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image+nation gros plan sur...<br />
HOWL, DE ROB EPSTEIN ET JEFFREY FRIEDMAN<br />
UN TOUR DE FORCE INCROYABLE<br />
Disparu en 1997 <strong>le</strong> poète Al<strong>le</strong>n Ginsberg a incarné aux États-Unis l’esprit de la Beat generation qui<br />
rêvait de liberté. Icône gaie, l’auteur du poème emblématique Howl aimait à manier la langue avec<br />
vigueur, sans peur du mot qui choque. Les réalisateurs Rob Epstein et Jeffrey Friedman (The Times<br />
of Harvey Milk, Common Threads, The Celluloid Closet et Paragraph 175) avaient<br />
au départ prévu un traitement documentaire pour Howl. Mais après réf<strong>le</strong>x-<br />
28 octobre-7 novembre<br />
image+nation<br />
festival international<br />
de cinéma lgbt<br />
ion, c'est la fiction qui s'est imposée à eux pour brosser <strong>le</strong> portrait d'Allan<br />
Ginsberg et de son œuvre. Les réalisateurs ont accompli un tour de<br />
force d’al<strong>le</strong>r à la rencontre des genres.<br />
Avec ses lunettes arrondies, sa chemise à carreaux et son indifférence travaillée,<br />
Al<strong>le</strong>n Ginsberg (incarné par James Franco) est l'archétype du poète perdu. Ses amours<br />
déchues et son sentiment de désillusion vont lui inspirer <strong>le</strong>s vers de Howl («hur<strong>le</strong>ment» en anglais). Adapter<br />
une œuvre littéraire au cinéma, c'est toujours jouer avec <strong>le</strong> feu. Mais tourner un film sur une œuvre poétique<br />
représente encore plus une véritab<strong>le</strong> gageure. À travers ce texte dédié à son ami Carl Solomon, rencontré lors<br />
d’un séjour en hôpital psychiatrique à New York, Ginsberg se livre: il donne sa vision du monde, proclame son<br />
homosexualité et fait de la vie des personnes qui l’entourent et l’inspirent, la matière première et <strong>le</strong>s héros de<br />
cette ode. Le recueil de poésie Howl deviendra un des textes fondateurs de la Beat Generation, juste avant<br />
la publication d’On the Road par son ami Jack Kerouac. Le texte est immense, ses personnages «plus grands<br />
que nature» et <strong>le</strong>s enjeux du procès sont fondamentaux: une interrogation sur <strong>le</strong>s limites de la liberté d'expression<br />
et la définition de l'art. Howl n’est pas une biographie filmée, son ambition est ail<strong>le</strong>urs: mettre en<br />
images la poésie el<strong>le</strong>-même. C’est une expérience cinématographique d’un genre nouveau qui fait du poème,<br />
et non de Ginsberg, <strong>le</strong> sujet du film et détermine sa forme. Interprète halluciné, possédé par <strong>le</strong> rythme et la<br />
fièvre du texte, James Franco pousse un cri déchirant de liberté. Le texte bat à nos oreil<strong>le</strong>s comme <strong>le</strong> sang dans<br />
nos veines et <strong>le</strong> film entier vibre de cette énergie vita<strong>le</strong>, de ce désir désespéré et bou<strong>le</strong>versant qui constitue<br />
l’essence même de l’œuvre de Ginsberg. Qu'on ne s'y méprenne pas: <strong>le</strong> film Howl n'est pas une suite d'extraits<br />
de poèmes lus sur un ton ennuyeux. Entre interview imaginaire, <strong>le</strong>ctures de poème en pellicu<strong>le</strong> noir et<br />
blanc, reconstitution du procès et extraits de poème en images animées, <strong>le</strong>s scènes s'entrecroisent et <strong>le</strong>s mots<br />
s'entremê<strong>le</strong>nt. Ce mélange savamment dosé de formes<br />
visuel<strong>le</strong>s fait la force de l'œuvre. On navigue du film au<br />
dessin animé, <strong>le</strong>s transitions sont amenées avec<br />
douceur. Le dessin s'avère inquiétant, troublant, presque<br />
dérangeant. Cette force à la fois littéraire, visuel<strong>le</strong> et<br />
poétique permet à l'œuvre de revivre en images. Le film<br />
prend alors une dimension réf<strong>le</strong>xive presque intemporel<strong>le</strong>.<br />
Les réalisateurs ont réussi à combiner ingénieusement<br />
<strong>le</strong>s genres et à présenter d'une manière<br />
origina<strong>le</strong> l'une des plus grandes œuvres du XX e sièc<strong>le</strong>.<br />
q Yves LAFONTAINE<br />
82 <strong>Fugues</strong>.com novembre 2010<br />
HOWL sera présenté <strong>le</strong> vendredi 29 octobre, à 19h, au Théâtre Hall<br />
Concordia (Hall Building, 1455 De Maisonneuve Ouest). Pour visionner<br />
un extrait de HOWL, visitez la section «Image+Nation» de<br />
<strong>Fugues</strong>.com ou consultez <strong>le</strong> www.image-nation.org.