La thèse des désignateurs rigides et la distinction des modalités ...

monde possible est donné par les conditions descriptives que nous lui associons » 19 , explique
Kripke. C’est-à-dire qu’un monde possible est en quelques sortes construit en stipulant un
cours contrefactuel de l’histoire, et seul ce qui est pertinent pour le propos doit être décrit.
Expliquer et décrire un monde dans lequel Philippe à enseigné à Alexandre, voire en ajoutant
quelques explications (ce qui aurait fait que Philippe aurait enseigné lui-même à son fils, etc.),
c’est cela un monde possible où Aristote n’aurait pas enseigné à Alexandre. On n’a pas besoin
d’identifier Aristote dans ce monde, le fait que ce monde contienne Aristote et que c’est bien
d’Aristote que l’on parle et une donnée. On se donne un monde qui contient Aristote, et on se
demande ce qui lui arriverait. On pose Aristote dans ce monde tel qu’il est Aristote dans le
réel car, comme insiste Kripke, « c’est de lui que nous parlons, de ce qui aurait pu lui arriver à
lui » 20 . Il n’y a en fait pas de raison de supposer qu’il ne s’agit plus d’Aristote.
« Nous ne commençons donc pas avec les mondes possibles [...] pour, ensuite, nous
enquérir des critères d’identification à travers les mondes ; au contraire, nous commençons
avec les objets, que nous avons et que nous pouvons identifier dans le monde réel. » 21 Kripke
refuse le problème de l’identification à travers les mondes. On n’a pas besoin de critère
d’identification qualitatif à travers les mondes possibles tout simplement parce qu’on n’a pas
à identifier ce référent dans le monde possible. Quand on se demande ce qui aurait pu arriver
à Aristote, il s’agit toujours d’une modalité métaphysique – comme on le verra par la suite -
qui n’est pas susceptible d’ambiguïtés de lectures puisque « Aristote » ne signifie rien d’autre
que le référent qu’il sélectionne. Le nom propre n’a pas un sens qui donnerait un critère
d’identité qualitatif de son référent. Le monde possible se construit autour du référent, tel
qu’on le désigne dans le réel. Si je parle d’une situation contrefactuelle au sujet d’Aristote,
alors je sélectionne le référent du nom « Aristote », tel que ce nom est utilisé dans le réel. Et
c’est ensuite autour et pour ce référent que je décris un monde.
On retrouve finalement ici un problème de dépendance des quantificateurs implicite à
la lecture de re, le monde possible dépend du choix du référent, et non l’inverse. On construit
un monde possible pour et à partir du référent. Dans une lecture de dicto, l’individu dépend du
monde sélectionné. Et c’est cette dépendance qui, mise dans la lumière d’une nouvelle
conception des mondes possibles, justifie l’usage des modalités de re 22 . La désignation est
rigide car le nom propre renvoie directement au référent indépendamment de quelque critère
19 cf. p. 32
20 cf. p. 37
21 cf. p.41
22 Je n’insiste pas ici sur les notions de dépendances de quantificateurs et sur un « ordre » des choix. Kripke
refuserait une telle explication et il ne peut de toute façon fournir une telle explication car, comme on va le voir,
il parle en termes de références directes et de constantes, de distinction des modalités. Mais cette remarque
permet d’éclaircir le propos de Kripke, et sera utile pour comprendre les objections qu’on peut lui adresser.
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