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LES SEPT FEMMES DE LA BARBE-BLEUE ET AUTRES CONTES ...

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Pour lui ôter le goût d’une boisson trop aimée, il lui mit de<br />

l’herbe aux chats dans ses bouteilles. Elle crut qu’il voulait<br />

l’empoisonner, bondit sur lui et lui planta trois pouces d’un<br />

couteau de cuisine dans le ventre. Il en pensa mourir, mais ne se<br />

départit point de sa douceur coutumière. « Elle est, disait-il,<br />

plus à plaindre qu’à blâmer. » Un jour qu’on avait oublié de<br />

fermer la porte du cabinet des princesses infortunées, Jeanne de<br />

la Cloche y entra tout égarée, à son habitude, et voyant les<br />

figures peintes sur la muraille dans l’attitude de la douleur et<br />

près de rendre l’âme, elle les prit pour des femmes véritables et<br />

s’enfuit épouvantée dans la campagne, en criant au meurtre.<br />

Entendant la Barbe-Bleue, qui l’appelait et courait à sa<br />

poursuite, elle se jeta, folle de terreur, dans la pièce d’eau et s’y<br />

noya. Chose difficile à croire et pourtant certaine, son époux fut<br />

affligé de cette mort, tant il avait l’âme pitoyable.<br />

Six semaines après l’accident, il épousa sans cérémonie<br />

Gigonne, la fille de son fermier Traignel. Elle n’allait qu’en<br />

sabots et sentait l’oignon. Assez belle fille à cela près qu’elle<br />

louchait d’un œil et clochait d’un pied. Sitôt qu’elle fut épousée,<br />

cette gardeuse d’oies, mordue par une folle ambition, ne rêva<br />

plus que grandeurs nouvelles et nouvelles splendeurs. Elle ne<br />

trouvait point ses robes de brocart assez riches, ses colliers de<br />

perles assez beaux, ses rubis assez gros, ses carrosses assez<br />

dorés, ses étangs, ses bois, ses terres assez vastes. La Barbe-<br />

Bleue, qui ne s’était jamais senti d’ambition, gémissait de<br />

l’humeur altière de son épouse ; ne sachant, dans sa candeur, si<br />

le tort était de penser glorieusement comme elle ou<br />

modestement comme lui, il s’accusait presque d’une médiocrité<br />

d’humeur qui contrariait les nobles désirs de sa compagne, et,<br />

plein d’incertitude, tantôt il l’exhortait à goûter avec modération<br />

les biens de ce monde, tantôt il s’excitait à poursuivre la fortune<br />

au bord des précipices. Il était sage, mais chez lui l’amour<br />

conjugal l’emportait sur la sagesse. Gigonne ne pensait plus qu’à<br />

paraître dans le monde, à se faire recevoir à la Cour, et à devenir<br />

la maîtresse du roi. N’y pouvant parvenir, elle sécha de dépit, et<br />

en prit une jaunisse dont elle mourut. La Barbe-Bleue, tout<br />

gémissant, lui éleva un tombeau magnifique. Ce bon seigneur,<br />

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