LES SEPT FEMMES DE LA BARBE-BLEUE ET AUTRES CONTES ...

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22.09.2013 Views

– Le baron Nichol ! s’écria Saint-Sylvain, encore un à qui vous vouliez demander sa chemise, Quatrefeuilles ! Sur cette dernière rencontre, ils renoncèrent à chercher plus longtemps chez les plus riches du royaume la chemise salutaire. Comme ils étaient mécontents de leur journée et craignaient d’être mal reçus au château, ils s’en prirent l’un à l’autre de leur mécompte. – Quelle idée aussi aviez-vous, Quatrefeuilles, d’aller chez ces gens-là pour faire autre chose que des observations tératologiques ? Mœurs, idées, sensations, rien n’est sain, rien n’est normal en eux. Ce sont des monstres. – Quoi ! ne m’avez-vous pas dit, Saint-Sylvain, que la richesse est une vertu, qu’il est juste de croire à la bonté des riches et doux de croire à leur bonheur ? Mais prenez-y bien garde : il y a richesse et richesse. Quand la noblesse est pauvre et la roture riche, c’est la subversion de l’État et la fin de tout. – Quatrefeuilles, je suis fâché de vous le dire : vous n’avez aucune idée de la constitution des États modernes. Vous ne comprenez pas l’époque où vous vivez. Mais cela ne fait rien. Si maintenant nous tâtions de la médiocrité dorée ? Qu’en pensezvous ? je crois que nous ferions sagement d’assister demain aux réceptions des dames de la ville, bourgeoises et titrées. Nous y pourrons observer toutes espèces de gens, et, si vous m’en croyez, nous visiterons d’abord les bourgeoises de condition modeste. VIII LES SALONS DE LA CAPITALE Ainsi firent-ils. Ils se présentèrent d’abord chez madame Souppe, femme d’un fabricant de pâtes alimentaires qui avait une usine dans le Nord. Ils y trouvèrent monsieur et madame Souppe malheureux de n’être pas reçus chez madame Esterlin, - 116 -

femme du maître de forges, député au parlement. Ils allèrent chez madame Esterlin et l’y trouvèrent désolée, ainsi que M. Esterlin, de n’être pas reçue chez madame du Colombier, femme du pair du royaume, ancien ministre de la Justice. Ils allèrent chez madame du Colombier et y trouvèrent le pair et la pairesse enragés de n’être pas dans l’intimité de la reine. Les visiteurs qu’ils rencontrèrent dans ces diverses maisons n’étaient pas moins malheureux, désolés, enragés. La maladie, les peines de cœur, les soucis d’argent les rongeaient. Ceux qui possédaient, craignant de perdre, étaient plus infortunés que ceux qui ne possédaient pas. Les obscurs voulaient paraître, les illustres paraître davantage. Le travail accablait la plupart ; et ceux qui n’avaient rien à faire souffraient d’un ennui plus cruel que le travail. Plusieurs pâtissaient du mal d’autrui, souffraient des souffrances d’une femme, d’un enfant aimés, Beaucoup dépérissaient d’une maladie qu’ils n’avaient pas, mais qu’ils croyaient avoir ou dont ils craignaient les atteints. Une épidémie de choléra venait de sévir dans la capitale et l’on citait un financier qui, de peur d’être atteint par la contagion et ne connaissant pas de retraite assez sûre, se suicida. – Le pis, disait Quatrefeuilles, c’est que tous ces gens-là, non contents des maux réels qui pleuvent sur eux dru comme grêle, se plongent dans une mare de maux imaginaires. – Il n’y a pas de maux imaginaires, répondait Saint-Sylvain Tous les maux sont réels des qu’on les éprouve, et le rêve de la douleur est une, douleur véritable. – C’est égal, répliquait Quatrefeuilles. Quand je pisse des pierres grasses comme un œuf de canard, je voudrais bien que ce fût en rêve. - 117 -

– Le baron Nichol ! s’écria Saint-Sylvain, encore un à qui<br />

vous vouliez demander sa chemise, Quatrefeuilles !<br />

Sur cette dernière rencontre, ils renoncèrent à chercher plus<br />

longtemps chez les plus riches du royaume la chemise salutaire.<br />

Comme ils étaient mécontents de leur journée et craignaient<br />

d’être mal reçus au château, ils s’en prirent l’un à l’autre de leur<br />

mécompte.<br />

– Quelle idée aussi aviez-vous, Quatrefeuilles, d’aller chez<br />

ces gens-là pour faire autre chose que des observations<br />

tératologiques ? Mœurs, idées, sensations, rien n’est sain, rien<br />

n’est normal en eux. Ce sont des monstres.<br />

– Quoi ! ne m’avez-vous pas dit, Saint-Sylvain, que la<br />

richesse est une vertu, qu’il est juste de croire à la bonté des<br />

riches et doux de croire à leur bonheur ? Mais prenez-y bien<br />

garde : il y a richesse et richesse. Quand la noblesse est pauvre<br />

et la roture riche, c’est la subversion de l’État et la fin de tout.<br />

– Quatrefeuilles, je suis fâché de vous le dire : vous n’avez<br />

aucune idée de la constitution des États modernes. Vous ne<br />

comprenez pas l’époque où vous vivez. Mais cela ne fait rien. Si<br />

maintenant nous tâtions de la médiocrité dorée ? Qu’en pensezvous<br />

? je crois que nous ferions sagement d’assister demain aux<br />

réceptions des dames de la ville, bourgeoises et titrées. Nous y<br />

pourrons observer toutes espèces de gens, et, si vous m’en<br />

croyez, nous visiterons d’abord les bourgeoises de condition<br />

modeste.<br />

VIII<br />

<strong>LES</strong> SALONS <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> CAPITALE<br />

Ainsi firent-ils. Ils se présentèrent d’abord chez madame<br />

Souppe, femme d’un fabricant de pâtes alimentaires qui avait<br />

une usine dans le Nord. Ils y trouvèrent monsieur et madame<br />

Souppe malheureux de n’être pas reçus chez madame Esterlin,<br />

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