'Spécialistes par obligation'Des parents face au handicap mental ...

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aussi des relations sociales et des rapports de force entre des individus plus ou moins investis d’une compétence sociale à parler du handicap [Bourdieu, 1982]. Ces rapports de force, qui se jouent au niveau individuel, autour des manières de dire des problèmes intellectuels et/ou psychiques sont pris dans des constructions sociales plus générales, dont l’histoire est longue et qui ont partie liée depuis une trentaine d’années avec ce qu’on appelle le champ du handicap mental. Pour reprendre les termes de Michel Foucault, le handicap mental a été l’objet d’une longue « problématisation » qui pèse sur les manières de penser et de dire les difficultés intellectuelles. Voici comment Michel Foucault définit cette notion de problématisation dans l’introduction de son deuxième volume sur L’Histoire de la sexualité : tel-00333296, version 1 - 28 Nov 2008 « En remontant ainsi de l’époque moderne, à travers le christianisme, jusqu’à l’Antiquité, il m’a semblé qu’on ne pouvait éviter de poser une question à la fois très simple et très générale : pourquoi le comportement sexuel, pourquoi les activités et les plaisirs qui en relèvent, font-ils l’objet d’une préoccupation morale ? Pourquoi ce souci éthique, qui, au moins à certains moments, dans certaines sociétés ou dans certains groupes, paraît plus important que l’attention morale qu’on porte à d’autres domaines pourtant essentiels dans la vie individuelle ou collective, comme les conduites alimentaires ou l’accomplissement des devoirs civiques ? (...) Il m’a donc semblé que la question qui devait servir de fil directeur était celle-ci : comment, pourquoi et sous quelle forme l’activité sexuelle a-t-elle été constituée comme domaine moral ? Pourquoi ce souci éthique si insistant, quoique variable dans ses formes et dans son intensité ? Pourquoi cette ‘problématisation’ ? Et, après tout, c’est bien cela la tâche d’une histoire de la pensée, par opposition à l’histoire des comportements ou des représentations : définir les conditions dans lesquelles l’être humain ‘problématise’ ce qu’il est, ce qu’il fait et le monde dans lequel il vit. » [Foucault, 1984, p. 16] Si Michel Foucault applique ici ce concept de problématisation aux questions de sexualité, il indique lui-même quelques pages plus loin qu’il peut concerner bien d’autres domaines, dont ceux qu’il a lui-même abordés auparavant et qu’il propose de réinterpréter à la lumière de cette nouvelle approche : « Problématisation de la folie et de la maladie à partir de pratiques sociales et médicales, définissant un certain profil de ‘normalisation’ ; problématisation de la vie, du langage et du travail dans des pratiques discursives obéissant à certaines règles ‘épistémiques’ ; problématisation du crime et du comportement criminel à partir de certaines pratiques punitives obéissant à un modèle ‘disciplinaire’. » [Foucault, 1984, p. 18] 24

tel-00333296, version 1 - 28 Nov 2008 Selon quelles modalités précises le handicap mental a-t-il été problématisé récemment en France ? Quelles sont les conséquences au niveau individuel, en l’occurrence au niveau de parents d’adolescents considérés comme handicapés mentaux, du mouvement général de problématisation du handicap mental ? En d’autres termes, dans quels rapports sociaux d’ensemble sont prises les manières de penser, de dire et de faire des parents d’adolescents dits handicapés mentaux ? Voilà les grandes questions qui vont orienter cette première partie introductive. Je commencerai par revenir sur les formes qu’a prises la problématisation du handicap mental en France, tout en réfléchissant à la manière dont mon enquête s’inscrit, ou non, dans ces formes prédéterminées. Puis je m’interrogerai sur les effets de cette mise en forme problématique sur les manières de parler du handicap mental, y compris à un sociologue s’intéressant à la question, pour des parents d’adolescents ayant des difficultés intellectuelles. Enfin, le troisième et dernier chapitre sera consacré au non-dit sous diverses formes, car les problématisations inhibent au moins autant qu’elles suscitent la parole. 25

<strong>au</strong>ssi des relations sociales et des rapports de force entre des individus plus ou moins investis<br />

d’une compétence sociale à <strong>par</strong>ler du <strong>handicap</strong> [Bourdieu, 1982].<br />

Ces rapports de force, qui se jouent <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> individuel, <strong>au</strong>tour des manières de dire<br />

des problèmes intellectuels et/ou psychiques sont pris dans des constructions sociales plus<br />

générales, dont l’histoire est longue et qui ont <strong>par</strong>tie liée depuis une trentaine d’années avec<br />

ce qu’on appelle le champ du <strong>handicap</strong> <strong>mental</strong>. Pour reprendre les termes de Michel Fouc<strong>au</strong>lt,<br />

le <strong>handicap</strong> <strong>mental</strong> a été l’objet d’une longue « problématisation » qui pèse sur les manières<br />

de penser et de dire les difficultés intellectuelles. Voici comment Michel Fouc<strong>au</strong>lt définit cette<br />

notion de problématisation dans l’introduction de son deuxième volume sur L’Histoire de la<br />

sexualité :<br />

tel-00333296, version 1 - 28 Nov 2008<br />

« En remontant ainsi de l’époque moderne, à travers le christianisme, jusqu’à l’Antiquité,<br />

il m’a semblé qu’on ne pouvait éviter de poser une question à la fois très simple et très<br />

générale : pourquoi le comportement sexuel, pourquoi les activités et les plaisirs qui en<br />

relèvent, font-ils l’objet d’une préoccupation morale ? Pourquoi ce souci éthique, qui, <strong>au</strong><br />

moins à certains moments, dans certaines sociétés ou dans certains groupes, <strong>par</strong>aît plus<br />

important que l’attention morale qu’on porte à d’<strong>au</strong>tres domaines pourtant essentiels dans<br />

la vie individuelle ou collective, comme les conduites alimentaires ou l’accomplissement<br />

des devoirs civiques ? (...) Il m’a donc semblé que la question qui devait servir de fil<br />

directeur était celle-ci : comment, pourquoi et sous quelle forme l’activité sexuelle a-t-elle<br />

été constituée comme domaine moral ? Pourquoi ce souci éthique si insistant, quoique<br />

variable dans ses formes et dans son intensité ? Pourquoi cette ‘problématisation’ ? Et,<br />

après tout, c’est bien cela la tâche d’une histoire de la pensée, <strong>par</strong> opposition à l’histoire<br />

des comportements ou des représentations : définir les conditions dans lesquelles l’être<br />

humain ‘problématise’ ce qu’il est, ce qu’il fait et le monde dans lequel il vit. »<br />

[Fouc<strong>au</strong>lt, 1984, p. 16]<br />

Si Michel Fouc<strong>au</strong>lt applique ici ce concept de problématisation <strong>au</strong>x questions de<br />

sexualité, il indique lui-même quelques pages plus loin qu’il peut concerner bien<br />

d’<strong>au</strong>tres domaines, dont ceux qu’il a lui-même abordés <strong>au</strong><strong>par</strong>avant et qu’il propose de<br />

réinterpréter à la lumière de cette nouvelle approche :<br />

« Problématisation de la folie et de la maladie à <strong>par</strong>tir de pratiques sociales et médicales,<br />

définissant un certain profil de ‘normalisation’ ; problématisation de la vie, du langage et<br />

du travail dans des pratiques discursives obéissant à certaines règles ‘épistémiques’ ;<br />

problématisation du crime et du comportement criminel à <strong>par</strong>tir de certaines pratiques<br />

punitives obéissant à un modèle ‘disciplinaire’. » [Fouc<strong>au</strong>lt, 1984, p. 18]<br />

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