Journal of Film Preservation - FIAF
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l’intérieur, plus elle a besoin de supports extérieurs et de repères<br />
tangibles d’une existence qui ne vit plus qu’à travers eux”. 5<br />
Une certaine notion, un certain sentiment de l’histoire tend donc à nous<br />
échapper. Cela a été vécu parfois de manière dramatique dans notre<br />
passé récent car nous savons que “les régimes totalitaires du 20ème<br />
siècle ont révélé l’existence d’un danger insoupçonné auparavant : celui<br />
de l’effacement de la mémoire”. 6 Mais même en-dehors de ces contextes<br />
totalitaires, la crainte de perdre la mémoire est un sentiment qui hante<br />
nos contemporains. De là aussi, on ne s’en étonnera pas, une<br />
surévaluation de la mémoire, avec par exemple, ces nouveaux rites que<br />
sont les commémorations qui ne font que se multiplier. Ici aussi le<br />
réflexe de conservation joue.<br />
Cette tendance à vouloir tout conserver, à vouloir constituer les “archives<br />
de la mémoire” serait donc le symptôme d’une nouvelle attitude par<br />
rapport au passé et à l’histoire. Ainsi, si l’on comprend bien Pierre Nora :<br />
quand c’est le sentiment même de l’histoire qui tend à disparaître, c’est la<br />
mémoire qui tente de le remplacer. Cela se confirme également sur des<br />
plans plus concrets. C’est précisément au moment où une perte, où une<br />
destruction de ce passé devient probable ou réelle, que l’on s’attache<br />
comme par un réflexe à conserver ce qui peut encore être sauvé. La<br />
naissance des archives de cinéma au moment de l’avènement du cinéma<br />
sonore en est un exemple. La destruction massive de films muets<br />
devenus sans valeur a poussé des collectionneurs qui seront les premiers<br />
fondateurs de nos cinémathèques à s’en occuper. Dans d’autres<br />
domaines, on constate le même phénomène. Ce n’est que suite à la<br />
destruction de la Maison du Peuple de Horta que l’on commença à<br />
s’intéresser un tant soit peu à l’Art Nouveau belge. Ou encore, après la<br />
destruction des Halles de Baltard à Paris, une réévaluation de l’art du<br />
19ème siècle se met en place et on décide de créer le Musée d’Orsay, etc.<br />
Autre conséquence du remplacement de l’”histoire nationale” par une<br />
“mémoire nationale” est que celle-ci “suppose l’éclatement du cadre<br />
proprement historique de la nation. Elle suppose la grande sortie des<br />
filières et des modalités de sa transmission traditionnelle, la<br />
désacralisation de ses lieux d’initiation privilégiés, (école, famille, musée,<br />
monument), le débordement dans l’espace public de l’ensemble qu’il leur<br />
revenait de gérer et sa récupération par des relais médiatiques et<br />
touristiques”. 7 (Je souligne. J’y reviens plus loin)<br />
Je crois que ce que Nora constate, la perte des “modalités de<br />
transmission traditionnelle” et le rejet des “lieux d’initiation privilégiés”<br />
au pr<strong>of</strong>it d’un ‘espace public géré et récupéré par les relais médiatiques<br />
et touristiques’ contient les raisons pour la crise des institutions<br />
culturelles dont j’ai fait mention au début. Le patrimoine est, en latence,<br />
partout, dans l’espace public ; il n’est plus enclos dans certains lieux. Le<br />
patrimoine, dans sa version contemporaine de “mémoire”, ne comporte<br />
plus des objets, mais se traduit par une attitude envers ces objets. Sa mise<br />
en marche refuse “l’initiation privilégiée” ; l’usage doit être pleinement<br />
accessible, sans aucun rituel initiatique.<br />
20 <strong>Journal</strong> <strong>of</strong> <strong>Film</strong> <strong>Preservation</strong> / 58/59 / 1999