LES SEPT FEMMES DE LA BARBE-BLEUE ET AUTRES CONTES ...
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équipages de la contrée. Les dames rivalisaient d’ardeur avec les<br />
gentilshommes à poursuivre le cerf. On ne forçait pas toujours<br />
la bête, mais les chasseurs et les chasseresses s’égaraient par<br />
couples, se retrouvaient et s’égaraient encore dans les bois. Le<br />
chevalier de la Merlus se perdait de préférence avec Jeanne de<br />
Lespoisse, et chacun rentrait la nuit au château, ému de ses<br />
aventures et content de sa journée. Après quelques jours<br />
d’observation le bon seigneur de Montragoux préféra<br />
décidément à l’aînée des sœurs Jeanne la cadette qui était plus<br />
fraîche, ce qui ne veut pas dire qu’elle était plus neuve. Il laissait<br />
paraître sa préférence, qu’il n’avait pas à cacher, car elle était<br />
honnête ; et d’ailleurs il était sans détours. Il faisait sa cour à<br />
cette jeune demoiselle le mieux qu’il pouvait, lui parlant peu,<br />
faute d’habitude, mais il la regardait en roulant des yeux<br />
terribles et en tirant du fond des entrailles des soupirs à<br />
renverser un chêne. Parfois il se mettait à rire, et la vaisselle en<br />
tremblait et les vitres en résonnaient. Seul de toute la société il<br />
ne remarquait pas les assiduités du chevalier de la Merlus<br />
auprès de la fille cadette de madame de Lespoisse, ou, s’il les<br />
remarquait, il n’y voyait pas de mal. Son expérience des femmes<br />
ne suffisait pas à le rendre soupçonneux et il ne se défiait point<br />
de ce qu’il aimait. Ma grand-mère disait que l’expérience, dans<br />
la vie, ne sert à rien et qu’on reste ce qu’on était. Je crois qu’elle<br />
avait raison et l’histoire véritable que je retrace ici n’est pas pour<br />
lui donner tort.<br />
La Barbe-Bleue déployait en ces fêtes une rare<br />
magnificence. La nuit venue, mille flambeaux éclairaient la<br />
pelouse devant le château, et des tables servies par des valets et<br />
des filles, habillés en faunes et en dryades, portaient tout ce que<br />
les campagnes et les forêts produisent de plus agréable à la<br />
bouche. Des musiciens ne cessaient de faire entendre de belles<br />
symphonies. Vers la fin du repas, le maître et la maîtresse<br />
d’école, suivis des garçons et des fillettes du village, venaient se<br />
présenter devant les convives et lisaient un compliment au<br />
seigneur de Montragoux et à ses hôtes. Un astrologue en bonnet<br />
pointu s’approchait des dames et leur annonçait leurs amours<br />
futures sur la vue des lignes de leur main. La Barbe-Bleue faisait<br />
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