(1986) n°2 - Royal Academy for Overseas Sciences
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en termes adéquats. Il affirme l’unicitè de la nature humaine et récuse la distinction<br />
entre «êtres civilisés et sauvages». Il s’évertue à montrer que les prétendus sauvages<br />
sont capables de passions, de dévouement, que l’amour, la religion, les plaisirs de<br />
l’esprit ne leur sont pas inconnus. Il ne revendique aucune identité culturelle : il<br />
essaie d’obtenir pour l’Afrique un statut de culture universelle. Il faut admettre qu’il<br />
ne saisit pas en toute lucidité la finalité de son action, qu’il définit les termes de sa<br />
quête sans s’être au préalable libéré de l’idéologie du moment. Néanmoins, il ressent<br />
comme un besoin profond de récuser l’habitude de procéder comme si l’Afrique était<br />
dépourvue de culture. Malheureusement, Couchoro a tout contre lui : l’heure est au<br />
colonialisme triomphant, sûr de lui-même, dominateur. Les élites africaines n’ont<br />
pas d’autre choix que l’adhésion pleine et entière à cette politique.<br />
*<br />
* *<br />
Les mutations procéderont de l’africanisme, dont l’effet en Afrique même est<br />
comme feutré et par trop atténué par la distance. Il y touche plus les colons que les<br />
indigènes, plus les administrateurs des colonies - Delafosse, Brevié et autres... - que<br />
les élites politiques ou intellectuelles africaines. La <strong>for</strong>ce du courant africaniste est<br />
telle au lendemain de la première guerre mondiale, parmi les responsables de la<br />
colonisation, que les prises de position se multiplient en faveur d’une politique qui<br />
tienne compte des réalités culturelles. Ce point de vue sous-tend l’essai de Georges<br />
Ha r d y , Pour une conquête morale (1917) [18]. L’auteur y affirme la spécificité des<br />
cultures africaines ; il ne les tient pas pour égales aux cultures européennes, mais il<br />
plaide cependant en faveur de leur insertion dans les programmes scolaires.<br />
C ’est à Paris que le courant africaniste atteindra de plein fouet les romanciers de<br />
la seconde génération, qui placeront le problème de l’identité culturelle au centre de<br />
leur production. Toutes leurs œuvres se feront l’écho du débat culturel qui porte sur<br />
l’identité, la diversité culturelle, les mutations et le métissage culturel. Ce dernier<br />
motif ne doit pas être séparé de la dimension politique. Il va sans dire que, dans le<br />
contexte de colonisation pure et dure des années trente, toute revendication d’une<br />
identité culturelle africaine aurait été sévèrement réprimée. Pour faire passer la pilule,<br />
poètes et romanciers l’ont enrobée dans la profession de leur foi au métissage<br />
culturel. En définitive, ils ne proposaient rien de subversif ni même de véritablement<br />
original, car ils se plaçaient dans le sillage de G. Hardy et des plus progressistes<br />
parmi les agents de la colonisation.<br />
Ousmane Socé, le premier, donne dans Karim ( 1935) [31] une illustration<br />
convaincante de la spécificité culturelle. Mais à peine l’a-t-il fait entrevoir qu’il<br />
s’empresse de prêcher le mouvement, le changement, tant il redoute la stagnation<br />
que peut engendrer une trop grande fascination du passé. Il ne perçoit pas l’identité<br />
culturelle en termes de conflit, ni même dans le contexte d’un rapport de pouvoir.<br />
Il ne l’appréhende pas pour la défendre, ou pour revendiquer un quelconque progrès<br />
politique. Il a conscience de se trouver pris dans un monde en pleine mutation, de<br />
devoir combattre toute régression, tout immobilisme culturel. Il jette sur les mœurs