Journal of Film Preservation - FIAF

Si tout semble apte à devenir matière à archiver, - car faisant presque
ipso facto partie d’un patrimoine - les lieux où l’on va consulter des
archives, et surtout l’usage qu’on en fait, le rapport qu’on entretient avec
eux ont changé.
Fausses solutions à vrais problèmes
On dit que toute problématique nouvelle génère ses solutions. Ainsi la
question de la prolifération de l’archivable - de ce qui est considéré
comme faisant partie d’un patrimoine - trouverait réponse à ses
difficultés par les moyens d’archivage que proposent l’électronique et la
digitalisation. “Mettons tout cela en mémoire!”. La mise en mémoire par
des moyens électroniques paraît illimitée et semblerait donner une
réponse à notre question : comment stocker “tout”! 8
Est-ce si simple? N’est-ce pas illusoire? Et surtout n’est-ce pas sans
danger?
Car, si le problème est bien réel, la solution, elle, peut paraître
inadéquate. Mais inadéquate pour qui? Pour nous, gens d’archives, car
les utilisateurs-consommateurs, eux, semblent trouver la solution
parfaitement adéquate. Elle leur semble tellement évidente d’ailleurs, que
le problème qui la sous-tend ne leur est même pas compréhensible.
Du document authentique au document accessible
Prenons, par exemple, le problème central de l’accessibilité : les documents
archivés doivent forcément être accessibles, et de préférence de la
façon la plus commode, sans aucune discrimination pour les utilisateurs…
Or, dans la mentalité actuelle, ce simple précepte devient :
Puisqu’il y a accessibilité maximale - du moins c’est ce que l’électronique
prétend - le document d’archive lui est donc présupposé. On ne se pose
plus la question de l’existence de l’archive - des documents - puisque
l’ordinateur d’une certaine façon la remplace. L’archive est d’une certaine
manière dans l’ordinateur! Et de là, on n’est pas loin de penser que l’ordinateur
remplace, équivaut, “est” l’archive.
•
Dans l’usage quotidien de nos appareils électroniques, nous disons que
quand nous avons programmé les données de fonctionnement, nous
avons mis ces données “en mémoire”. Todorov remarque que cette
dénomination est déroutante, car selon lui, il manque à cette opération
un trait constitutif de la mémoire : la sélection. 9 Je ne crois cependant
pas que, dans ces mises en mémoire électronique, la sélection fasse
défaut, elle se fait seulement d’une manière double: en amont (par la
programmation) et en aval (par l’utilisation). J’y reviens.
Ce qui me déconcerte plutôt, c’est la transformation que subissent les
archives dans cette programmation électronique, une transformation, où
la notion d’authenticité ou d’originalité est escamotée... Or cet argument
est devenu bien faible à une époque où la “reproductibilité technique”
(W. Benjamin) est devenue la norme absolue. Car, selon ce sentiment
contemporain, qui dit reproduction suppose une “authenticité”. Le
raisonnement serait le suivant : “Puisque je suis en mesure de consulter
21 Journal of Film Preservation / 58/59 / 1999
The Memory of the Archives
Summary by Eileen Bowser
The film archives are at a new point of
crisis. The concept of an archive is changing.
The way to make the film heritage available
to the public is not so clear anymore.
The very idea of a cultural heritage was
understood only by a small minority until
the Year of Heritage, which has turned out
to have had an enormous impact. Now that
the concept of heritage is widely accepted as
part of the culture, it is changing from an
“elitist” activity to a “democratic”
preoccupation. To understand this notion of
heritage, we must note, as did Pierre Nora,
that national history has become national
memory. The amount of the material of
recorded history has become so gigantic that
we cannot remember it all. Memory has
become archival. The cultural heritage is no
longer that which has been judged as such
once and for all: now everything may enter
into this category of value. This is, in fact,
the reverse of what we were accustomed to
call cultural heritage. It consists no longer in
the first place of objects, but an attitude. The
question is to know where the cultural legacy
that is necessary to conserve begins and
ends. The problem is already latent in the
particular ideologies that govern the work of
certain film archives. For example, Jacques
Ledoux, the late Curator of the
Cinemathèque Royale de Belgique, was of
the opinion that it was necessary to save
everything, or at least the most possible
because our value judgments change over
time and we must regularly re-evaluate.
Ledoux opposed selection. In the larger
domain, the explosion of the idea of heritage
as we have known it for some decades has
as a direct consequence an uncontrollable
proliferation of that which one must or
should preserve. According to Nora, it is a
veritable obsession with the integral
conservation of the whole present and the
past. The problem that is posed in a
dramatic way in all the classic places of
archiving is still brutally physical : how to
store “everything”?
The history of this need to save everything
was dramatically affected by the totalitarian
regimes of the 20th century which revealed
the formerly unsuspected existence of the
possibility of erasing memory. The loss of
memory is an anguishing sentiment for our
contemporaries. The loss of parts of it, such
as the massive destruction of silent films,
was the driving force of the collectors who
would become the first founders of our film
archives. In other domains one finds the