La thèse des désignateurs rigides et la distinction des modalités ...

C’est un point sur lequel on peut dire que la thèse de Kripke s’inscrit dans une
dimension réaliste. Le nom est relié à un référent indépendamment d’une procédure qui
expliquerait comment ce nom désigne le référent, ou comment on peut relier le nom propre au
référent. Ce réalisme va se confirmer dans la distinction des modalités que l’on va voir juste
après. Toujours est-il que la lecture de re, la référence directe, sans passer par des propriétés
identifiantes et indépendamment des mondes possibles, est quasiment acquise et justifiée par
Kripke. Si l’on stipule un monde possible en se demandant ce qui aurait pu arriver à Aristote,
alors c’est bien d’Aristote que l’on parle. Si le monde possible est stipulé, alors le fait que ce
monde contienne Aristote est une donnée. L’identité à travers les mondes n’est donc plus un
problème d’identification, c’est une donnée. La désignation rigide est telle relativement à
l’usage qui, dans notre communauté linguistique, fait correspondre au nom « Aristote »
l’homme Aristote tel qu’il est désigné dans le réel, et non pas un Aristote qu’on devrait
identifier selon quelque propriété essentielle.
II-3- Ambiguïté des opérateurs : la distinction des notions « a priori » et « nécessaire »
Si l’on identifie le référent de « Aristote » comme étant celui qui a enseigné à
Alexandre, et si l’on comprend alors le nom « Aristote » comme un nom pour dire « celui qui
a enseigné à Alexandre », alors on ne peut pas dire que « Aristote n’a pas été l’enseignant
d’Alexandre » soit possiblement vrai. Cependant, si Quine, à juste titre, observe une
ambiguïté de lecture relative à la portée des opérateurs modaux, il ne se rend pas compte que,
dans le cas des noms propres, cette ambiguïté concerne en fait deux modalités différentes. La
critique de la lecture de re et le problème d’identification du référent repose sur une confusion
entre les opérateurs « a priori » et « nécessaire » du langage naturel, lesquels opérateurs
renvoient respectivement à une modalité épistémique et à une modalité métaphysique.
« A priori » signifie « ce qui peut être connu indépendamment de toute connaissance
empirique », et non pas comme on tend à le croire « ce qui doit être connu indépendamment
de toute expérience ». La notion « a priori » a trait à une modalité épistémique, elle signifie
simplement que quelque chose peut être connu indépendamment de l’expérience. Cette
modalité ne concerne pas les propriétés d’un objet, elle concerne une façon de connaître la
référence d’une expression. Par contre, la notion « nécessaire » relève de la modalité
métaphysique. Il ne s’agit pas de se demander comment est connue la vérité d’un énoncé,
mais comment il est possible que le référent d’un nom soit, quelles propriétés il pourrait ou
non avoir indépendamment de la façon dont on découvrirait que ces propriétés lui
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