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Journal of Film Preservation - FIAF

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provoquer l’attention et, surtout, marquer la différence, la distance<br />

avec “la” civilisation. En ce sens, alors que l’exposition sur l’Afrique<br />

Occidentale de 1895 à Paris avait provoqué l’intérêt du médecin<br />

anthropologue Félix-Louis Regnault pour un enregistrement à visée<br />

ethnographique, ne fera qu’entraîner des dérives folklorisantes et<br />

exotisantes, attirant l’attention du public par la mise en scène de la<br />

distance, de l’étrangeté et du mystère, largement exploités déjà dans<br />

les films de fiction et utilisés par des réalisateurs comme Yves Allégret<br />

(Ténériffe; 1932) ou René Clément (Au Seuil de l’Islam, 1936 ; L’Arabie<br />

interdite, 1937).<br />

En fait, dans la France d’entre deux guerres, les seuls films réalisés<br />

par des ethnologues seront celui du père O’Reilly en Mélanésie<br />

(Popoko, île sauvage, 1931) et ceux de Marcel Griaule, pour qui le<br />

cinéma est essentiellement “un auxiliaire au même titre, dira-t-il, que<br />

tout autre méthode d’enseignement.” Il devra se soumettre<br />

néanmoins aux conditions de production et de diffusion du cinéma<br />

<strong>of</strong>ficiel. Ses deux films achevés, tournés chez les Dogons, Au pays des<br />

Dogons (1935) et Sous les Masques Noirs (1938) resteront victimes<br />

dans la forme et le ton de la déclamation du commentaire, du<br />

triomphalisme des documentaires coloniaux. Néanmoins le texte du<br />

commentaire lui-même guidera un montage qui tentera d’écarter les<br />

jugements de valeur au pr<strong>of</strong>it d’un essai d’objectivité descriptive.<br />

Malgré tout, l’intonation donnée au texte par le speaker nuancera<br />

l’énoncé d’une sorte de distanciation parfois humoristique et donc<br />

minorisante pour le Dogons. La dépendance à l’égard des modes de<br />

réalisations pr<strong>of</strong>essionnels empêchera longtemps encore la réalisation<br />

de films contribuant au développement même de la discipline, quels<br />

que soient ses errements et ses hésitations. On peut s’interroger sur la<br />

signification de cette dépendance qui sans doute en masque une<br />

autre plus grave et qui serait d’ordre idéologique et politique.<br />

L’allégement des matériels et la décolonisation seront certainement<br />

des facteurs essentiels pour une progressive prise en compte des<br />

modalités de la rencontre et éventuellement de l’échange des regards<br />

et enfin d’un éventuel partage des questions, au-delà d’une seule<br />

description positiviste. On pourrait dire cependant, que par un<br />

étrange retour des choses, la dépendance s’est aujourd’hui renouvelée<br />

en <strong>of</strong>frant à des productions longtemps restées confidentielles,<br />

l’ouverture paradoxale du petit écran. Nous sommes aujourd’hui et à<br />

nouveau, confrontés aux exigences d’un véritable néo-exotisme<br />

destiné à reconduire l’autre de tous les tiers-mondes, de tous les<br />

quarts-mondes, dans une différence irréductible, dans ce que sa<br />

misère révélerait d’une incurable incapacité à l’ordre, à cet ordre dont<br />

le FMI serait le garant et en dehors duquel il n’y aurait que<br />

barbarie… On voit bien là que la réflexion n’est pas achevée et que la<br />

descendance de Pierre Loti est peut-être aujourd’hui plus nombreuse<br />

que celle de Segalen…<br />

16 <strong>Journal</strong> <strong>of</strong> <strong>Film</strong> <strong>Preservation</strong> / 63 / 2001

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