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Benoîte Groult - Prix Françoise Giroud

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LA CopinE<br />

dE CAUSEttE<br />

geoises de l’époque, devient une petite fille modèle,<br />

avec le CV ad hoc : école privée catholique, tête bien<br />

faite et docile. Cela aura un prix. <strong>Benoîte</strong> cultivera, à<br />

l’adolescence, une image d’elle-même déplorable. Elle<br />

se sent moche, moche, moche, et elle ne sait même<br />

pas danser : « Tu danses comme un bâton, tu ne remues<br />

pas assez le derrière, tu ne séduiras jamais un homme »,<br />

s’agace sa mère. Que faire ? <strong>Benoîte</strong>, jamais en retard<br />

d’une trouvaille, pense – un temps seulement – se tourner<br />

vers la religion. « J’ai dit à ma mère “Je veux rentrer<br />

dans les ordres, comme ça, il n’y a pas besoin de me<br />

faire une indéfrisable !” (une permanente, ndlr) »<br />

Porter le voile pour ne pas devenir une gravure de<br />

mode ? L’idée est audacieuse. Mais elle lui passe vite. Il<br />

faut dire que la religion, après l’avoir séduite, lui pose<br />

quelques problèmes. Elle se souvient avoir eu ses premiers<br />

« ferments de féminisme » à 10 ans. <strong>Benoîte</strong><br />

s’étonne alors que les enfants de choeur ne soient que<br />

des garçons... « C’étaient deux petits galopins de rien<br />

du tout, et moi je me disais : “Sommes-nous à ce pointlà<br />

des pécheresses qu’on n’ose nous agenouiller, nous<br />

faire passer la burette au prêtre ?” J’ai demandé au curé<br />

pourquoi il n’y avait pas de fille de choeur. Il n’a pas<br />

répondu. » Colère de <strong>Benoîte</strong>, intacte, quatre-vingtdeux<br />

ans plus tard. Elle y a vu, d’instinct, « la preuve<br />

d’un mépris pour la race féminine ».<br />

« Bas bleu »<br />

Car, malgré ses robes à smocks et ses talons, cette<br />

fille-là sait ce qu’elle veut. Dès ses 18 ans, elle va finalement<br />

atteindre son but : finir ses études, trouver un boulot.<br />

On la traite de « bas-bleu » ? Elle s’en fout. « Bas-<br />

1. Tous les détails dans l’autobiographie de l’auteure, Mon évasion. Âmes sensibles, sautez le chapitre.<br />

bleu », on a oublié trop vite cette expression qui<br />

désignait, il n’y a donc pas si longtemps, une femme<br />

qui avait la prétention de lire, et surtout de « causer »<br />

littérature. Nicole <strong>Groult</strong> se désolait : un bas-bleu, c’est<br />

difficile à marier ! Et <strong>Benoîte</strong> veut être professeure de<br />

latin. Elle étudie à la Sorbonne, elle a 20 ans. Et c’est<br />

c’est déjà la guerre. Cette femme si combative ne sera<br />

pas résistante. Elle l’explique assez simplement :<br />

« J’étais une jeune fille à la maison, je ne faisais pas de<br />

politique. Je ne me suis pas révoltée contre l’État français.<br />

J’étais une fille soumise. » Seule rébellion face à<br />

l’Occupation, elle se souvient de son père qui lui disait :<br />

« Ne regarde jamais un “boche” en face. »<br />

Un beau jour de 1944, <strong>Benoîte</strong> se marie, au grand bonheur<br />

de sa mère, à un jeune interne en médecine,<br />

Pierre. De son mariage, elle gardera une bague magnifique<br />

(voir photo ci-dessus), qu’elle porte toujours<br />

aujourd’hui, parce que cette bague, nous dit-elle de<br />

son ton franc et spontané, « elle est pratique, on peut<br />

mettre des gants de jardinage dessus ! » Hélas ! Pierre<br />

meurt de la tuberculose huit mois après leur union.<br />

Entre-temps, elle aura avorté. Une fois, puis deux fois...<br />

Dans sa vie, <strong>Benoîte</strong> pratiquera de nombreux autoavortements<br />

à l’aide de manuels de médecine. Elle les<br />

raconte comme on donnerait des nouvelles d’un oncle<br />

éloigné. Son détachement, son honnêteté sont déroutants,<br />

voire effrayants. « L’avortement était terriblement<br />

réprimé, et les ventes de sondes très surveillées, mais<br />

pas les aiguilles à tricoter. Je prenais du 3. » 1<br />

En 1946, deuxième mariage, cette fois avec Georges<br />

de Caunes (le père d’Antoine). Jeune journaliste hâbleur,<br />

fan de corrida, de rugby et de pelote basque – « tout ce<br />

Moi, je voulais faire des études et être professeure,<br />

et il fallait que j’aille à la Sorbonne avec<br />

un chapeau à voilette ! Horrible ! Je ne me suis pas<br />

du tout faite à mon rôle de jeune fille<br />

que je détestais », sourit-elle –, un brin macho, il trouve<br />

que la place d’une femme, c’est à la maison. La même<br />

année naît leur première fille, Blandine, bientôt suivie<br />

d’une petite Lison. Mais l’union avec Georges est houleuse,<br />

le divorce ne tarde pas et <strong>Benoîte</strong> en profite pour<br />

passer beaucoup de temps avec l’écrivain Paul Guimard,<br />

leur témoin de mariage. « On s’entendait bien, on<br />

était proches, on aimait les mêmes poètes. »<br />

« Le mariage, c’est pas le couvent »<br />

Alors une nouvelle histoire débute, suivie d’un troisième<br />

mariage. Cette fois sous le signe de la liberté totale.<br />

Nous sommes en 1951. Il faut imaginer Saint-Germaindes-Prés<br />

et une chanson de Juliette Gréco. La grande<br />

mode de l’époque, ce sont les amours contingentes.<br />

Cela tombe bien, Paul et <strong>Benoîte</strong> ont de l’appétit.<br />

« Quand nous nous sommes mariés, Paul m’a dit : “Le<br />

mariage, c’est pas le couvent. Je suis volage, j’aime<br />

bien plaire, je ne veux pas renoncer à la vie, à la beauté,<br />

à la surprise.” “Tout à fait d’accord !” lui ai-je répondu. »<br />

Elle suit en cela les traces de sa mère, cette Nicole qui<br />

n’hésita pas, à 60 ans, à accueillir ses filles d’un tonitruant<br />

: « Eh bien mes filles, j’ai fait l’amour aujourd’hui !<br />

Prenez-en de la graine ! »<br />

Mais les amours multiples, en théorie, c’est formidable,<br />

en pratique un peu moins. « Quand il faut le vivre, c’est<br />

beaucoup plus dur », concède <strong>Benoîte</strong>. Mais l’amour<br />

est total, la confiance aussi. Sur cette union qu’en<br />

bonne pêcheuse elle qualifie « d’équipage », elle est très<br />

claire et pas du tout angélique : « On ne peut pas faire<br />

l’économie de la jalousie. Seulement, ça abîme de se<br />

priver, comme ça abîme de ne pas se priver. » Et de<br />

raconter ses week-ends à Paris avec ses filles, Blandine,<br />

Lison et la petite dernière, Constance, pendant<br />

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