(1986) n°2 - Royal Academy for Overseas Sciences
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rejeter au second plan. On le punit par où il a péché. Ses chaussures font de lui un<br />
martyr et sa veste le couvre de ridicule. Autant de déguisements dont la fonction est<br />
de masquer son identité culturelle. Il ne faut pas tomber dans le piège tendu par<br />
Oyono, qui sait faire rire pour que son message passe et que sa pensée échappe au<br />
lecteur peu averti. Chaque épisode drôle de ses romans recèle la leçon d’ensemble<br />
et dit la pensée profonde de l’auteur. Les tentatives du héros pour se démarquer des<br />
siens, et occulter son identité culturelle, sont légitimement sanctionnées par la<br />
souffrance, l’humiliation et la solitude. Autrement dit, Oyono professe l’adhésion<br />
profonde à l’identité culturelle africaine.<br />
Face au même problème, son compatriote Mongo Béti adopte une attitude plus<br />
complexe. Son retour à la littérature au milieu des années 70 après une éclipse de<br />
quelque douze ans a permis de se rendre compte que sa position n’a pas évolué mais<br />
que le contexte a commandé la mise en relief de tel aspect plus que d’un autre. D’une<br />
façon générale, les œuvres de la première période, celle du roman anticolonialiste,<br />
sont mises au service de l’identité culturelle, dont Béti se présente comme un<br />
défenseur farouche et talentueux. Dans Le Roi Miraculé (1958) [8], il montre<br />
comment les Africains avaient mis en place un système politique qui sauvegardait<br />
l’ordre et la paix et que le zèle incongru du missionnaire Le Guen fera voler en<br />
éclats. Dans Le Pauvre Christ de Bomba (1956) [7], il avait mis en scène l’inoubliable<br />
R.P. Drumont qui, s’étant employé pendant vingt ans à combattre les<br />
croyances et coutumes africaines, se convertit enfin à l’africanisme quand il comprend<br />
qu’à saccager l’identité des Africains, il s’est comporté en vandale.<br />
De tout cela, on pouvait conclure que Béti se rangeait parmi les défenseurs de<br />
l’identité culturelle. En fait, il n’a jamais perdu de vue que, si les traditions<br />
constituent le fondement de l’identité, certaines traditions sont surannées, rétrogrades,<br />
inopérantes, ou en porte-à-faux par rapport aux aspirations de la jeunesse et aux<br />
exigences de la modernisation. Dans le contexte colonial, il fallait faire front contre<br />
l’adversaire commun, assurer l’échec de l’entreprise d’anéantissement de l’identité<br />
culturelle. Béti n’en a pas moins parsemé son œuvre d’indices dont la signification<br />
profonde n’apparaît qu’aujourd’hui. Ce défenseur supposé des traditions n’a jamais<br />
laissé passer l’occasion d’attaquer (par exemple) les partisans de la polygamie, même<br />
lorsqu’il en montre l’intégration profonde dans la tradition. Il n’a jamais épargné les<br />
gardiens du pouvoir traditionnel, les pères égoïstes disposant d’une autorité tyrannique,<br />
les chefs complaisants envers les colons, tyranneaux irresponsables, qui rançonnent<br />
leurs sujets pour mener une vie de fainéantise, augmenter leur harem ou célébrer<br />
des fêtes interminables. Il en veut tout particulièrement aux vieillards loquaces,<br />
orateurs truculents, chargés de gouverner un monde qu’ils ne comprennent pas.<br />
D ’une façon générale, le Mongo Béti de la première époque considère déjà les<br />
traditions comme une source inépuisable d’attitudes, de comportements, de pensées<br />
con<strong>for</strong>mistes, immobilistes et rétrogrades. L’administrateur Lequeux l’a <strong>for</strong>t bien<br />
compris : les traditions sont les meilleurs alliées de la colonisation ; il ne faut y<br />
toucher «que d’une main tremblante». Il assure leur survie contre l’avis de son<br />
collègue Palmiéri qui se pique de libéralisme africaniste.