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PAR ICI MA SORTIE _ QUESTIONS DE SOCIÉTÉ<br />

Homophobie,<br />

quand tu nous tiens!<br />

Petite douche froide dans <strong>le</strong>s groupes communautaires<br />

LGBT après la diffusion des<br />

messages publicitaires montrant des coup<strong>le</strong>s<br />

de même sexe s’embrassant. Les réactions<br />

homophobes sur <strong>le</strong>s réseaux sociaux<br />

en ont surpris beaucoup. Les artic<strong>le</strong>s dans<br />

<strong>le</strong>s quotidiens ont continué d’alimenter <strong>le</strong><br />

débat. Et dans l’excitation épidermique du<br />

moment pour tenter de comprendre ce «<br />

défer<strong>le</strong>ment » de propos parfois haineux,<br />

<strong>le</strong>s dérapages n’ont pas manqué, comme<br />

celui ciblant <strong>le</strong>s immigrants comme grands<br />

responsab<strong>le</strong>s de l’homophobie. Peut-on regarder<br />

ce petit buzz social avec un peu plus<br />

de distance et de froideur? Surtout pour<br />

moi, qui ai plutôt <strong>le</strong> sang chaud.<br />

1) Paradoxa<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s réactions homophobes<br />

justifient amp<strong>le</strong>ment la nécessité<br />

d’une campagne nationa<strong>le</strong>. S’il n’y avait pas<br />

encore une résistance dans la société face à la<br />

visibilité des minorités sexuel<strong>le</strong>s, à quoi bon<br />

une chaire de recherche sur l’homophobie, à<br />

quoi bon des programmes de sensibilisation<br />

et d’information dans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s, chez <strong>le</strong>s<br />

vieux, dans <strong>le</strong>s entreprises? Ce serait absurde.<br />

2) Habitués au Québec à ne pas voir de résistance<br />

visib<strong>le</strong>, ouverte et démonstrative,<br />

comme c’est <strong>le</strong> cas dans d’autres pays, certains<br />

avaient oublié que ce n’est pas parce<br />

qu’ils sont si<strong>le</strong>ncieux que <strong>le</strong>s homophobes<br />

ont disparu.<br />

3) Il faut aussi penser à une certaine lassitude<br />

de la population en général, qui ne<br />

comprend guère que l’on puisse encore<br />

revenir sur ces thématiques : « Après tout, ils<br />

ont des lois qui <strong>le</strong>s protègent, ils ont l’égalité<br />

et <strong>le</strong> mariage, qu’est-ce qu’ils veu<strong>le</strong>nt de<br />

plus? »<br />

4) Enfin, il faut tenir compte des nouvel<strong>le</strong>s<br />

technologies. Au moment de l’union civi<strong>le</strong> et<br />

///////////// 008 FUGUES.COM AVRIL 2013<br />

du mariage au Canada, <strong>le</strong>s réseaux<br />

sociaux n’étaient pas encore<br />

répondus comme ils <strong>le</strong> sont aujourd’hui.<br />

Peut-être aurait-on reçu<br />

autant de messages haineux à cette<br />

époque via Facebook ou Twitter.<br />

5) Et surtout, on doit rester prudent<br />

quant à la perception de l’homophobie<br />

au Québec avec comme<br />

seul outil d’évaluation <strong>le</strong>s réseaux<br />

sociaux. Aussi nombreux soient <strong>le</strong>s<br />

messages, ils ne peuvent en rien<br />

indiquer <strong>le</strong> nombre de personnes<br />

homophobes au Québec ou non.<br />

6) Sans avoir ces considérations à l’esprit, il<br />

devient hasardeux de tenter de définir qui<br />

sont ces homophobes, combien ils sont, et<br />

s’ils sont <strong>le</strong> ref<strong>le</strong>t de ce que pense une partie<br />

des Québécois, en un mot s’ils sont une<br />

masse critique (pour utiliser un concept un<br />

peu tarte à la crème).<br />

7) Dans <strong>le</strong>s réactions à chaud, certains des<br />

représentants communautaires ont tenté<br />

d’apporter des réponses, mais el<strong>le</strong>s étaient<br />

plutôt fondées sur <strong>le</strong>ur propre perception de<br />

la réalité que sur des études, car il n’y en a<br />

pas. Une porte ouverte à des dérapages,<br />

comme on a pu <strong>le</strong> constater.<br />

8) On peut risquer de défendre l’idée d’un<br />

certain Québec tel<strong>le</strong>ment ouvert et acceptant<br />

la diversité, et alors se trouver des raisons externes<br />

et faire porter la responsabilité de<br />

l’homophobie qui subsisterait chez <strong>le</strong>s nouveaux<br />

arrivants. L’étrange étranger qui, par<br />

sa culture ou sa religion, n’accepterait pas <strong>le</strong>s<br />

va<strong>le</strong>urs de la société d’accueil. Il y a probab<strong>le</strong>ment<br />

du vrai dans ce discours, mais <strong>le</strong><br />

mettre en relief sans plus de nuances apparaît<br />

comme une bonne façon de ne pas<br />

balayer devant sa propre porte : «ce n’est<br />

pas nous qui sommes homophobes, ce sont<br />

eux.» En affirmant cela, on crée un clivage<br />

artificiel et bien erroné.<br />

9) L’Aide aux transsexuels et transsexuel<strong>le</strong>s<br />

du Québec, en collaboration avec la Chaire<br />

de recherche sur l’homophobie, a mis sur<br />

pied un programme sur <strong>le</strong> vieillissement des<br />

personnes trans. À ce jour, très peu d’organismes<br />

de services pour <strong>le</strong>s aîné(e)s se sont<br />

senti concernés par cette problématique,<br />

parce que <strong>le</strong>s responsab<strong>le</strong>s estiment qu’il n’y<br />

a pas de trans parmi <strong>le</strong>ur clientè<strong>le</strong>. Là aussi,<br />

il faut être prudent dans l’analyse. Peut-être<br />

faut-il une voir une transphobie systémique<br />

dans <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux monde des aîné(e)s?<br />

Peut-être faut-il aussi se poser la question :<br />

pourquoi <strong>le</strong>s trans plus âgés n’utilisent pas<br />

<strong>le</strong>s services aux aîné(e)s? Se poser la question,<br />

c’est déjà y répondre.<br />

Nous ne sommes pas encore sortis du bois<br />

concernant l’homophobie, et malgré l’approche<br />

prise depuis de nombreuses années<br />

selon laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s meil<strong>le</strong>urs moyens de lutter<br />

contre el<strong>le</strong> seraient l’information et la sensibilisation.<br />

Cette méthode empreinte de persuasion<br />

douce montre aussi ses limites.<br />

L’ignorance n’est pas la seu<strong>le</strong> responsab<strong>le</strong> de<br />

l’homophobie. Ce n’est pas un virus que l’on<br />

combattrait par un quelconque sirop, aussi<br />

bon soit son goût. Ce n’est pas une maladie<br />

que l’on pourrait éviter par prévention. Ce<br />

sont des discours religieux et éthiques,<br />

soutenus par une littérature scientifique, en<br />

somme une idéologie qui tient à se faire entendre.<br />

Et ceux qui s’en font échos ne sont<br />

pas tous des ignorants à qui il faudrait apporter<br />

la bonne paro<strong>le</strong>. Cette stratégie, qui a<br />

des re<strong>le</strong>nts de catholicisme missionnaire,<br />

croit qu’il suffit de nier de tels discours en<br />

bloc. Mais ces discours, qui se fondent sur un<br />

ordre naturel ou divin (et souvent <strong>le</strong>s deux),<br />

ont traversé <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s et survivent encore.<br />

On peut donc prendre la mesure du travail<br />

qui reste à faire. D’autant que même à l’intérieur<br />

de nos communautés, <strong>le</strong>s scories de<br />

ces discours perdurent. Il suffit d’entendre<br />

certains gais par<strong>le</strong>r des femmes (surtout des<br />

<strong>le</strong>sbiennes), des trans, des efféminés ou encore<br />

tout récemment des étrangers. Nous ne<br />

pouvons nous draper dans nos dignités offensées<br />

comme si nous avions <strong>le</strong> monopo<strong>le</strong><br />

du respect, de l’ouverture ou encore de l’acceptation.<br />

Pour nous, deux hommes ou deux femmes<br />

s’embrassant dans <strong>le</strong>s situations <strong>le</strong>s plus<br />

courantes de la vie paraissent complètement<br />

anodins. Mais la simp<strong>le</strong> expression de <strong>le</strong>ur<br />

affection est restée en travers de la gorge de<br />

certains. Et c’est peut-être là où <strong>le</strong> bât b<strong>le</strong>sse.<br />

Même en édulcorant <strong>le</strong> message, même en <strong>le</strong><br />

rendant <strong>le</strong> plus light possib<strong>le</strong> pour qu’il ne<br />

heurte pas, il bouscu<strong>le</strong> l’ordre établi et effraie.<br />

Et c’est peut-être ça, <strong>le</strong> plus dur à<br />

ava<strong>le</strong>r. Bien sûr, on a beaucoup avancé,<br />

mais… de quelques pas seu<strong>le</strong>ment.<br />

6 DENIS-DANIEL BOULLÉ<br />

ddboul<strong>le</strong>@fugues.com<br />

PHOTO_ROBERT LALIBERTÉ

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