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V O L . 2 7 N 0 3 J U - Fugues

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ONAIME... les livres<br />

O par André Roy<br />

CITY BOY<br />

Edmund White,<br />

l’homme de New York<br />

Edmund White, écrivain américain fort connu, arrive à New York<br />

en 1962, s’installe définitivement en 1970 dans cette ville où,<br />

comme il l’écrit dans CCiittyy BBooyy, on dormait jusqu’à midi. Période<br />

faste que sont ces deux décennies précédant l’explosion du<br />

sida: tout y semblait permis, la sexualité explosait pour ainsi<br />

dire à tous les coins de rue, et le monde pouvait changer tant<br />

par la contre-culture, la drogue que par l’engagement politique<br />

libéral (ce qui veut dire aux États-Unis : être à gauche). Période<br />

stimulante et tumultueuse, sur laquelle revient principalement<br />

l’écrivain, non sans nostalgie. Avec Venise et San Francisco,<br />

New York demeure le lieu du développement littéraire<br />

d’Edmund White. Et CCiittyy BBooyy se présente alors comme le cinquième<br />

volet d’une autobiographique qui a commencé avec UUnn<br />

jjeeuunnee aamméérriiccaaiinn (réédité aux Éditions 10/18, 1992) et s’est poursuivie<br />

avec LLaa tteennddrreessssee ssuurr llaa ppeeaauu (rééditée aux Éditions 10/18,<br />

1992), LLaa ssyymmpphhoonniiee ddeess aaddiieeuuxx (rééditée aux Éditions 10/18,<br />

2003) et MMeess vviieess:: uunnee aauuttoobbiiooggrraapphhiiee (Plon, 2006). Encore que<br />

presque tous les livres de ce biographe de Jean Genet et de Marcel<br />

Proust soient plus ou moins des autobiographies romancées.<br />

Pendant presque vingt ans, White établira ses pénates dans cette ville mythique, et c’est là qu’il naîtra – sur<br />

le tard; à l’âge de 40 ans – comme écrivain. Il profite de CCiittyy BBooyy, sous-titré «Chronique new-yorkaise» pour<br />

décrire tout particulièrement son travail d’écrivain et faire le portrait d’autres écrivains qu’il a connus et<br />

fréquentés, de Susan Sontag à Harold Brodkey, en passant par William Burroughs, Harry Mathews et Richard<br />

Sennett, et dont il nous fait souvent découvrir des côtés cachés qui le mettent plus en valeur, lui, que ses<br />

copains littéraires. Son livre raconte donc sa formation d’écrivain dans un New York qu’il considère comme<br />

«un dépotoir avec de sérieuses aspirations artistiques». Il est vrai que tout était sale dans cette ville alors bon<br />

marché, qui était également plus dangereuse qu’aujourd’hui. Mais elle s’avérera idéale — mais difficile, très<br />

difficile — pour la réalisation de ces aspirations. Et Edmund White n’en a qu’une : être écrivain.<br />

C’est durant ces deux décennies que sont nées et se sont développées toutes les avant-gardes américaines,<br />

que ce soit en danse (Mercy Cunningham), en arts visuels (Jaspers Johns en peinture, Robert Mapplethorpe<br />

en photo) ou en littérature. White a connu les principaux représentants, très souvent gais, sur lesquels<br />

soufflait l’esprit libertaire de l’époque. C’est dans cette ville d’intellectuels que le futur écrivain se libère<br />

sexuellement. Même s’il y insiste moins que dans ses livres précédents, en particulier dans MMeess vviieess, sa vie<br />

sexuelle prend encore place dans CCiittyy BBooyy — et ceux qui ont lu ses œuvres antérieures n’apprendront rien<br />

de nouveau là-dessus. Mais White rappelle combien la vie homosexuelle était tout à la fois interdite et audacieuse<br />

(avec ses backrooms, les hangars du port), combien il était impossible d’afficher son homosexualité<br />

(la sodomie était illégale, par exemple), qui était alors vécue sous le mode de l’intime et du caché. Il<br />

décrit excellemment la situation des homosexuels de l’époque et du rapide passage de la clandestinité à<br />

la lutte en plein jour pour leurs droits, avec l’émeute contre la fermeture par la police du club Stonewall.<br />

Moment charnière que ce passage de la honte à la fierté gaie et d’où ont surgi la reconnaissance et le sentiment<br />

d’appartenance des homosexuels. Époque heureuse, bénie pour les pulsions et les joies érotiques<br />

et sexuelles, que stoppera cruellement le sida au début des années 1980.<br />

Edmund White se souvient de ces deux décennies avec nostalgie plutôt qu’avec mélancolie. À la fin, il donne<br />

l’impression de se plaindre de ne plus retrouver le New York, qui l’a vu naître comme écrivain, lorsqu’il y est<br />

revenu après un long séjour de 16 ans en France (il y écrira sa fameuse biographie sur Jean Genet). Il se plaint<br />

presque avec délectation de son assagissement, d’avoir arrêté de fumer et de boire, d’avoir grossi — lui qui avait<br />

été l’un des premiers gais à aller s’entraîner dans un gym dès son arrivée dans la Grosse Pomme. Son livre demeure<br />

toutefois une délicieuse chronique de la vie sociale et artistique — et parfois bien secrète — de cette ville<br />

démente qu’est New York. Edmund White en est l'homme intense, passionné et lyrique; en quelque sorte son<br />

fils spirituel; voire l’emblème même de l’écrivain new-yorkais tel qu’on se l’imagine. Il va sans dire que CCiittyy<br />

BBooyy, souvent émouvant et excitant, se lit comme un roman. André ROY<br />

CITY BOY. Chronique new-yorkaise / Edmund White, traduit de l’anglais (États-Unis) par Philippe Delamare, Paris, Plon, coll. « Feux croisés », 2009, 327 p.<br />

002046<br />

116 juin 2010 fugues.com

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