LES SEPT FEMMES DE LA BARBE-BLEUE ET AUTRES CONTES ...
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Cette fois encore Saint-Sylvain observa que bien souvent les<br />
hommes s’affligent pour des raisons opposées et contraires.<br />
Il causa successivement, dans le salon de madame du<br />
Colombier, avec deux hommes de haute intelligence, éclairés,<br />
cultivés, qui, par les tours et détours qu’à leur insu ils<br />
imprimaient à leur pensée, lui décelaient le mal moral dont ils<br />
étaient profondément atteints. C’est de l’état public que tous<br />
deux tiraient la cause de leur souci ; mais ils la tiraient à<br />
rebours. M. Brome vivait dans la peur perpétuelle d’un<br />
changement. Dans la stabilité présente, au milieu de la<br />
prospérité et de la paix dont jouissait le pays, il craignait des<br />
troubles et redoutait un bouleversement total. Ses mains<br />
n’ouvraient qu’en tremblant les journaux ; il s’attendait tous les<br />
matins à y trouver l’annonce de tumultes et d’émeutes. Sous<br />
cette impression, il transformait les faits les plus insignifiants et<br />
les plus vulgaires incidents en préludes de révolutions, en<br />
prodromes de cataclysmes. Se croyant toujours à la veille d’une<br />
catastrophe universelle, il vivait dans un perpétuel effroi.<br />
Un mal tout contraire, plus étrange et plus rare, ravageait<br />
M. Sandrique. Le calme l’ennuyait, l’ordre public l’impatientait,<br />
la paix lui était odieuse, la sublime monotonie des lois humaines<br />
et divines l’assommait. Il appelait en secret des changements et,<br />
feignant de les craindre, soupirait après les catastrophes. Cet<br />
homme bon, doux, affable, humain, ne concevait d’autres<br />
amusements que la subversion violente de son pays, du globe,<br />
de l’univers, épiant jusque dans les astres les collisions et les<br />
conflagrations. Déçu, abattu, triste, morose, quand le style des<br />
papiers publics et l’aspect des rues lui révélait l’inaltérable<br />
quiétude de la nation, il en souffrait d’autant plus qu’ayant la<br />
connaissance des hommes et l’expérience des affaires, il savait<br />
combien l’esprit de conservation, de tradition, d’imitation et<br />
d’obéissance est fort dans les peuples et comme d’un train égal<br />
et lent va la vie sociale.<br />
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