisés depuis lors, ou au contraire, l’idéaliser comme un paradis perdu. Mais il est aussi possible, face aux problèmes que nous rencontrons, de se demander si des situations semblables, presque identiques n’ont pas déjà existé dans le passé. On peut alors s’interroger sur la façon dont les hommes se sont comportés pour surmonter ces difficultés et en tirer des leçons. 100 C’est toujours la même idée qui ressort de ces dernières lignes et des paroles du moine taoïste du Monde avec Gengis Khan : le passé peut nous servir d’exemple et nous indiquer une voie à suivre. Mais c’est aussi l’idée que le récit de l’histoire est inséparable de son interprétation : les faits ne peuvent être dits que s’ils sont interprétés, c’est-à-dire privilégier un fait plutôt qu’un autre, de voir dans l’un une cause et dans l’autre une conséquence. C’est une vision critique de l’historiographie naïve, précritique. L’œuvre historique d’Overhoff entretient à l’historicisme la même relation que la philosophie de Kant envers la philosophie précédente : il soumet les notions antérieures à un examen critique, et cet examen critique les renverse. Alors que l’historicisme croyait connaître l’histoire « en soi », l’histoire nouménale, pour user de termes kantiens, l’histoire, pour Overhoff, ne peut être connue telle qu’elle est en elle-même, et ne fait que nous apparaître sous des aspects différents, sous forme « phénoménale » qui varient de génération en génération. La deuxième notion essentielle ressortant des paroles du moine taoïste est la mise en garde contre l’idéalisation de l’analogie : le passé ne doit pas être utilisé comme oracle (« nicht als Orakel »), c’est-à-dire comme un jugement sacré pouvant délivrer un savoir absolu, foi couramment répandue (« wie die Menge tut ») en mesure de prédire une situation à venir, mais comme matière à réflexion, comme objet d’étude (« als Studium »). L’histoire ne 100 Cf. les paroles d’introduction à la séance de lecture de la nouvelle Incipit vita nova, le 15.03.1951 à Karlsruhe, script : „Geschichte muss immer neu erlebt und geschrieben werden, von jeder Generation, weil jede mit ihren eigenen Augen in der Vergangenheit etwas anders entdeckt […]. Was können wir von der Vergangenheit wollen? Wir können sie ansehen, um uns daran zu erfreuen, wie wir es so herrlich weit gebracht. Wir können umgekehrt uns in sie als in ein nicht mehr erreichbares Paradies träumen, aber wir können uns auch ganz einfach die Frage vorlegen: Wir stehen vor schwierigen, kaum lösbaren Problemen, hat es nicht ähnliche, fast gleiche Situationen auf der Welt schon einmal gegeben? Wie haben sich denn da die Menschen verhalten, um mit den Schwierigkeiten fertig zu werden? Können wir vielleicht da etwas lernen, Erfahrungen machen?“ 101

désir d’y retourner, <strong>de</strong> le retrouver en le faisant renaître, ne saurait donc lui être adressé, car<br />

Overhoff ne va chercher dans l’histoire que <strong>de</strong>s leçons pour l’avenir.<br />

Indépendamment <strong>de</strong> son apparition dans l’histoire, une situation est interprétée<br />

différemment selon les époques. Une situation, si reculée soit-elle, va être analysée avec un<br />

appareil idéologique <strong>de</strong> conceptions changeant selon les époques. C’est ce qu’exprime<br />

Overhoff quand il dit que chaque génération doit revivre et réécrire l’histoire, parce que<br />

chaque génération découvre d’autres choses grâce au regard qu’elle porte sur le passé.<br />

Plusieurs attitu<strong>de</strong>s sont alors possibles : observer le passé et se réjouir <strong>de</strong>s progrès réalisés<br />

<strong>de</strong>puis lors, ou au contraire, l’idéaliser comme un paradis perdu. Mais il est aussi possible,<br />

face aux problèmes que nous rencontrons, <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si <strong>de</strong>s situations semblables,<br />

presque i<strong>de</strong>ntiques n’ont pas déjà existé dans le passé. On peut alors s’interroger sur la façon<br />

dont les hommes se sont comportés pour surmonter ces difficultés et en tirer <strong>de</strong>s leçons. 100<br />

C’est toujours la même idée qui ressort <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières lignes et <strong>de</strong>s paroles du moine<br />

taoïste du Mon<strong>de</strong> avec Gengis Khan : le passé peut nous servir d’exemple et nous indiquer<br />

une voie à suivre. Mais c’est aussi l’idée que le récit <strong>de</strong> l’histoire est inséparable <strong>de</strong> son<br />

interprétation : les faits ne peuvent être dits que s’ils sont interprétés, c’est-à-dire privilégier<br />

un fait plutôt qu’un autre, <strong>de</strong> voir dans l’un une cause et dans l’autre une conséquence. C’est<br />

une vision critique <strong>de</strong> l’historiographie naïve, précritique. L’œuvre historique d’Overhoff<br />

entretient à l’historicisme la même relation que la philosophie <strong>de</strong> Kant envers la philosophie<br />

précé<strong>de</strong>nte : il soumet les notions antérieures à un examen critique, et cet examen critique les<br />

renverse. Alors que l’historicisme croyait connaître l’histoire « en soi », l’histoire nouménale,<br />

pour user <strong>de</strong> termes kantiens, l’histoire, pour Overhoff, ne peut être connue telle qu’elle est en<br />

elle-même, et ne fait que nous apparaître sous <strong>de</strong>s aspects différents, sous forme<br />

« phénoménale » qui varient <strong>de</strong> génération en génération.<br />

La <strong>de</strong>uxième notion essentielle ressortant <strong>de</strong>s paroles du moine taoïste est la mise en<br />

gar<strong>de</strong> contre l’idéalisation <strong>de</strong> l’analogie : le passé ne doit pas être utilisé comme oracle<br />

(« nicht als Orakel »), c’est-à-dire comme un jugement sacré pouvant délivrer un savoir<br />

absolu, foi couramment répandue (« wie die Menge tut ») en mesure <strong>de</strong> prédire une situation à<br />

venir, mais comme matière à réflexion, comme objet d’étu<strong>de</strong> (« als Studium »). L’histoire ne<br />

100 Cf. les paroles d’introduction à la séance <strong>de</strong> lecture <strong>de</strong> la nouvelle Incipit vita nova, le 15.03.1951 à<br />

Karlsruhe, script : „Geschichte muss immer neu erlebt und geschrieben wer<strong>de</strong>n, von je<strong>de</strong>r Generation, weil je<strong>de</strong><br />

mit ihren eigenen Augen in <strong>de</strong>r Vergangenheit etwas an<strong>de</strong>rs ent<strong>de</strong>ckt […]. Was können wir von <strong>de</strong>r<br />

Vergangenheit wollen? Wir können sie ansehen, um uns daran zu erfreuen, wie wir es so herrlich weit gebracht.<br />

Wir können umgekehrt uns in sie als in ein nicht mehr erreichbares Paradies träumen, aber wir können uns auch<br />

ganz einfach die Frage vorlegen: Wir stehen vor schwierigen, kaum lösbaren Problemen, hat es nicht ähnliche,<br />

fast gleiche Situationen auf <strong>de</strong>r Welt schon einmal gegeben? Wie haben sich <strong>de</strong>nn da die Menschen verhalten,<br />

um mit <strong>de</strong>n Schwierigkeiten fertig zu wer<strong>de</strong>n? Können wir vielleicht da etwas lernen, Erfahrungen machen?“<br />

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