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<strong>le</strong>sbos inter-vue avec...<br />
JOAN BRADERMAN<br />
LE FÉMINISME EN MOTS<br />
ET EN IMAGES D’HIER<br />
À AUJOURD’HUI<br />
Cette année, <strong>le</strong> festival Image + Nation présentera <strong>le</strong> plus<br />
récent film de la cinéaste Joan Braderman. Cel<strong>le</strong> qui a<br />
présenté ses films dans <strong>le</strong>s col<strong>le</strong>ctions permanentes des<br />
musées tels Le Centre Georges Pompidou à Paris et The Museum<br />
of Modern Art de New York, est professeure de film,<br />
vidéo et études médiatiques depuis plus de 30 ans. El<strong>le</strong><br />
inspire à la fois <strong>le</strong>s artistes d’aujourd’hui et <strong>le</strong>s prochaines<br />
générations. D’ail<strong>le</strong>urs, la cinéaste voulait créer, avec The<br />
Heretics, «un film dont l’histoire positive donnerait de<br />
l’espoir et de l’inspiration aux jeunes». Ce documentaire<br />
nous propose un retour sur <strong>le</strong> mouvement féministe des années<br />
70, par <strong>le</strong> biais de la revue féministe pionnière nommée<br />
The Heresis. C’est aussi <strong>le</strong> regard d’une cinéaste sur son<br />
passé, sur une époque, doublé d’un dialogue avec ses amies de longue date, de jeunes féministes, aujourd’hui<br />
devenues des artistes et des femmes respectées du milieu artistique.<br />
Comment vous est venue l’idée du film The Heretics?<br />
J’étais chez-moi et je regardais mes montages en déprimant. Bush était président et il y avait des guerres partout! Et<br />
je voulais donc me retrouver à une époque où l’on pouvait changer l’impossib<strong>le</strong>, ou tout semblait possib<strong>le</strong> du moins, et<br />
mettre cette histoire, cel<strong>le</strong> de la revue The Heresis, sur film. Beaucoup de femmes de The Heresis sont reconnues pour<br />
<strong>le</strong>ur art, alors je me suis dit : pourquoi ne pas faire quelque chose avec el<strong>le</strong>s? Je <strong>le</strong>s ai contactées et el<strong>le</strong>s ont accepté.<br />
Je voulais aussi que <strong>le</strong> projet ait un aspect intergénérationnel, alors j’ai demandé à une de mes meil<strong>le</strong>ures étudiantes<br />
de produire <strong>le</strong> film. El<strong>le</strong> a accepté, alors je savais que <strong>le</strong> projet allait fonctionner.<br />
De l’idée au produit final, combien de temps avez-vous mis pour réaliser <strong>le</strong> film?<br />
Trois ans et demi. Et faute de subventions, j’ai dû hypothéquer ma maison… <strong>le</strong>s Républicains ne font que décimer <strong>le</strong>s<br />
arts. Alors je me suis dit : «je dois <strong>le</strong> faire, j’ai l’équipe et <strong>le</strong>s idées avec moi, je vais hypothéquer ma maison et faire ce<br />
putain de film!» J’étais sur la corde raide et la chose qui m’a sauvée, c’est que j’enseigne depuis des années. J’ai formé<br />
beaucoup de cinéastes (j’en suis très fière d’ail<strong>le</strong>urs). Alors, j’ai pu compter sur mes étudiants pour m’aider.<br />
Dans votre film, la cinéaste Su Friedrich explique à quel point il est diffici<strong>le</strong> pour une femme de<br />
faire sa place dans <strong>le</strong> milieu du cinéma aujourd’hui. Qu’en pensez-vous?<br />
C’est diffici<strong>le</strong>! Et si tu veux travail<strong>le</strong>r dans l’industrie, tu peux, mais il faut te mesurer à des cons! Ce n’était pas différent<br />
lorsque j’étais jeune; on me disait que j’avais beaucoup de ta<strong>le</strong>nt et on me présentait des producteurs, mais ils<br />
étaient tel<strong>le</strong>ment odieux que j’aimais mieux décliner. Les va<strong>le</strong>urs dominantes de l’industrie n’étaient pas et ne sont<br />
toujours pas <strong>le</strong>s miennes, alors ce n’est pas un milieu où on peut exercer son métier comme on veut. À l’extérieur de<br />
l’industrie, c’est aussi diffici<strong>le</strong>, car la crédibilité est un motif récurrent, il faut constamment se prouver en tant que<br />
femme.<br />
Pouvez-vous expliquer <strong>le</strong>s choix esthétiques préconisés dans The Heretics?<br />
Je ne suis pas une adepte des «Talking Heads» standards et je n’aime pas <strong>le</strong>s plans moyens, car c’est ennuyant. Que<br />
ce soit à la télévision ou au cinéma, on ne fait jamais de gros plans sur des femmes plus âgées, car c’est presqu’une<br />
source de honte (sauf si el<strong>le</strong>s ont été charcutées par la chirurgie plastique, là c’est acceptab<strong>le</strong>). Avec l’utilisation des<br />
gros plans, je voulais montrer que l’on peut être bel<strong>le</strong> et intéressante, même à 60 ans. La beauté de <strong>le</strong>urs visages et de<br />
<strong>le</strong>urs travaux, en gros plans, rehausse la va<strong>le</strong>ur du film.<br />
Vous avez exploité la vidéo dans <strong>le</strong>s années 80, alors que c’était un médium en p<strong>le</strong>ine expansion.<br />
Aujourd’hui, est-ce important pour vous d’explorer <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s technologies?<br />
Oui, mais j’ai dû tout réapprendre! J’étais très intéressée à utiliser <strong>le</strong>s graphiques et <strong>le</strong> digital au niveau de<br />
l’esthétique. J’ai donc appris After effects de deux de mes étudiantes et j’ai mis mon rêve entre <strong>le</strong>ur mains<br />
afin qu’el<strong>le</strong>s créent <strong>le</strong>s animations digita<strong>le</strong>s.<br />
Croyez-vous que la jeune génération d’aujourd’hui a oublié ce que <strong>le</strong> mouvement des femmes et <strong>le</strong><br />
féminisme ont fait pour el<strong>le</strong>?<br />
El<strong>le</strong>s croient que tout est acquis et qu’il n’y a plus de travail à faire, mais el<strong>le</strong>s apprendront, lorsqu’el<strong>le</strong>s iront<br />
sur <strong>le</strong> marché du travail, que c’est faux. D’un autre côté, lorsque nous avons présenté <strong>le</strong> film, nous avons eu<br />
un accueil très cha<strong>le</strong>ureux de la part des femmes dans la jeune vingtaine, car el<strong>le</strong>s voient aussi <strong>le</strong> film comme<br />
des possibilités qui peuvent s’offrir à el<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong>s veu<strong>le</strong>nt changer des choses, créer des groupes, valoriser<br />
l’amitié entre femmes, s’éloigner de l’individualité. El<strong>le</strong>s s’identifient aux femmes dans The Heretics, même si<br />
el<strong>le</strong>s sont d’une autre époque. Les jeunes commencent à peine à être conscientes des choses qu’el<strong>le</strong>s devront<br />
accomplir dans <strong>le</strong>urs vies pour survivre.q Julie VAILLANCOURT<br />
THE HERETICS sera présenté <strong>le</strong> samedi 6 novembre, à 16h30, à l’amphithéâtre de la Bibliothèque Nationa<strong>le</strong> (475, bou<strong>le</strong>vard De Maisonneuve<br />
Est). www.image-nation.org. Infos sur Joan Braderman et The Heretics : helios.hampshire.edu/nomorenicegirls/heretics<br />
72 <strong>Fugues</strong>.com novembre 2010