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Par ici ma sortie<br />

La question a de quoi faire fuir. Avant de<br />

par<strong>le</strong>r mariage et d’un bungalow à Laval,<br />

il faudrait peut-être commencer par trouver,<br />

comme la pensée populaire <strong>le</strong> veut la<br />

per<strong>le</strong> rare. Cel<strong>le</strong> qui non seu<strong>le</strong>ment accepterait<br />

de jouer à la bête à deux dos<br />

avec échanges d’épidermes, d’ADN et de<br />

fluides à la c<strong>le</strong>f, mais qui serait heureuse de m’avoir à ses côtés au réveil, au retour du travail,<br />

même si fatigué d’avoir été un bon petit soldat social?<br />

Ma mère qui se flatte d’être mariée depuis 60 ans avec <strong>le</strong> même homme, a fait sienne depuis longtemps cette<br />

idée: il y a quelqu’un qui serait notre moitié sur terre et qui n’attendrait que de nous rencontrer pour construire<br />

une vie de coup<strong>le</strong> qui perdurerait jusqu’après la mort, pour des sièc<strong>le</strong>s et des sièc<strong>le</strong>s. (Le amen est à votre discrétion).<br />

Sauf que j’ai rencontré souvent mes moitiés et que, si je <strong>le</strong>s réunissais, je pourrais remplir un Airbus<br />

A380. J’exagère à peine ou si peu. On me dira que ces moitiés n’étaient pas la bonne, la vraie, l’unique moitié,<br />

cel<strong>le</strong> pour qui on se ferait teindre en blonde, pour qui on renierait ses amis, sa patrie… avec qui <strong>le</strong> jour ou la<br />

nuit ça serait pareil... Bof! Tout cela me fait penser à une pauvre princesse simp<strong>le</strong>tte en haut d’une tour de<br />

château soupirant, la larme à l’œil et la bave aux lèvres, après un prince hypothétique et — ce qui est encore<br />

plus hypothétique — charmant. Et d’ail<strong>le</strong>urs, William, <strong>le</strong> seul prince qui vail<strong>le</strong> <strong>le</strong> coup, se marie cette année.<br />

Donc, mon rêve d’être une princesse dans <strong>le</strong> regard de cet autre – ma moitié – je ne peux <strong>le</strong> faire que <strong>le</strong> soir au<br />

fond de mon lit, en me masturbant <strong>le</strong>s yeux fermés. Je revendique et – assume - mes fantasmes d’ado<strong>le</strong>scent<br />

boutonneux dévorant la presse peop<strong>le</strong>. Sauf qu’il ne faut plus dire et surtout écrire cela quand on a cinquante<br />

ans et plus, et même quand on est plus jeune. Même si on doit encore se moucher grassement dans un k<strong>le</strong>enex<br />

en regardant pour la 350 e fois <strong>le</strong>s aventures et <strong>le</strong>s malheurs de Sissi en technicolor.<br />

Mais ce n’est pas en fermant <strong>le</strong>s yeux et en jouant avec mon sexe que je trouverai l’élu de mon cœur, comme<br />

dirait toujours ma génitrice. D’autant plus que la moitié du moment dort paisib<strong>le</strong>ment à côté de moi, et qu’il<br />

devrait être l’objet (sympa de par<strong>le</strong>r de l’autre comme d’un objet) de tous mes fantasmes, de tous mes désirs et<br />

de toutes mes attentions. Peut-être que la moitié que nous avons n’exclut pas la recherche d’une autre moitié,<br />

et encore d’une autre moitié, et hop, on finit par affréter un Boeing 747 (je fais jouer la concurrence pour ne<br />

pas être accusé de favoriser un avionneur par rapport à l’autre).<br />

Les moitiés se sont succédé dans ma vie, parfois j’en avais plusieurs en même temps, remettant en question <strong>le</strong><br />

sens des proportions (étaient-ce des quarts, des tiers?). Je n’ai jamais su comment je m’étais retrouvé en coup<strong>le</strong>,<br />

ni d’ail<strong>le</strong>urs comment j’avais fait pour me retrouver célibataire, bigame, polygame, et parfois rien de tout<br />

cela. Ni tous <strong>le</strong>s livres pour développer mon potentiel de conjoint parfait, ni <strong>le</strong>s psys rencontrés n’ont jamais pu<br />

épuiser <strong>le</strong> sujet de l’amour, toujours l’amour. Pourquoi cette moitié et pas une autre? Pourquoi on veut rester<br />

avec cel<strong>le</strong>-ci et pourquoi on n’a qu’une envie — fuir cel<strong>le</strong>-là. Il reste toujours ce petit mystère qui dépasse<br />

largement la production de dopamine : l’explication psychologique à ce besoin d’aimer et d’être aimé, et d’être<br />

en coup<strong>le</strong>.<br />

Ce que je sais, c’est que je suis passionné. Que je n’aime jamais ma moitié ou mes moitiés à moitié. Je suis<br />

plutôt du genre à en rajouter… au diab<strong>le</strong> <strong>le</strong>s proportions, <strong>le</strong>s équilibres, <strong>le</strong>s gril<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s tests pour atteindre <strong>le</strong><br />

parfait petit bonheur conjugal. Ce ne que je n’ai pas vécu en longévité, je l’ai vécu en intensité. Et ces relations<br />

n’ont pas moins de va<strong>le</strong>ur que si el<strong>le</strong>s avaient duré soixante ans.<br />

En ce moment de célébration du coup<strong>le</strong>, comme seul et unique garant de l’épanouissement, il ne faudrait pas<br />

oublier que l’amour, la passion, <strong>le</strong> sexe ne se plient pas toujours à la norme conjuga<strong>le</strong> tel<strong>le</strong> que trop vantée. Ils<br />

peuvent prendre bien d’autres détours et d’autres formes. Ils méritent, à défaut d’être célébrés <strong>le</strong> 14 février,<br />

d’être reconnus et entendus.<br />

Qui veut m’épouser? J’y pense parfois dans mes rêves de petit garçon à peine pubère. Mais en même temps, je<br />

préfère vivre l’instant présent et suis même assez fier – mon petit côté transgressif – de ne pas marcher dans <strong>le</strong><br />

même sens que tout <strong>le</strong> monde. Et de l’écrire. Et de ne pas me cacher derrière la superbe vitrine d’un coup<strong>le</strong> de<br />

gars propres sur eux, bien sur tout <strong>le</strong>s rapports, mais qui dans <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce de <strong>le</strong>ur lit queen, s’endorment chacun<br />

dans <strong>le</strong>ur coin en rêvant à William une main dans <strong>le</strong>ur pyjama. q Denis-Daniel BOULLÉ<br />

: ddboul<strong>le</strong>@fugues.com<br />

12 <strong>Fugues</strong>.com Février 2011<br />

Qui veut m’épouser?<br />

ù PHOTO ROBERT LALIBERTÉ

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