(1986) n°2 - Royal Academy for Overseas Sciences

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que le bien qu’il serait juste de lui reconnaître. Les «ashraf», c’est-à-dire les parents
du Mahdi, sont même ses pires ennemis au sein de cet État. Né probablement en
1841, dans le sud du Darfour, le Khalifa Abdullahi n’a rien d’un guerrier au sens
habituel du mot. Depuis des temps immémoriaux, les hommes de sa famille n’ont
rien fait d’autre qu’ouvrir des écoles et des mosquées pour y enseigner la loi du
Prophète. Lui-même ne doit sa position qu’au fait d’avoir été l’un des premiers,
peut-être même le tout premier, à avoir salué Muhammad Ahmad du titre de Mahdi
et à avoir été désigné par lui comme son premier successeur.
L’État mahdiste est le plus vaste de toute l’Afrique et il le restera, malgré les
empiètements des ennemis qui l’entourent de toutes parts. La Confèrence de Berlin,
en prenant fin le 22 février, assurera sans s’en rendre compte l’intégrité du nouveau
Soudan en l’incorporant dans l’Empire Ottoman. Le Khalifa n’en fait pas une
théocratie - il n’y a pas de prêtres dans l’Islam orthodoxe — mais c’est une société
civile toute imprégnée de religion. Attaquer un État musulman, c’est attaquer l’Islam.
Les hommes valides doivent donc abandonner les champs pour participer à une
guerre qui est sainte et qui ne finira qu’avec l’État lui-même.
Le Khalifa, d’ailleurs, s’intéresse moins à faire la guerre qu’à organiser le nouvel
État. Il en confirme la division en trois provinces : Vallée des deux Nils, Approches
de la Mer Rouge (où les Italiens se tailleront subrepticement une colonie baptisée
par eux «Érythrée») et Darfour-Kordofan. Plus au sud, il ne voit guère que des
réservoirs à esclaves dont il ne s’occupera qu’occasionnellement. Ce sera le cas, par
exemple, quand il apprendra, en 1889, que la lointaine province d’Equatoria lui est
offerte gracieusement par le départ d’Emin Pacha, qu’il ne se soucie guère de
déranger, ou, en 1894, quand des fidèles lui rapportent du Bahr-el-Ghazal, quatre
drapeaux bleus étoilés d’or et deux lettres signées de la Khètulle, que Slatin Pacha
traduira pour lui.
Pour le reste, il pratique une politique d’administration indirecte, c’est-à-dire de
laissez-aller à l’égard des chefs coutumiers. Ce qui l’inquiète surtout, c’est la
présence un peu partout de parents ou de clients de son prédécesseur. Il n’a
confiance que dans ses proches parents ou dans ses congénères du Darfour-Kordofan
et, à son tour, les place un peu partout à titre d’émirs, disons des sous-préfets, ou
de kadi, des juges.
Par contre, il accorde toute son attention à transformer Omdurman en une
véritable métropole, ce qui n’est pas un mince mérite de sa part. Le site, sec et
légèrement ondulé, contraste favorablement avec la marécageuse Khartoum. Au
centre de l’agglomération, le tombeau monumental du Mahdi devient le centre de
pèlerinages obligatoires, en lieu et place de La Mecque. Le Khalifa s’installe à côté,
dans une maison vaste mais sans luxe (elle existe encore, devenue un musée, cent
ans après), avec un harem abondant qui n’a rien d’un temple de la folie, plutôt une
ruche, dirigée par Sahra, sa première femme, avec laquelle il mène une vie privée
exemplaire. Entre les cases se faufilent des ruelles plutôt que des rues mais le Khalifa
fait percer de larges artères pour faciliter l’accès aux marchés et aux édifices publics,
dont le dernier vers le nord et proche du Nil est le Beit-el-Mal, le Trésor.