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(1986) n°2 - Royal Academy for Overseas Sciences

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modernisation. En fait, Mapaté Diagne est le premier écrivain à jeter un regard<br />

sombre sur les traditions et cultures africaines, à porter sur elles une condamnation<br />

sans partage. Il n’est pas loin d’y voir ce que Robert Randau appellera «les fatalités<br />

ancestrales» [14] des Africains. Il refuse tout débat culturel. L’Afrique profonde,<br />

l’Afrique des traditions ne peut à ses yeux enfanter que le désordre, la régression.<br />

Pour aller de l’avant, il faut jouer loyalement la carte de la colonisation. Son héros<br />

choisit le monde nouveau que les étrangers, les colons, sont en train d’imposer. Il<br />

condamne l’inertie de l’Afrique traditionnelle devant les perspectives de changement<br />

qui lui sont ouvertes. Il précise que «ce n’est pas le moment de parler d’origine et<br />

de caste. Les hommes se distinguent par le travail, par l’intelligence et par leurs<br />

vertus. Nous sommes gouvernés par la France, nous appartenons à ce pays où tous<br />

les hommes naissent égaux». En fait, Mapaté Diagne jette sur les réalités culturelles<br />

africaines le même regard que les colonisateurs. Il devait pourtant être l’initiateur de<br />

nombre de thèmes qui ont fait la <strong>for</strong>tune du roman africain.<br />

L’auteur de Force-Bonté (1926) [15], Bakary D iallo, n’accorde pas d’attention<br />

particulière au problème culturel. On en connaît les raisons : cet écrivain fait figure<br />

de transfuge. Il s’est évadé du monde peul sans pour autant s’imposer dans le<br />

contexte français. À son départ pour l’armée française, sa jeunesse ne pouvait que<br />

traduire son manque d’expérience. Inculte et analphabète, il ne pouvait mener en<br />

Europe qu’une existence marginale. Le débat culturel n’occupe pas de place dans<br />

son œuvre qui est vouée à l’exaltation de la France et à une postulation de la<br />

fraternité — hélas trahie.<br />

Ces premiers écrivains font le jeu du colonisateur en toute sincérité. Ils occultent<br />

la dimension culturelle de la rencontre de l’Europe et de l’Afrique. Cela est d’autant<br />

plus singulier que Duguay Clédor était parfaitement in<strong>for</strong>mé de l’évolution du<br />

panafricanisme dont il avait rencontré les leaders [17] et que Mapaté Diagne était<br />

un enseignant averti. Ils sont pourtant moins soucieux d’illustrer l’identité culturelle<br />

que de convaincre, de séduire le public du moment et de servir de caisse de<br />

résonance à la propagande colonialiste. À l’exception de Bakary Diallo, ce sont ou<br />

des métis de Saint-Louis ou des habitants des «quatre communes du Sénégal». Le<br />

concept d’identité culturelle, partout implicite cependant, n’est perceptible que chez<br />

leurs préfaciers. Celui de La Bataille de Guilé se démarque du contexte traditionnel ;<br />

celui de Force-Bonté, pourtant homme de gauche, s’autorise des coquetteries<br />

d’inspiration paternaliste. On comprend que toutes ces œuvres aient été accueillies<br />

sur l’heure avec ferveur tant par les colons que par les Africains. Elles témoignent<br />

en fait d’une occasion manquée par les colonialistes, d’une période où les Africains<br />

étaient disposés à s’intégrer à la politique d’assimilation, à marchander leur identité<br />

culturelle contre le progrès et la modernisation.<br />

On ne relève de signe avant-coureur du dépassement de cette situation que dans<br />

la préface de L ’Esclave ( 1929) [13] où Félix C ouchoro, qui vivait en Afrique, donc<br />

à l’écart du courant africaniste, aborde — assez gauchement — le problème de<br />

l’identité culturelle. C ’est qu’il n’a pas été touché par la grâce de la recherche<br />

africaniste. Son in<strong>for</strong>mation trop mince ne lui permet pas de poser le vrai problème

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