Journal of Film Preservation - FIAF
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A qui appartiennent les images ?<br />
Marc Ferro<br />
Le problème n’est pas simple.<br />
Avant la guerre de 1914, lorsque, pour la première fois, le magnat<br />
Rjabuchinski se vit au cinéma dans une séquence d’actualité en train<br />
de prononcer une allocution ; il se trouva grossier et si ridicule qu’il<br />
se précipita chez le tsar Nicolas II pour lui dire, que d’urgence, il<br />
fallait interdire de filmer ainsi qui que ce soit, il en allait de la<br />
sécurité de l’État, le cinéma pouvait susciter une révolution. Ainsi,<br />
avant même d’exister, l’idée de la censure cinématographique était<br />
née.<br />
Sensible à la censure d’État, à toutes les censures, le simple citoyen se<br />
réjouit que le cinéaste, le photographe puissent représenter le ridicule<br />
et le grossier de ceux qui attentent à la dignité des opprimés, des<br />
malheureux. Et Eisenstein - ce n’est qu’un premier exemple - ne s’est<br />
pas privé, après 1917, de représenter, dans La grève, les traits odieux<br />
des Rjabuchinski de toutes les Russies, “Vive la liberté de la presse,<br />
vive la liberté de l’image, vive les artistes et les journalistes !”, dira-ton…<br />
Mais voilà qu’en 1925, à la foire de Marseille, les Annamites font<br />
savoir que si on les fait tirer des pousse-pousse et qu’on les<br />
photographie ainsi, “ils mettront le feu à cette exposition”.<br />
Combien de colonisés, de pauvres, de malheureux ont-ils été filmés,<br />
photographiés, à leur insu ou pas ? Une liberté qui attentait à leur<br />
dignité, à leur intimité, à leur être. Alors ? Crierait-on toujours “Vive<br />
la liberté de l’artiste, Vive la presse” ? Ces exemples peuvent paraître<br />
inconséquents puisqu’ils confrontent des images d’actualité, de la<br />
fiction et des photographies. Or, la question posée n’autorise une<br />
réponse que si son champ est élargi. Il faut prendre également en<br />
compte la presse écrite, le film sonore, d’actualité ou de fiction.<br />
Faisons un premier détour par la presse écrite pour évoquer un cas<br />
récent, un exemple ambigu : Jospin au Brésil. Il s’y rend pour<br />
intervenir sur les problèmes de la mondialisation, se trouve invité par<br />
des étudiants à parler des élections en France. Il donne sur les<br />
élections municipales un jugement en dessous du réel et qui cache sa<br />
déception. La presse ne parle que de ces propos-là, fait silence sur ce<br />
que Jospin avait jugé essentiel - ses propos sur la mondialisation,<br />
objet du voyage. Et Jospin de tancer les journalistes, qui crient à<br />
l’agression, avant de s’excuser auprès d’eux. Mais comment en juger ?<br />
Il y avait un précédent à une situation de ce type. En 1976, quand<br />
Giscard d’Estaing, Président de la République, avait brossé à<br />
l’étranger un tableau de la situation internationale, puis, à la sortie,<br />
avec des journalistes avait dit, en passant, que parmi les hommes<br />
politiques, il y avait les conceptuels (comme lui) et les “agités”, - et<br />
60 <strong>Journal</strong> <strong>of</strong> <strong>Film</strong> <strong>Preservation</strong> / 63 / 2001