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(1986) n°2 - Royal Academy for Overseas Sciences

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Ce Trésor, outre les impôts prévus par la Sharia et les butins de guerre, est<br />

alimenté par le commerce avec l’Égypte, car la rébellion du Soudan n’empêche pas<br />

les transactions commerciales. Outre les bateaux du Nil, désormais monopolisés par<br />

l’État, les marchandises sont véhiculées à dos de chameau le long de quatre grand’<br />

routes : Khartoum-Assouan ou Korosko, Khartoum-Souakin, Gallabat-Massawa<br />

(que les Italiens vont bientôt fermer), et surtout l’historique Arba’in (arabe pour<br />

Quarante) que les chameaux parcourent en un peu plus de six semaines pour relier<br />

le Darfour-Kordofan à l’Égypte sans passer par Khartoum.<br />

Ce commerce est entravé par deux gros problèmes. D’un côté, la production des<br />

denrées à exporter est entravée par la mobilisation des hommes valides, libres ou<br />

esclaves et de l’autre, le Khalifa est vraiment trop soupçonneux de tous ceux qui ont<br />

affaire à lui. Les commerçants, nationaux ou étrangers, ne sortent qu’en abandonnant<br />

leurs familles en gage de leur retour et, à leur retour, ils doivent déposer au<br />

Beit-el-Mal les articles manufacturés qu’ils rapportent et s’y acquitter d’une dîme<br />

(«ushr», c’est-à-dire le dixième) qui n’est souvent pas la première, car les agents<br />

locaux de l’État mahdiste et les petits potentats locaux ne se gênent pas pour<br />

rançonner ceux qui passent à leur portée. Avant la fin du régime, deux invasions de<br />

sauterelles provoqueront des famines et, avec elles, presque l’anéantissement du<br />

commerce.<br />

Ce qui rend la vie difficile, intolérable même pour les Européens, ce sont ainsi<br />

les tracasseries, pour ne pas dire pire, de la police. Ce qui la rend possible, c’est un<br />

système d’administration indirecte poussée à l’extrème. Même à Ondurman, il n’y<br />

a pas de municipalité car un tel abandon des responsabilités du monarque serait un<br />

péché dans l’Islam, mais les groupes et sous-groupes ethniques se gouvernent<br />

eux-mèmes suivant leurs coutumes. La capitale de l’État mahdiste n’est pas une<br />

agglomération divisée en quartiers mais une confédération de vingt-deux communautés,<br />

dont une d’Européens, la Muslimania. Contrairement à la future politique<br />

coloniale du creuset (le «melting pot» américain), ces communautés restent homogènes,<br />

réglant elles-mêmes des problèmes tels que l’eau, chacune d’elles creusant les<br />

puits dont elle a besoin. Certaines d’entre elles y réussissent mieux que d’autres, mais<br />

il n’y aura jamais de front uni pour accuser le pouvoir central de maux dont chacune<br />

d’entre elles se sent responsable.<br />

Après cette année de victoires, l’État mahdiste ne connaîtra plus qu’une lente<br />

érosion de treize ans. Les «derviches» (comme on les connaît en Europe) ou «Turcs»<br />

(comme disent, Dieu sait pourquoi, les soldats congolais) reculeront petit à petit<br />

devant les Éthiopiens, Français, Italiens et troupes de l’État Indépendant du Congo,<br />

luttant ouvertement pour leur propre compte, avant de s’effondrer devant les<br />

Anglais, qui auront soin de ne jamais déployer que le drapeau de l’Empire Ottoman<br />

et de remporter ainsi la victoire diplomatique de Fachoda. Mais Rudyard Kipling<br />

leur rendra le plus bel hommage qu’il ait jamais rendu à un adversaire de sa reine :<br />

«You’re a poor, benighted heathen,<br />

But a first-class fighting man!»

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