LES SEPT FEMMES DE LA BARBE-BLEUE ET AUTRES CONTES ...
LES SEPT FEMMES DE LA BARBE-BLEUE ET AUTRES CONTES ... LES SEPT FEMMES DE LA BARBE-BLEUE ET AUTRES CONTES ...
de goûter entre ses bras un bonheur infini, fut une fois de plus trompé dans ses espérances, et cette fois éprouva un mécompte qui, par l’effet de sa complexion, lui devait être plus sensible encore que tous les déplaisirs qu’il avait soufferts en ses précédents mariages. Alix de Pontalcin refusa obstinément de donner une réalité à l’union à laquelle elle avait pourtant consenti. En vain M. de Montragoux la pressait de devenir sa femme ; elle résistait aux prières, aux larmes, aux objurgations, se refusait aux caresses les plus légères de son époux et courait s’en fermer dans le cabinet des princesses infortunées, où elle demeurait seule et farouche des nuits entières. On ne sut jamais la cause d’une résistance si contraire aux lois divines et humaines ; on l’attribua à ce que M. de Montragoux avait la barbe bleue, mais ce que nous avons dit tout à l’heure de cette barbe rend une telle supposition peu vraisemblable. Au reste, c’est un sujet sur lequel il est difficile de raisonner. Le pauvre mari endurait les souffrances les plus cruelles. Pour les oublier, il chassait avec rage, crevant chiens, chevaux et piqueurs. Mais, quand il rentrait harassé, fourbu dans son château, il suffisait de la vue de mademoiselle de Pontalcin pour réveiller à la fois ses forces et ses tourments. Enfin, n’y pouvant tenir, il demanda à Rome l’annulation d’un mariage qui n’était qu’un leurre, et l’obtint selon le droit canon et moyennant un beau présent au Saint-Père. Si M. de Montragoux congédia mademoiselle de Pontalcin avec les marques de respect qu’on doit à une femme et sans lui casser sa canne sur le dos, c’est qu’il avait l’âme forte, le cœur grand et qu’il était maître de lui comme des Guillettes. Mais il jura que rien de femelle n’entrerait désormais dans ses appartements. Heureux s’il avait jusqu’au bout tenu son serment ! III Quelques années s’étaient passées depuis que M. de Montragoux avait congédié sa sixième femme, et l’on ne gardait plus, dans la contrée, qu’un souvenir confus des calamités domestiques qui avaient fondu sur la maison de ce bon seigneur. On ne savait ce que ses femmes étaient devenues, - 14 -
et l’on en faisait le soir, au village, des contes à faire dresser les cheveux sur la tête ; les uns y croyaient et les autres non. A cette époque, une veuve sur le retour, la dame Sidonie de Lespoisse, vint s’établir avec ses enfants dans le manoir de la Motte-Giron, à deux lieues, à vol d’oiseau, du château des Guillettes. D’où elle venait, ce qu’avait été son époux, tout le monde l’ignorait. Les uns pensaient, pour l’avoir entendu dire, qu’il avait tenu certains emplois en Savoie ou en Espagne ; d’autres disaient qu’il était mort aux Indes ; plusieurs s’imaginaient que sa veuve possédait des terres immenses ; quelques-uns en doutaient beaucoup. Cependant elle menait grand train et invitait à la Motte-Giron toute la noblesse de la contrée. Elle avait deux filles, dont l’aînée, Anne, près de coiffer Sainte-Catherine, était une fine mouche. Jeanne, la plus jeune, bonne à marier, cachait sous les apparences de l’ingénuité une précoce expérience du monde. La dame de Lespoisse avait aussi deux garçons de vingt et vingt-deux ans, fort beaux et bien faits, dont l’un était dragon et l’autre mousquetaire. Je dirai, pour avoir vu son brevet, que celui-ci était mousquetaire noir. Il n’y paraissait pas quand il allait à pied, car les mousquetaires noirs se distinguaient des mousquetaires gris, non par la couleur de leur habit, mais par la robe de leur cheval. Ils portaient, les uns comme les autres, la soubreveste de drap bleu galonné d’or. Quant aux dragons, ils se reconnaissaient à une espèce de bonnet de fourrure dont la queue leur tombait galamment sur l’oreille. Les dragons avaient la réputation de mauvais garnements, témoin la chanson : Ce sont les dragons qui viennent : Maman, sauvons-nous ! Mais on aurait cherché vainement dans les deux régiments des dragons de Sa Majesté un aussi grand paillard, un aussi grand écornifleur et un aussi bas coquin que Cosme de Lespoisse. Son frère était, auprès de lui, un honnête garçon. Ivrogne et joueur, Pierre de Lespoisse plaisait aux dames et gagnait aux cartes ; c’étaient là les seuls moyens de vivre qu’on lui connût. - 15 -
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à deux lieues, à vol d’oiseau, du château des Guillettes. D’où elle<br />
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certains emplois en Savoie ou en Espagne ; d’autres disaient<br />
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possédait des terres immenses ; quelques-uns en doutaient<br />
beaucoup. Cependant elle menait grand train et invitait à la<br />
Motte-Giron toute la noblesse de la contrée. Elle avait deux<br />
filles, dont l’aînée, Anne, près de coiffer Sainte-Catherine, était<br />
une fine mouche. Jeanne, la plus jeune, bonne à marier, cachait<br />
sous les apparences de l’ingénuité une précoce expérience du<br />
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et vingt-deux ans, fort beaux et bien faits, dont l’un était dragon<br />
et l’autre mousquetaire. Je dirai, pour avoir vu son brevet, que<br />
celui-ci était mousquetaire noir. Il n’y paraissait pas quand il<br />
allait à pied, car les mousquetaires noirs se distinguaient des<br />
mousquetaires gris, non par la couleur de leur habit, mais par la<br />
robe de leur cheval. Ils portaient, les uns comme les autres, la<br />
soubreveste de drap bleu galonné d’or. Quant aux dragons, ils se<br />
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la réputation de mauvais garnements, témoin la chanson :<br />
Ce sont les dragons qui viennent : Maman, sauvons-nous !<br />
Mais on aurait cherché vainement dans les deux régiments<br />
des dragons de Sa Majesté un aussi grand paillard, un aussi<br />
grand écornifleur et un aussi bas coquin que Cosme de<br />
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Ivrogne et joueur, Pierre de Lespoisse plaisait aux dames et<br />
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