LE GARDE ROBE DE FRÉDÉRIQUE ELLES_LE GARDE-ROBE DE FRÉDÉRIQUE Le recommencement Élise s’élance comme si el<strong>le</strong> était sur une scène, el<strong>le</strong> mène sa propre chorégraphie et se revoit dansant devant la fou<strong>le</strong>. Un instant de grâce, un moment unique devant <strong>le</strong>s yeux de Monica qui l’enveloppent. Mais Élise n’est plus à Gottingen et Monica est partie depuis deux ans déjà. Élise est au Garde- Robe, et c’est la première fois qu’el<strong>le</strong> sort depuis son retour à Montréal, il y a un an. El<strong>le</strong> a arrêté la danse moderne et donne des cours de yoga maintenant, el<strong>le</strong> avait arrêté de rire et recommence <strong>le</strong>ntement à respirer. C’est el<strong>le</strong> qui va louer l’appartement de Fred! « Salut! Alors, comment trouves-tu ça? » Élise rit : « C’est bien, y’a beaucoup de monde, et la musique est bonne, ça fait tel<strong>le</strong>ment longtemps que je m’enferme, que c’est bizarre d’être dans une fou<strong>le</strong>! » Fred sourit, el<strong>le</strong> trouve que cette fil<strong>le</strong> est tel<strong>le</strong>ment attachante, avec ses yeux doux et sa voix posée. « J’suis bien contente que tu reprennes l’appartement. Tu vas voir, c’est vraiment un quartier chouette et il règne dans cet appart une sorte de paix. En tout cas, pour moi, ça a été salvateur! » Élise acquiesce : « C’est drô<strong>le</strong>, mais c’est ce que j’ai ressenti, une tranquillité, et toi, tu dois avoir hâte de déménager avec ta copine? » Fred signe oui de la tête : « J’suis très chanceuse, de l’avoir rencontrée à nouveau, 15 ans plus tard. Cette fois-ci c’est la bonne! » Fred va servir ses clientes, Élise repense à Monica, son ex. Si el<strong>le</strong> la recroisait, est-ce qu’el<strong>le</strong>s retomberaient amoureuses? Ferait-el<strong>le</strong> tout pour la séduire? Est-ce qu’el<strong>le</strong> pourrait la reconnaître dans une fou<strong>le</strong>? Est-ce que Monica est devenue une étrangère? Élise ne peut pas <strong>le</strong> savoir, ne veut pas <strong>le</strong> savoir. Monica l’a quittée, deux fois. La première fois, c’est lorsqu’el<strong>le</strong> lui a dit qu’el<strong>le</strong> partait pour suivre sa troupe en Asie, 2 ans à distance, c’était trop long, une première rupture, intolérab<strong>le</strong>. Le manque de l’autre, <strong>le</strong> vide, <strong>le</strong>s appels la nuit pour entendre sa voix, <strong>le</strong>s courriels d’amour, de tristesse, d’abandon. Le retour de Monica, la joie, l’amour, la vie! La deuxième fois qu’el<strong>le</strong> est partie, c’est un vendredi matin, el<strong>le</strong> rentrait d’une nuit de tournage, sur la route, el<strong>le</strong> a perdu <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong>, l’auto a dérapé dans <strong>le</strong> fossé, el<strong>le</strong> a frôlé la mort, el<strong>le</strong> l’a presque touchée. Deux semaines plus tard, el<strong>le</strong> faisait ses bagages, destination Le Monde. //////////// 042 FUGUES.COM JUIN 2012 Élise n’a rien compris, Monica voulait changer. Leur vie de « bohème-artiste » ne lui suffisait plus, l’accident l’a amenée à cette urgence de vivre, à la nécessité de la quitter. Élise l’a attendue pendant un an, Monica n’est jamais revenue. Élise a fait ses valises et est rentrée à Montréal. El<strong>le</strong> n’a pas laissé d’adresse et a changé son courriel. Ses pensées l’entraînent loin dans <strong>le</strong> temps. Fred s’approche : « Ça va? » Élise sourit : « Bien sûr! J’suis un peu nostalgique, mais ça va très bien! » El<strong>le</strong>s discutent ensemb<strong>le</strong> quand Élise voit passer une grande brune mince aux cheveux très longs. La fil<strong>le</strong> s’arrête au coin du bar et salue Fred de la main, Élise demande : « Tu la connais? » « Oui, c’est Noémie, el<strong>le</strong> est chorégraphe, pour une compagnie ici, super intéressante! Je te la présente, vous avez p<strong>le</strong>in de trucs en commun! » Le temps de <strong>le</strong> dire, Élise serre la main de Noémie, cette dernière la dévisage « Salut, on se connait, je pense… ton visage m’est familier. » Élise ne se souvient pas de l’avoir jamais rencontrée. Noémie a voyagé à travers l’Europe, comme el<strong>le</strong>, une expatriée revenue au bercail, une passionnée de danse moderne. Une célibataire qui reprend vie et qui a un sourire de gamine. Élise a l’impression de se voir dans un miroir, en plus bel<strong>le</strong>! Le temps fi<strong>le</strong>, déjà minuit, <strong>le</strong>s amies de Noémie quittent, el<strong>le</strong> reste avec Élise, l’alcool déliant <strong>le</strong>s langues, <strong>le</strong>s conversations deviennent plus intimes. Noémie lui par<strong>le</strong> de cette fil<strong>le</strong>. Une danseuse venant du classique qu’el<strong>le</strong> a croisée dans une tournée à Berlin avec qui el<strong>le</strong> a eu une aventure qui a duré 6 mois. Des al<strong>le</strong>rs-retours, de la passion déchirante, la rupture fût intense, mais libératrice. Élise l’écoute, une fil<strong>le</strong> à Berlin il y a un an, el<strong>le</strong> ressent un malaise, « Comment s’appel<strong>le</strong>-t-el<strong>le</strong>? » « Jade! » Élise se trouve soudainement stupide, voir si c’était pour être Monica! « J’suis parano, je pense! » Noémie éclate de rire, «Pourquoi? » « Ah! J’pensais que tu étais pour me dire que c’était mon ex! » « Ton ex? Comment s’appel<strong>le</strong>-t-el<strong>le</strong>? » « Monica! C’est avec el<strong>le</strong> que je vivais à Gottingen! » Un si<strong>le</strong>nce. Un doute. Un grincement de dent. Un regard mélancolique. Noémie s’exclame fina<strong>le</strong>ment : « Monica de Gottingen! C’est…» Élise la regarde avec inquiétude « C’est…» Noémie reprend et dit délicatement : « Ton ex Monica s’appel<strong>le</strong> Michael aujourd’hui, il vit à Berlin… C’est là que je t’ai vue, sur des photos chez lui… il te garde précieusement près de lui. » Élise est sous <strong>le</strong> choc, renversée! Noémie lui prend doucement <strong>le</strong> bras et lui dit : « Il me parlait d’une Éli qu’il avait aimée, que c’était la fil<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s photos, et qu’il ne l’oublierait jamais. » Élise ne sait pas quoi faire, la nouvel<strong>le</strong> la surprend, mais en même temps, tout s’explique. El<strong>le</strong> demande la voix enrouée : «El<strong>le</strong> est heureuse, j’veux dire, il est heureux? » « Oui, il est heureux, c’est quelqu’un de vraiment extraordinaire. » Élise lui répond un peu tremblante : « Je sais… je sais » Noémie la serre contre el<strong>le</strong> : « Je t’invite chez moi, on va par<strong>le</strong>r toute la nuit si tu veux. Toi aussi, tu dois être une fil<strong>le</strong> hors du commun. » Élise sourit légèrement. Une nouvel<strong>le</strong> nuit, un autre recommencement. 6 JULIE MAUDE BEAUCHAMP frederique.garderobe@gmail.com PHOTO_ROBERT LALIBERTÉ
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