26.10.2013 Views

L'ENSEIGNEMENT DE LUTHER SUR LE MARIAGE - Faculté Libre ...

L'ENSEIGNEMENT DE LUTHER SUR LE MARIAGE - Faculté Libre ...

L'ENSEIGNEMENT DE LUTHER SUR LE MARIAGE - Faculté Libre ...

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

<strong>L'ENSEIGNEMENT</strong> <strong>DE</strong> <strong>LUTHER</strong><br />

<strong>SUR</strong> <strong>LE</strong> <strong>MARIAGE</strong><br />

parAlbert GREINER<br />

C'est toujours avec crainte et à contre-cœur que Luther abordait la<br />

question du mariage. Pourtant on est surpris du nombre de fois où<br />

il aborde le sujet dans ses écrits. L'homme) le théologien et le pasteur<br />

sy côtoient pourproposer ensemble une vision elle aussi ((réformée))<br />

du mariage.<br />

Sil'on nous demandait à<br />

brûle-pourpoint d'énumérer<br />

les principaux thèmes théologiques<br />

chers à Luther, il est probable<br />

que peu d'entre nous<br />

songeraient à citer le mariage. Et,<br />

en un certain sens, nous aurions<br />

raison. En effet, le réformateur<br />

déclare à plusieurs reprises qu'il<br />

n'aborde cette question qu'avec<br />

crainte et à contrecœur, parce qu'il<br />

"redoute qu'elle lui donne beaucoup<br />

de fil à retordre, à lui et à<br />

d'autres" (1).<br />

On est cependant surpris de voir<br />

combien de temps et d'écrits il a<br />

consacré, surtout entre 1519 et<br />

1530, aux problèmes relatifs au<br />

mariage et à la vie conjugale. Ces<br />

1) De la vie conjugale, in Martin Luther, Œuvres<br />

(MLO) (Genève: Labor et Fides), III, p. 225.<br />

2) Edition de Weimar (WA), 2, pp. 166-171.<br />

3) On trouvera de larges extraits dans MLO XVII.<br />

Fue-Réflexion n016<br />

prises de position commencent en<br />

1519 par un Sermon sur l'état de<br />

mariage, prêché le 26 janvier sur<br />

la péricope évangélique des noces<br />

de Cana (2), pour ne s'achever<br />

qu'avec des passages du Grand<br />

cours sur la Genèse, professé<br />

entre 1535 et 1545 (3). Dans<br />

l'intervalle, on trouve des indications<br />

sur le sujet dans la Lettre à<br />

la noblesse chrétienne de la<br />

nation allemande (4) et surtout<br />

dans le traité De la captivité<br />

babylonienne de l'Eglise (5). On<br />

relève également un commentaire<br />

de 1 Corinthiens 7, daté de 1523<br />

et intitulé Du mariage et du célibat<br />

(6), une série de sermons et de<br />

petits opuscules des années 1524<br />

4) MLO II, pp. 57-156.<br />

5) MLO II, pp. 157-260; cf en particulier pp. 232­<br />

244.<br />

6) WA 12, pp. 92-142.<br />

39


et 1525 et, surtout, les deux<br />

ouvrages auxquels nous nous référerons<br />

en priorité : le traité De la<br />

vie conjugale de 1522 (7) et le<br />

Traubüchlein, ou Formulaire<br />

pour la bénédiction du mariage<br />

à l'usage des pasteurs peu instruits,<br />

annexé au Petit catéchisme<br />

de 1529 (8).<br />

L'INTERET <strong>DE</strong> <strong>LUTHER</strong><br />

POUR LA QUESTION DU<br />

<strong>MARIAGE</strong><br />

Les raisons pour lesquelles le<br />

réformateur s'intéresse aux problèmes<br />

relatifs au mariage sont<br />

nombreuses et variées.<br />

Elles tiennent d'abord à la propre<br />

biographie de Martin Luther, individu<br />

de sexe masculin et qui, de<br />

surcroît, s'est marié en 1525, alors<br />

qu'il avait fait vœu de célibat en<br />

1505 ! Elles tiennent ensuite au<br />

fait que Luther est docteur en théologie<br />

et chargé, comme tel, de<br />

veiller à la conformité de l'enseignement<br />

et de la vie de l'Eglise<br />

avec la Parole de Dieu.<br />

7) De la vie conjugale, MLO III, pp. 221 ss.<br />

8) ln Œuvres de Martin Luther II, Les Livres<br />

symboliques, trad. A. Jundt (Paris: Je sers, 1948),<br />

40<br />

L'aller-retour entre ces deux<br />

mobiles caractérise la manière<br />

dont Luther fait de la théologie.<br />

Dans cette recherche incessante de<br />

ce que la Bible dit pour la foi et la<br />

vie, il joue le rôle d'explorateur et<br />

de découvreur, ce qui explique certaines<br />

variations dans ses prises de<br />

position comme, par exemple, le<br />

fait qu'en 1519 il qualifie le<br />

mariage de sacrement et qu'il<br />

combat cette idée l'année suivante.<br />

De plus, et c'est le troisième<br />

mobile, Luther est un pasteur, que<br />

l'exercice de son ministère - de<br />

confesseur notamment - met au<br />

courant des problèmes qui se<br />

posent aux couples et des impasses<br />

Docteur en théologie,<br />

Luther veille à la conformité<br />

de l'enseignement et de la<br />

vie de l'Eglise avec la<br />

Parole de Dieu.<br />

dans lesquelles les arguties du<br />

droit canonique conduisent les<br />

fidèles. Lydie Hege a raison de<br />

dire qu' "apaiser les consciences<br />

pp. 50-55. Nous citerons ce texte sous le sigle de<br />

Formulaire.<br />

Fac-Réflexion n016


en peine compte plus pour Luther<br />

que le droit (9)". Son souci pastoral<br />

est même tel qu'il l'entraîne<br />

parfois à conseiller des solutions<br />

inadmissibles, comme ce fut le cas<br />

dans la célèbre affaire de la bigamie<br />

du landgrave, Philippe de<br />

Hesse (10).<br />

Un dernier motif explique l'intérêt<br />

de Luther pour les questions<br />

concernant le mariage. Le réformateur<br />

est le mentor de l'Eglise<br />

particulière qui, peu à peu et sans<br />

Le réformateur est le<br />

mentor de l'Eglise particulière<br />

qui se dégage de<br />

l'Eglise romaine. Libérée<br />

par la même occasion du<br />

droit canonique, elle n'en a<br />

pas moins besoin de règles<br />

pour vivre.<br />

qu'il l'ait cherché, se dégage de<br />

l'Eglise romaine. Libérée par la<br />

même occasion du droit canonique,<br />

elle n'en a pas moins besoin<br />

de règles pour vivre. Cette nécessité<br />

explique d'ailleurs la répugnance,<br />

déjà signalée, du réformateur à<br />

s'occuper des affaires matrimo-<br />

9) HEGE Lydie, Le Mariage selon Luther, in<br />

Positions luthériennes, 38/1 Gan-mars 1990), pp.<br />

44-48.<br />

Fae-Réflexion n016<br />

niales. Les bouleversements dont<br />

nous venons d'être les témoins<br />

dans les pays de l'Est nous montrent<br />

combien il est problématique<br />

et difficile de prendre un nouveau<br />

départ.<br />

<strong>LE</strong> CONTEXTE <strong>DE</strong> L'INTER­<br />

VENTION <strong>DE</strong> <strong>LUTHER</strong><br />

Une étude même rapide de la<br />

biographie de Luther suffit pour<br />

nous convaincre que ses interventions<br />

sont rarement la conséquence<br />

d'un dessein concerté, mais plutôt<br />

celle d'événements extérieurs, ce<br />

qui donne à beaucoup de ses actes<br />

un tour nettement polémique. Il est<br />

donc important que nous rappelions<br />

brièvement dans quel contexte<br />

le problème du mariage s'est posé<br />

pour le réformateur et quels sont<br />

les adversaires qu'il a dû combattre.<br />

On peut dire sans crainte de se<br />

tromper qu'au début du 16e siècle<br />

le mariage est fortement dévalué et<br />

que le droit qui le régit est extrêmement<br />

confus.<br />

La dévaluation du mariage est,<br />

pour une part, la conséquence de la<br />

manière dont l'Eglise n'a cessé et<br />

10) Sur cette question, l'étude essentielle demeure:<br />

w,w, ROCKWELL, Die Doppelehe des<br />

Landgrafen Philipp von Hessen (Marbourg, 1904).<br />

41


triptyques, surmontés d'un fronton,<br />

que l'on aperçoit sur beaucoup<br />

d'autels dans les églises<br />

médiévales.<br />

<strong>LE</strong> <strong>MARIAGE</strong> :<br />

UNE AFFAIRE CIVI<strong>LE</strong><br />

QUI CONCERNE DIEU<br />

Bien entendu, avant de regarder<br />

le triptyque lui-même, il convient<br />

de s'avancer dans l'église en<br />

remontant l'allée centrale, dont le<br />

rôle est tenu, dans le Traubüchlein,<br />

par la préface.<br />

Le mariage n'est pas un<br />

sacrement. Il n'appartient<br />

pas à l'ordre du salut mais<br />

à celui de la création.<br />

Relation humaine profane,<br />

le mariage est en même<br />

temps une relation instituée<br />

et bénie par Dieu.<br />

Nous y trouvons la première idée<br />

importante que Luther articule:<br />

"le mariage est une affaire civile".<br />

Par conséquent, "il ne nous appartient<br />

pas, à nous ecclésiastiques ou<br />

ministres de l'Eglise, d'intervenir<br />

12) Formulaire, p. 50.<br />

13) De la vie conjugale, MLO III, p. 232.<br />

(4) Cf Lettre à la noblesse, MLO II, p. 125 ; De la<br />

captivité babylonienne, ibid. p. 237. On notera ce<br />

Fae-Réflexioll n016<br />

en cette matière par des ordonnances<br />

ou des règlements", mais<br />

"il faut laisser à chaque ville et à<br />

chaque pays ses us et coutumes<br />

tels qu'ils sont pratiqués", étant<br />

entendu que "tous ces usages (...),<br />

c'est aux princes et aux magistrats<br />

qu'il appartient de les établir et de<br />

les régler" (12).<br />

Cette affirmation de principe<br />

capitale, qui dénie au mariage la<br />

qualité de sacrement et qui en retire<br />

la juridiction à l'Eglise pour la<br />

confier aux autorités politiques,<br />

repose sur la constatation selon<br />

laquelle le mariage n'appartient<br />

pas à l'ordre du salut mais à celui<br />

de la création, qu'il est "une affaire<br />

extérieure, corporelle, comme toute<br />

autre occupation temporelle (13)".<br />

Elle entraîne cette conséquence<br />

pratique importante d'abolir les<br />

règles de droit canonique - quand<br />

elles ne sont pas conformes au<br />

témoignage scripturaire - et elle<br />

s'accompagne d'une polémique<br />

mordante contre ce même droit<br />

dont les dispositions sont qualifiées<br />

de "lois humaines impies"<br />

qui doivent s'effacer devant la loi<br />

divine (14).<br />

jugement d'après lequel, quand on n'a pas reçu une<br />

vocation spéciale, il est aussi fou de prétendre vœu<br />

de chasteté que de "s'arracher le nez avec les dents"<br />

(De la vie conjugale, MLO III, p. 233).<br />

43


Ayant ainsi "semé l'idée du<br />

mariage civil", pour reprendre une<br />

expression de Lydie Hege, Luther<br />

nous invite en quelque sorte à<br />

lever les yeux vers le fronton où<br />

un symbole de Dieu couronne<br />

habituellement le triptyque: le<br />

mariage est "un ordre divin", "un<br />

état selon Dieu", "une œuvre et un<br />

commandement selon Dieu" (15).<br />

Citant à l'appui de ses affirmations<br />

Genèse 2,18.21-24 (16),<br />

Luther introduit intentionnellement<br />

une tension dans son enseignement<br />

sur la mariage. Bien que<br />

le mariage soit soumis au droit<br />

séculier, "l'union de l'homme et<br />

de la femme est de droit divin et<br />

subsiste même si, d'une manière<br />

ou d'une autre, elle s'est faite en<br />

opposition avec les lois des<br />

hommes (17)". Relation humaine<br />

profane, le mariage est en même<br />

temps une relation instituée et<br />

bénie par Dieu. En se livrant à une<br />

activité purement temporelle, les<br />

époux entrent dans la "classe" des<br />

gens mariés qui est, pour le réformateur,<br />

non seulement un "ordre<br />

de la création" (ce qui suffit déjà<br />

pour que le mariage soit appelé<br />

"saint"), mais encore un véritable<br />

15) Formulaire, p. 51.<br />

16) Ibid., p. 53.<br />

44<br />

"état spirituel" ("geistlicher Stand" ;<br />

geistlich qualifie par ailleurs le<br />

clergé !) : "Bien qu'étant un état<br />

séculier, [le mariage] a pour lui la<br />

Parole de Dieu et n'a pas été<br />

inventé ou institué par des<br />

hommes, comme l'état des moines<br />

et des nonnes. Aussi, devrait-il être<br />

estimé cent fois plus spirituel que<br />

l'état monastique qui devrait être<br />

considéré comme le plus mondain<br />

et le plus charnel de tous (18)".<br />

L'affirmation de la "sainteté" du<br />

mariage nuance sérieusement celle<br />

selon laquelle Luther est l'inventeur<br />

du mariage civil. Comme<br />

cette dernière, elle contribue<br />

cependant à ruiner la doctrine<br />

romaine. En effet, ce n'est pas<br />

parce que l'Eglise le déclare tel,<br />

que le mariage est saint; c'est<br />

parce qu'il est reconnu comme tel<br />

par la foi appuyée sur l'Ecriture.<br />

Mais surtout, en soulignant l'institution<br />

divine du mariage, Luther<br />

rejette clairement l'idéal du célibat,<br />

proposé par l'Eglise. Hommes et<br />

femmes ayant été faits par le<br />

Créateur pour s'unir, se marier<br />

consiste à "obéir à l'ordre naturel<br />

et divin". Il existe, certes, selon<br />

Matthieu 19,2, des "eunuques" par<br />

17) De la captivité babylonienne, MLO II, 237.<br />

18) Formulaire, p. 51.<br />

Fac-RéjlexiQn n016


nature, et il peut, dans des cas<br />

rarissimes, en exister par vocation<br />

spéciale, destinée à "multiplier les<br />

enfants spirituels (19)". Mais se<br />

lnarier est la règle ; c'est une question<br />

d'obéissance.<br />

Notons aussi que Martin Luther<br />

tire du texte biblique d'institution<br />

du mariage (Gn 2,23) une magnifique<br />

description de l'affection<br />

conjugale "qui appelle une pleine<br />

et heureuse association, d'amour<br />

certes, mais aussi de sainteté". Il<br />

place dans la bouche d'Adam,<br />

"reconnaissant Eve", ces mots :<br />

"J'ai vu tous les animaux (...) et<br />

les femelles qui sont données pour<br />

la multiplication et la conservation<br />

de l'espèce : elles ne font pas mon<br />

affaire. Mais voici maintenant<br />

celle qui est chair de ma chair (...)<br />

et c'est avec elle que je désire<br />

vivre et seconder la volonté de<br />

Dieu par la prolifération de mes<br />

descendants." Commentant le mot<br />

ishah (femme, féminin de ish,<br />

homme), il ajoute: "Une telle<br />

appellation contient une admirable<br />

et heureuse description de l'union<br />

conjugale, dans laquelle (... ) la<br />

femme rayonne de tous les rayons<br />

de son mari. En effet, tout ce qu'a<br />

le mari, la femme l'a et le possède<br />

19) De la vie conjugale, MLO III, 229.<br />

Fae-Réflexion n016<br />

aussi. Non seulement les biens<br />

sont en commun, mais les enfants,<br />

la nourriture, le domicile. Et les<br />

volontés aussi sont pareilles. La<br />

mari ne diffère donc de la femme<br />

que par le sexe : à tout autre égard<br />

la femme, c'est le mari (20)."<br />

Le mariage n'est pas saint<br />

parce que l'Eglise le déclare<br />

tel; c'est parce qu'il est<br />

reconnu tel par la foi<br />

appuyée sur l'Ecriture.<br />

Nous trouvons des accents analogues<br />

dans une page du traité De<br />

la vie conjugale où, s'appuyant<br />

sur Proverbes 18,22, le réformateur<br />

établit une distinction entre<br />

avoir et trouver une femme, c'està-dire<br />

la découvrir comme un don<br />

de Dieu pour vivre avec elle dans<br />

cette constante certitude. "Beaucoup,<br />

dit-il, ont des femmes, mais<br />

peu trouvent des femmes.<br />

Pourquoi? Ils sont aveugles, incapables<br />

de remarquer que la vie<br />

qu'ils mènent avec une femme est<br />

l'œuvre et le bon plaisir de Dieu.<br />

S'ils découvraient cela, aucune<br />

femme ne serait trop laide, trop<br />

méchante, trop grossière, trop<br />

pauvre, trop malade pour qu'ils ne<br />

20) Cours sur la Genèse, MLO XVII, 129 s.<br />

45


trouvent en elle une profonde joie,<br />

parce qu'ils pourraient toujours<br />

rappeler à Dieu son œuvre, sa<br />

créature et sa volonté. Et parce<br />

qu'ils verraient que cela est le bon<br />

plaisir de leur Dieu, ils pourraient<br />

goûter la paix dans la peine, et le<br />

plaisir au milieu du déplaisir, la<br />

j oie au milieu de l'affliction,<br />

comme les martyrs dans la souffrance.<br />

Notre seule erreur est que<br />

nous jugeons l' œuvre de Dieu<br />

d'après notre sentiment et que<br />

nous regardons, non à sa volonté,<br />

mais à notre intérêt. ( ... ) Rien<br />

n'est si mauvais - même la mort ­<br />

qui ne devienne doux et supportable<br />

pourvu que je sache avec une<br />

entière certitude que cela plaît à<br />

Dieu. (21)"<br />

. C'est pour combattre le<br />

péché qui s'est installé<br />

dans la relation conjugale<br />

que Dieu a donné un commandement<br />

relatif au<br />

mariage (Eph 5,22-29).<br />

Ainsi, le fait que le mariage est<br />

institué par Dieu jette une lumière<br />

particulière sur la vie du couple<br />

chrétien. Comme toutes choses, le<br />

mariage est cependant perturbé par<br />

21) De la vie conjugale, MLO III, 243 SS.<br />

46<br />

le péché, et c'est pourquoi Luther<br />

dirige maintenant nos regards sur<br />

les panneaux du triptyque auquel<br />

nous avons comparé l'enseignement<br />

du Traubüchlein.<br />

LA LOI, LA CROIX ET<br />

L'EVANGI<strong>LE</strong> DANS <strong>LE</strong><br />

<strong>MARIAGE</strong>.<br />

Pour combattre le péché qui s'est<br />

installé dans la relation conjugale,<br />

Dieu a donné un commandement<br />

relatif au mariage. Luther le trouve<br />

dans le célèbre chapitre 5 de la<br />

lettre aux Ephésiens, dont il cite<br />

successivement les versets 25 à 29,<br />

puis 22 à 24 (22). Il n'est certainement<br />

pas nécessaire de les reproduire<br />

ni de les commenter en<br />

eux-mêmes ici, mais prêtons attention<br />

à l'ordre dans lequel Luther<br />

les énonce ; cela nous incite à dire<br />

maintenant quelques mots de la<br />

place qu'il accorde à la femme.<br />

D'une manière générale, les historiens<br />

insistent sur le fait que<br />

Luther valorise la femme, et ce<br />

jugement correspond à celui des<br />

contemporains du réformateur.<br />

C'est ainsi que des envoyés du<br />

Duc (catholique), Georges de Saxe,<br />

prenant connaissance du traité De<br />

22) Formulaire, pp. 53 s.<br />

Fac-Réjlexion n016


la vie conjugale, se sont écrié: "Il<br />

ne serait pas bon pour nous, les<br />

époux, que nos femmes lisent ce<br />

livre!"<br />

Nous avouons que nous serions<br />

personnellement plus prudent dans<br />

notre appréciation. La conception<br />

que Luther a du mariage n'est-elle<br />

pas centrée sur l'homme et profondément<br />

patriarcale? N'a-t-il pas<br />

eu pour les femmes qui meurent en<br />

couche, des paroles d'une dureté<br />

inhumaine ? Cette parole ne nous<br />

fait cependant pas oublier la part<br />

de vérité que contient le jugement<br />

dont nous avons fait état plus haut.<br />

Dans un contexte culturel - et religieux!<br />

- qui considérait la femme<br />

comme un être dangereux, comme<br />

une "hyène", comme un simple<br />

instrument de procréation ou de<br />

plaisir, le seul fait de proclamer<br />

qu'elle a, devant Dieu, la même<br />

valeur que l'homme représente un<br />

pas important dans la bonne direction.<br />

D'ailleurs, Luther ne s'est pas<br />

contenté d'une appréciation théorique<br />

; il a également demandé aux<br />

maris de "ne pas rager" contre<br />

leurs épouses ; il a condamné sans<br />

appel les nombreux Don Juan qui<br />

s'éclipsaient, en ce temps-là déjà,<br />

après avoir séduit leurs belles et il<br />

23) Ibid., p. 54.<br />

Fae-Réflexion n016<br />

a lutté avec acharnement pour la<br />

suppression des bordels.<br />

Toujours est-il que Luther<br />

connaît aussi les difficultés de la<br />

vie conjugale. C'est pourquoi, il<br />

nous rappelle qu'au centre de tous<br />

les triptyques (de celui du mariage<br />

aussi) figure la croix, qu'il explicite<br />

en citant dans le Traubüchlein<br />

Genèse 3,16-19, texte à propos<br />

duquel il faut noter que le passage<br />

concernant la sanction de l'homme<br />

n'est pas oublié (23).<br />

L'institution divine du<br />

mariage doit transformer<br />

la conception de l'état<br />

conjugal.<br />

La présence de ce thème ne saurait<br />

étonné quiconque sait que,<br />

pour Luther, la croix est le centre<br />

de toute théologie, même si, dans<br />

le contexte qui nous occupe, sa<br />

mention vise avant tout les nombreux<br />

désagréments de la vie<br />

conjugale, dont certains, comme la<br />

nécessité de travailler dur pour<br />

nourrir des bouches souvent nombreuses,<br />

sont permanents, alors<br />

que d'autres sont exceptionnels,<br />

comme la maladie ou la méchanceté<br />

du conjoint, dans lesquels le<br />

réformateur ne voit pourtant pas de<br />

47


aison valable de "retirer la tête du<br />

nœud coulant", c'est-à-dire pour<br />

divorcer (24).<br />

Quoi qu'il en soit, la présence de<br />

la croix dans la vie conjugale est<br />

l'une des raisons majeures pour<br />

lesquelles le mariage mérite d'être<br />

appelé un "état spirituel", ce qui<br />

veut dire une situation qui impose<br />

le besoin d'une constante référence<br />

à Dieu et d'une permanente dépendance<br />

de Dieu.<br />

Or, c'est justement au-devant de<br />

ce besoin que l'amour de Dieu<br />

vient par la consolation qu'il offre<br />

- et c'est le volet droit du triptyque<br />

- dans l'Evangile que Luther trouve<br />

en Genèse 1,27.28.30, à quoi il<br />

ajoute Proverbes 18,22 : "Celui<br />

qui a trouvé une femme trouvera le<br />

bonheur et obtiendra la faveur du<br />

Seigneur (25)." Ces textes lui inspirent<br />

cette belle définition du<br />

mariage : "Ceux-là reconnaissent<br />

la vie conjugale qui croient fermement<br />

que Dieu a lui-même institué<br />

le mariage et qu'il a ordonné<br />

d'unir l'homme et la femme et<br />

d'engendrer des enfants et d'en<br />

24) De la vie conjugale, MLO III, 239. Dans le<br />

second cas cité, Luther est prêt à accepter le divorce<br />

à condition qu'il ne soit pas suivi d'un nouveau<br />

mariage. Tout le problème du divorce mériterait une<br />

étude particulière. "Non, écrit Luther dans le traité<br />

Des affaires conjugales de 1530, non, cher compagnon!<br />

Quand tu est lié à une femme, tu n'es plus un<br />

48<br />

prendre soin (26)."<br />

Trois idées capitales se détachent<br />

de ces quelques lignes.<br />

- D'abord le rappel de l'institution<br />

divine du mariage : la prendre<br />

en considération transforme la<br />

conception de l'état matrimonial.<br />

Avoir la foi permet en effet de<br />

"reconnaître" la vie conjugale et<br />

de renoncer à la regarder avec les<br />

seuls yeux de la froide raison.<br />

"Quand la sage prostituée, la raison<br />

naturelle (...), considère la vie<br />

conjugale, elle fait la moue et dit :<br />

"Hélas! devrais-je vraiment bercer<br />

l'enfant, laver les langes, faire le<br />

lit, sentir la puanteur, veiller la<br />

nuit, prendre garde à ses cris, guérir<br />

sa teigne et la variole, puis soigner<br />

la femme, la nourrir, travailler,<br />

prendre souci de ceci et souffrir<br />

cela, et endurer tous les autres<br />

désagréments et peines que l'état<br />

conjugal enseigne? Ah ! serais-je<br />

à ce point prisonnier? 0 malheureux,<br />

pauvre mari! Tu as pris<br />

femme ? .. Fi donc ! Fi ! quelle<br />

misère et quel désagrément ! Il<br />

vaut mieux demeurer libre (...).<br />

libre seigneur! Dieu te force à demeurer avec<br />

femme et enfant, à subvenir à leurs besoins et à les<br />

élever" (WA 30 III, 243). Malgré tout, il conçoit<br />

quelques cas où le divorce, qui relève, comme le<br />

mariage, de la juridiction civile, est possible.<br />

25) Formulaire, pp. 54 s.<br />

26) De la vie conjugale, MLO III, 242.<br />

Pae-Réflexion n016


Mais que répond la foi chrétienne<br />

? Elle ouvre les yeux,<br />

considère en esprit toutes ces<br />

œuvres humbles, déplaisantes,<br />

méprisées, et s'avise que la faveur<br />

divine les orne comme d'une parure<br />

faite d'or et de diamants très précieux;<br />

et elle dit : "0 Dieu! parce<br />

que je suis certain que tu m'as fait<br />

homme et que c'est de mon corps<br />

que tu as engendré l'enfant, je sais<br />

aussi avec certitude que cela te<br />

plaît par-dessus toutes choses ; et<br />

je te confesse que je ne suis pas<br />

digne de bercer l'enfançon, ni de<br />

laver ses langes, ni de prendre soin<br />

de lui et de sa mère. Comment aije<br />

pu, sans mérite, accéder à cette<br />

dignité d'avoir acquis la certitude<br />

de servir la créature et ta très chère<br />

volonté. Ah ! comme je veux<br />

fi'acquitter de cette tâche de bon<br />

cœur, fût-elle encore plus humble<br />

et plus méprisée. Maintenant ni le<br />

froid ni la chaleur, ni la peine ni le<br />

travail ne me rebuteront plus, car<br />

je suis certain que tu prends à cela<br />

ton bon plaisir. (27)"<br />

- En second lieu, le texte cité<br />

souligne l'importance de l'union<br />

sexuelle qui conduit à la fécondité<br />

27) Ibid., p. 243.<br />

28) Pour les garçons, Luther indique l'âge de 20 ans<br />

et pOur les filles celui de 15-18, alors que le droit<br />

Canonique le fixait respectivement à 14 et 12.<br />

Fae-Réflexion n016<br />

du couple. Luther souligne souvent<br />

l'importance du "Soyez féconds et<br />

multipliez" de Genèse 1,28. Cela<br />

suppose une vision réaliste - et<br />

même souvent pessimiste - de la<br />

sexualité. A de très rares ,exceptions<br />

près, celle-ci lui apparaît<br />

comme une nécessité. Elle est<br />

génératrice de désordre et, en ce<br />

sens, l'idée du "mariage-remède",<br />

auquel il est bon de recourir le plus<br />

jeune possible (28), n'est pas totalement<br />

absente des écrits luthériens<br />

(29). Mais, en général,elle est<br />

énoncée sous un aspect positif,<br />

présentant le mariage comme un<br />

lien protégé par Dieu, où la sexualité<br />

peut être vécue dans le consentement<br />

et le don mutuels. La<br />

sexualité est, certes, marquée par<br />

le péché, mais pas plus que<br />

d'autres réalités humaines et, de<br />

toute façon, "Dieu épargne les<br />

époux par grâce, parce que l'ordre<br />

conjugal est son œuvre, et même il<br />

conserve, au milieu du péché et<br />

par son moyen, tout le bien qu'il y<br />

a implanté en le bénissant (30)". Y<br />

a-t-il plus belle façon d'exprimer<br />

la bonne nouvelle de la victoire sur<br />

le péché que de dire, comme<br />

29) Ainsi, dans le Sermon sur l'état conjugal de<br />

1519, Luther déclare que "l'état de mariage ressemble<br />

à C...) un hospice pour malades".<br />

30) De la vie conjugale, MLO III, 251.<br />

49


Mais l'état conjugal n'exerce pas<br />

seulement le cœur et l'homme<br />

intérieur pour Dieu par la foi ; il<br />

exerce aussi l 'homme extérieur<br />

dans les œuvres, en sorte que l'état<br />

conjugal fait progresser aussi bien<br />

la foi que les œuvres, qu'il est une<br />

aide aussi bien pour le corps que<br />

pour l'âme, qu'il en prend soin et<br />

les conduit sur le bon chemin (34).<br />

34) Sur le mariage et le célibat, WA 12, 107 s.<br />

A.G.<br />

A quel moment renouveler<br />

son abonnement à FAC-REF<strong>LE</strong>XION ?<br />

C'est simple:<br />

c'est écrit sur l'étiquette de l'enveloppe!<br />

Jean DUPONT<br />

47, rue de la Meuse<br />

09176 LIL<strong>LE</strong><br />

L'abonnement de Jean Dupont<br />

commence au n° 11 et s'achève au n014.<br />

Quand il reçoit le n014, l'étiquette signale<br />

que son abonnement est à échéance et<br />

doit donc être renouvelé.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!