LES SEPT FEMMES DE LA BARBE-BLEUE ET AUTRES CONTES ...

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22.09.2013 Views

conservation et à l’accroissement de leurs biens. Oh ! que la richesse privée est belle, digne, excellente ! Comme elle doit être ménagée, allégée, privilégiée par le sage législateur et combien il est inique, perfide, déloyal, contraire aux droits les plus sacrés, aux intérêts les plus respectables et funeste aux finances publiques de grever l’opulence ! C’est un devoir social de croire à la bonté des riches ; il est doux aussi de croire à leur bonheur. Allons, Quatrefeuilles ! VII DES RAPPORTS DE LA RICHESSE AVEC LE BONHEUR Résolu de s’adresser d’abord au meilleur, au plus riche, Jacques Felgine-Cobur, qui possédait des montagnes d’or, des mines de diamant, des mers de pétrole, ils longèrent longtemps les murs de son parc, qui renfermait des prairies immenses, des forêts, des fermes, des villages ; et à chaque porte du domaine où ils se présentaient, on les renvoyait à une autre. Las d’aller et de venir et de virer sans cesse, ils avisèrent un cantonnier qui sur la route, devant une grille armoriée, cassait des pierres, et lui demandèrent Si c’était par cette entrée qu’on passait pour se rendre chez M. Jacques Felgine-Cobur qu’ils désiraient voir. L’homme redressa péniblement sa maigre échine et tourna vers eux son visage creux, masqué de lunettes grillées. – Monsieur Jacques Felgine-Cobur, c’est moi, dit-il. Et, les voyant surpris : – Je casse les pierres : c’est ma seule distraction. Puis, se courbant de nouveau, il frappa de son marteau un caillou qui se brisa avec un bruit sec. - 110 -

Tandis qu’ils s’éloignaient : – Il est trop riche, dit Saint-Sylvain. Sa fortune l’écrase. C’est un malheureux. Quatrefeuilles pensait se rendre ensuite chez le rival de Jacques Felgine-Cobur, chez le roi du fer, Joseph Machero, dont le château tout neuf dressait horriblement sur la colline voisine ses tours crénelées et ses murs percés de mâchicoulis, hérissés d’échauguettes. Saint-Sylvain l’en dissuada. – Vous avez vu son portrait : il a l’air minable on sait par les journaux qu’il est piétiste, vit comme un pauvre, évangélise les petits garçons et chante des psaumes à l’église. Allons plutôt chez le prince de Lusance. Celui-là est un véritable aristocrate, qui sait jouir de sa fortune. Il fuit le tracas des affaires et ne va pas à la cour. Il est amateur de jardins et a la plus belle galerie de tableaux du royaume. Ils s’annoncèrent. Le prince de Lusance les reçut dans son cabinet des antiques ou l’on voyait la meilleure copie grecque qu’on connaisse de l’Aphrodite de Cnide, œuvre d’un ciseau vraiment praxitélien et pleine de vénusté. La déesse semblait humide encore de l’onde marine. Un médaillier en bois de rose, qui avait appartenu à madame de Pompadour, contenait les plus belles pièces d’or et d’argent de Grèce et de Sicile. Le prince, fin connaisseur, rédigeait lui-même le catalogue de ses médailles. Sa loupe traînait encore sur la vitrine des pierres gravées, jaspes, onyx, sardoines, calcédoilles, renfermant dans la grandeur de l’ongle des figures d’un style large, des groupes composés avec une ampleur magnifique. Il prit d’une main amoureuse sur sa table un petit faune de bronze pour en faire admirer à ses visiteurs le galbe et la patine, et son langage était digne du chef-d’œuvre qu’il expliquait. –J’attends, ajouta-t-il, un envoi d’argenterie antique, des tasses et des coupes qu’on dit plus belles que celles - 111 -

conservation et à l’accroissement de leurs biens. Oh ! que la<br />

richesse privée est belle, digne, excellente ! Comme elle doit être<br />

ménagée, allégée, privilégiée par le sage législateur et combien il<br />

est inique, perfide, déloyal, contraire aux droits les plus sacrés,<br />

aux intérêts les plus respectables et funeste aux finances<br />

publiques de grever l’opulence ! C’est un devoir social de croire<br />

à la bonté des riches ; il est doux aussi de croire à leur bonheur.<br />

Allons, Quatrefeuilles !<br />

VII<br />

<strong>DE</strong>S RAPPORTS <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> RICHESSE AVEC LE<br />

BONHEUR<br />

Résolu de s’adresser d’abord au meilleur, au plus riche,<br />

Jacques Felgine-Cobur, qui possédait des montagnes d’or, des<br />

mines de diamant, des mers de pétrole, ils longèrent longtemps<br />

les murs de son parc, qui renfermait des prairies immenses, des<br />

forêts, des fermes, des villages ; et à chaque porte du domaine<br />

où ils se présentaient, on les renvoyait à une autre. Las d’aller et<br />

de venir et de virer sans cesse, ils avisèrent un cantonnier qui<br />

sur la route, devant une grille armoriée, cassait des pierres, et<br />

lui demandèrent Si c’était par cette entrée qu’on passait pour se<br />

rendre chez M. Jacques Felgine-Cobur qu’ils désiraient voir.<br />

L’homme redressa péniblement sa maigre échine et tourna<br />

vers eux son visage creux, masqué de lunettes grillées.<br />

– Monsieur Jacques Felgine-Cobur, c’est moi, dit-il.<br />

Et, les voyant surpris :<br />

– Je casse les pierres : c’est ma seule distraction.<br />

Puis, se courbant de nouveau, il frappa de son marteau un<br />

caillou qui se brisa avec un bruit sec.<br />

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