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SOlidairement vôtre<br />
Par un beau soir de l’été de mes 13 ans, j’ai été violé par<br />
un homme qui me menaçait de mort si j’osais crier ou<br />
tentais de fuir. Déjà pas très développé physiquement<br />
pour mon âge, je peux vous assurer que je me sentais<br />
vraiment perdu dans <strong>le</strong> petit boisé de l’Université Laval,<br />
aux abords du centre commercial de Place Sainte-Foy.<br />
L’homme corpu<strong>le</strong>nt me demanda de me dénuder et de me<br />
coucher sur la couverture…<br />
Si je vous décris brièvement cet événement<br />
de ma vie, ce n’est certes pas pour<br />
attirer votre sympathie, mais bien<br />
pour illustrer <strong>le</strong> propos de ma<br />
chronique de ce mois-ci sur la<br />
défense col<strong>le</strong>ctive des droits humains. Le lien entre <strong>le</strong>s deux n’est pas évident, je vous <strong>le</strong> concède, mais comme vous <strong>le</strong><br />
verrez, travail<strong>le</strong>r pour un organisme tel que <strong>le</strong> CQGL exige beaucoup plus que ce que l’on peut imaginer, et pour soi, et<br />
pour <strong>le</strong>s autres.<br />
Défendre <strong>le</strong>s droits d’une communauté peut semb<strong>le</strong>r relativement simp<strong>le</strong> de prime abord : Représentations auprès<br />
d’instances politiques, économiques et socia<strong>le</strong>s; dépôts de mémoires en commission par<strong>le</strong>mentaire; interventions dans<br />
l’espace public et médiatique; éducation et sensibilisation auprès de la population; pressions pour faire modifier ldes<br />
lois ou en faire adopter de nouvel<strong>le</strong>s. En fait, on peut dire que défendre <strong>le</strong>s droits col<strong>le</strong>ctifs de nos semblab<strong>le</strong>s, c’est<br />
agir afin d’assurer <strong>le</strong> mieux-être et la p<strong>le</strong>ine intégration des personnes marginalisées et discriminées afin qu’el<strong>le</strong>s puissent<br />
avoir droit au même res-pect et à la même considération que toute autre personne au sein d’une société, mais<br />
aussi qu’el<strong>le</strong>s puissent bénéficier des mêmes privilèges. Simp<strong>le</strong> comme bonjour, non?<br />
Et pourtant, quand on y regarde de plus près, appliquer ce concept de défense des droits col<strong>le</strong>ctifs au quotidien est<br />
bien plus diffici<strong>le</strong> qu’il n’y paraît. Pourquoi? me direz-vous. Eh bien, parce que cette va<strong>le</strong>ur humaine et socia<strong>le</strong> ne peut<br />
souffrir de variabilité! Nous ne pouvons œuvrer à défendre <strong>le</strong>s droits des personnes de nos communautés sans aussi<br />
défendre ceux des femmes, des personnes assistées socia<strong>le</strong>s, des personnes ayant des limitations fonctionnel<strong>le</strong>s, des<br />
locataires, des travail<strong>le</strong>urs et chômeurs, des immigrants, des autochtones, des malades, des travail<strong>le</strong>uses du sexe, d’autant<br />
que nous sommes aussi des travail<strong>le</strong>urs, des immigrants, des malades, etc.<br />
Mais ce qui rend encore plus diffici<strong>le</strong> la défense col<strong>le</strong>ctive des droits, c’est que nous ne pouvons laisser notre vécu venir<br />
interférer avec ce principe. Autrement dit, la défense col<strong>le</strong>ctive des droits se doit d’être applicab<strong>le</strong> pour toutes et tous.<br />
Cela implique que nous devons aussi défendre <strong>le</strong>s droits de ceux qui nous ostracisent. Par exemp<strong>le</strong>, c’est défendre <strong>le</strong>s<br />
personnes croyantes lorsque que <strong>le</strong>urs droits sont brimés, et ce, même si el<strong>le</strong>s nous souhaitent l’enfer à la fin de nos<br />
jours. C’est ce que l’on appel<strong>le</strong> agir conséquemment avec <strong>le</strong>s va<strong>le</strong>urs que l’on met de l’avant qu’el<strong>le</strong>s <strong>le</strong> soient à titre<br />
individuel ou organisationnel.<br />
Donc, comme je vous <strong>le</strong> disais en début de ce texte, quand nous nous impliquons dans un organisme prônant <strong>le</strong>s<br />
droits juridiques et sociaux pour toutes et tous, il arrive que notre vécu vienne s’interposer entre l’idéal et la pratique.<br />
Je peux vous assurer que lorsque je suis arrivé au sein de notre organisme, j’étais loin d’imaginer qu’aujourd’hui, je<br />
serais partisan de la défense des droits des criminels, au point d’accepter que mon agresseur puisse lui aussi avoir des<br />
droits. Pour moi, cela me semblait quelque peu injuste à une certaine époque. Moi qui ai tant rêvé pendant de nombreuses<br />
années de <strong>le</strong> retrouver pour pouvoir <strong>le</strong> torturer, <strong>le</strong> faire souffrir comme j’avais souffert. Mais <strong>le</strong> temps passe et<br />
notre pensée évolue.<br />
Eh oui, un criminel aussi a des droits. Il a <strong>le</strong> droit d’avoir un procès juste et équitab<strong>le</strong>. Il a <strong>le</strong> droit de bénéficier, même<br />
en prison, d’un environnement sécuritaire, de manger ses trois repas par jour, il a <strong>le</strong> droit à son intégrité. Cela vous<br />
étonne ? Que vou<strong>le</strong>z-vous, défendre <strong>le</strong>s droits col<strong>le</strong>ctifs des personnes implique que nous ne puissions accepter qu’un<br />
groupe d’individus en soit privé, car si nous l’acceptons pour un, nous devrons aussi accepter que d’autres col<strong>le</strong>ctivités<br />
en soient privées. Quand nous regardons notre monde et son histoire, je préfère assurer à mon vio<strong>le</strong>ur ses droits que<br />
de voir ceux que j’aime perdre <strong>le</strong>s <strong>le</strong>urs. q Steve FOSTER, président Conseil québécois des gais et <strong>le</strong>sbiennes<br />
118 <strong>Fugues</strong>.com NOVEMbrE 2010<br />
: president@cqgl.ca