LES SEPT FEMMES DE LA BARBE-BLEUE ET AUTRES CONTES ...
LES SEPT FEMMES DE LA BARBE-BLEUE ET AUTRES CONTES ...
LES SEPT FEMMES DE LA BARBE-BLEUE ET AUTRES CONTES ...
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
« Les voisines et les bonnes amies, dit Charles Perrault,<br />
n’attendirent pas qu’on les envoyât quérir pour aller chez la<br />
jeune mariée, tant elles avaient d’impatience de voir toutes les<br />
richesses de sa maison. Les voilà aussitôt à parcourir les<br />
chambres, les cabinets, les garde-robes, toutes plus belles et<br />
plus riches les unes que les autres ; elles ne cessaient d’exagérer<br />
et d’envier le bonheur de leur amie. »<br />
Tous les historiens qui ont traité ce sujet ajoutent que<br />
madame de Montragoux ne se divertissait pas a voir toutes ces<br />
richesses, à cause de l’impatience qu’elle avait d’aller ouvrir le<br />
petit cabinet. Rien n’est plus vrai et, comme l’a dit Perrault,<br />
« elle fut si pressée de sa curiosité que, sans considérer qu’il<br />
était malhonnête de quitter sa compagnie, elle y descendit par<br />
un petit escalier dérobé, et avec tant de précipitation qu’elle<br />
pensa se rompre le cou deux ou trois fois ». Le fait n’est pas<br />
douteux. Mais ce que personne n’a dit, c’est qu’elle n’était si<br />
impatiente de pénétrer en ce lieu que parce que le chevalier de<br />
la Merlus l’y attendait.<br />
Depuis son établissement au château des Guillettes elle<br />
rejoignait dans le petit cabinet ce jeune gentilhomme tous les<br />
jours et plutôt deux fois qu’une, sans se lasser de ces entretiens<br />
si peu convenables à une jeune mariée. Il est impossible<br />
d’hésiter sur la nature des relations nouées entre Jeanne et le<br />
chevalier : elles n’étaient point honnêtes ; elles n’étaient point<br />
innocentes. Hélas ! si la dame de Montragoux n’avait attenté<br />
qu’à l’honneur de son époux, sans doute, elle encourrait le<br />
blâme de la postérité : mais le moraliste le plus austère lui<br />
trouverait des excuses, il alléguerait en faveur d’une si jeune<br />
femme les mœurs du siècle, les exemples de la ville et de la<br />
Cour, les effets trop certains d’une mauvaise éducation, les<br />
conseils d’une mère perverse, car la dame Sidonie de Lespoisse<br />
favorisait les galanteries de sa fille. Les sages lui pardonneraient<br />
une faute trop douce pour mériter leurs rigueurs ; ses torts<br />
eussent paru trop ordinaires pour être de grands torts et tout le<br />
monde eût pensé qu’elle avait fait comme les autres. Mais<br />
- 22 -