LES SEPT FEMMES DE LA BARBE-BLEUE ET AUTRES CONTES ...

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22.09.2013 Views

ourrique, et Sulpice ânesse de Balaam. Ils tourmentaient de toutes les manières la petite Mirande, lui salissaient ses belles robes, la faisaient tomber le nez sur les pierres. Une fois, ils lui enfoncèrent la tête jusqu’au cou dans un tonneau de mélasse. Ils lui apprenaient à enfourcher les barrières et à grimper aux arbres, contrairement aux bienséances de son sexe ; ils lui enseignaient des façons et des termes qui sentaient l’hôtellerie et le saloir. Elle appelait, sur leur exemple, la respectable dame Basine vieille bique, et même, prenant la partie pour le tout, cul de bique. Mais elle restait parfaitement innocente. La pureté de son âme était inaltérable. – Je suis heureux, disait le saint évêque Nicolas, d’avoir tiré ces enfants du saloir pour en faire de bons chrétiens. Ils deviendront de fidèles serviteurs de Dieu et leurs mérites me seront comptés. Or, la troisième année après leur résurrection, déjà grands et bien formés, un jour de printemps, comme ils jouaient tous trois dans la prairie, au bord de la rivière, Maxime, dans un moment d’humeur et par fierté naturelle, jeta dans l’eau le diacre Modernus, qui, suspendu à une branche de saule, appela au secours. Robin s’approcha, fit mine de le tirer par la main, lui prit son anneau et s’en fut. Cependant, Sulpice immobile sur la berge et les bras croisés, disait : – Modernus fait une mauvaise fin. Je vois six diables en forme de chauves-souris prêts à lui cueillir l’âme sur la bouche. Au rapport que la dame Basine et Modernus lui firent de cette grave affaire, le saint évêque s’affligea et poussa des soupirs. – Ces enfants, dit-il, ont été nourris dans la souffrance par des parents indignes. L’excès de leurs maux a causé la - 38 -

difformité de leur caractère. Il convient de redresser leurs torts avec une longue patience et une obstinée douceur. – Seigneur évêque, répliqua Modernus, qui dans sa robe de chambre grelottait la fièvre et éternuait sous son bonnet de nuit, car sa baignade l’avait enrhumé, il se peut que leur méchanceté leur vienne de la méchanceté de leurs parents. Mais comment expliquez-vous, mon père, que les mauvais soins aient produit en chacun d’eux des vices différents, et pour ainsi dire contraires, et que l’abandon et le dénuement où ils ont été jetés avant d’être mis au saloir aient rendu l’un cupide, l’autre violent, le troisième visionnaire ? Et c’est ce dernier qui, a votre place, seigneur, m’inquiéterait le plus. – Chacun de ces enfants, répondit l’évêque, a fléchi par son endroit faible. Les mauvais traitements ont déformé leur âme dans les parties qui présentaient le moins de résistance. Redressons-les avec mille précautions, de peur d’augmenter le mal au lieu de le diminuer. La mansuétude, la clémence et la longanimité sont les seuls moyens qu’on doive jamais employer pour l’amendement des hommes, les hérétiques exceptés, bien entendu. – Sans doute, mon seigneur, sans doute, répliqua Modernus, en éternuant trois fois. Mais il n’y a pas de bonne éducation sans castoiement, ni discipline sans discipline. Je m’entends. Et, si vous ne punissez pas ces trois mauvais garnements, ils deviendront pires qu’Hérode. C’est moi qui vous le dis. – Modernus pourrait n’avoir pas tort, dit la dame Basine. L’évêque ne répondit point. Il cheminait avec le diacre et la veuve, le long d’une haie d’aubépine, qui exhalait une agréable odeur de miel et d’amande amère. A un endroit un peu creux, où la terre recueillait l’eau d’une source voisine, il s’arrêta devant un arbuste, dont les rameaux serrés et tordus sa - 39 -

ourrique, et Sulpice ânesse de Balaam. Ils tourmentaient de<br />

toutes les manières la petite Mirande, lui salissaient ses belles<br />

robes, la faisaient tomber le nez sur les pierres. Une fois, ils lui<br />

enfoncèrent la tête jusqu’au cou dans un tonneau de mélasse. Ils<br />

lui apprenaient à enfourcher les barrières et à grimper aux<br />

arbres, contrairement aux bienséances de son sexe ; ils lui<br />

enseignaient des façons et des termes qui sentaient l’hôtellerie<br />

et le saloir. Elle appelait, sur leur exemple, la respectable dame<br />

Basine vieille bique, et même, prenant la partie pour le tout, cul<br />

de bique. Mais elle restait parfaitement innocente. La pureté de<br />

son âme était inaltérable.<br />

– Je suis heureux, disait le saint évêque Nicolas, d’avoir tiré<br />

ces enfants du saloir pour en faire de bons chrétiens. Ils<br />

deviendront de fidèles serviteurs de Dieu et leurs mérites me<br />

seront comptés.<br />

Or, la troisième année après leur résurrection, déjà grands<br />

et bien formés, un jour de printemps, comme ils jouaient tous<br />

trois dans la prairie, au bord de la rivière, Maxime, dans un<br />

moment d’humeur et par fierté naturelle, jeta dans l’eau le<br />

diacre Modernus, qui, suspendu à une branche de saule, appela<br />

au secours. Robin s’approcha, fit mine de le tirer par la main, lui<br />

prit son anneau et s’en fut.<br />

Cependant, Sulpice immobile sur la berge et les bras croisés,<br />

disait :<br />

– Modernus fait une mauvaise fin. Je vois six diables en<br />

forme de chauves-souris prêts à lui cueillir l’âme sur la bouche.<br />

Au rapport que la dame Basine et Modernus lui firent de<br />

cette grave affaire, le saint évêque s’affligea et poussa des<br />

soupirs.<br />

– Ces enfants, dit-il, ont été nourris dans la souffrance par<br />

des parents indignes. L’excès de leurs maux a causé la<br />

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