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(1986) n°2 - Royal Academy for Overseas Sciences

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Pendant la première phase, qui débute au milieu du siècle dernier, alors que la<br />

conquête coloniale est loin d’être achevée, que l’Afrique reste encore mal connue et<br />

que l’opinion française friande d’exotisme s’interroge sur l’opportunité, la légitimité<br />

et la rentabilité de ces opérations périlleuses menées aux antipodes, des Africains<br />

font leurs premiers pas dans la production littéraire moderne. Ce sont des métis de<br />

St-Louis, qui publient des ouvrages de vulgarisation pour mieux faire connaître la<br />

colonie du Sénégal et ses problèmes. En 1853, l’Abbé Boilat publie Esquisses<br />

Sénégalaises [ 12] ; en 1855, Paul H olle et Frédéric C arrère donnent De la<br />

Sénégambie française [20]. Ces œuvres, destinées à un public exclusivement français,<br />

sont des œuvres de circonstance tant elles correspondent aux préoccupations<br />

du moment. En effet, il ne s’agit de rien d’autre que de présenter la colonie et ses<br />

habitants, de donner à ce sujet le plus d’in<strong>for</strong>mations possibles. Le préfacier de la<br />

récente édition d'Esquisses Sénégalaises ne s’y est pas trompé, qui qualifie cet<br />

ouvrage de «document ethnographique ... qui enrichit nos in<strong>for</strong>mations sur les<br />

populations du Sénégal au milieu du XIXe siècle». Il en décèle du même coup le<br />

«projet idéologique». L’abbé Boilat, métis sénégalais, donne, des réalités culturelles<br />

de son pays, une lecture marquée par l’idéologie du moment et par les projets<br />

politiques en cours d’élaboration. C ’est peut-être Roland Lebel qui rend le mieux<br />

compte de l’objectif de ces premiers écrivains. Après la conquête, explique-t-il, vient<br />

la phase de reconnaissance, la prise en main effective de la colonie. Ces premiers<br />

écrivains qui tirent parti de la vogue de l’exotisme pourvoient le public ou leurs<br />

commanditaires en in<strong>for</strong>mations parfaitement exploitables sur le plan de l’administration<br />

et de la politique.<br />

Il va sans dire que l’identité culturelle n’est pas la préoccupation majeure de ces<br />

écrivains, qui opèrent dans un contexte où on la refuse aux Noirs. Le monde de<br />

l’abbé Boilat s’avère tristement manichéen. Ce qui ne procède pas de la civilisation<br />

occidentale, ce qui n’est pas d’essence chrétienne ne peut être que d’obédience<br />

diabolique et appelle sa destruction par la colonisation des esprits. On sait ce que<br />

la politique d’assimilation culturelle doit à cette position.<br />

On comprend de même que les premiers écrivains noirs, à la suite de leurs<br />

prédécesseurs métis, ne posent pas les problèmes d’actualité en termes d’identité<br />

culturelle ou de conflits culturels. Les maîtres du moment affichent le mépris le plus<br />

complet pour les cultures africaines, mépris que fonde une totale ignorance des<br />

réalités locales. Ils encouragent une littérature du progrès, du mouvement et non de<br />

la résistance culturelle. Ces écrivains sont tous convaincus de la légitimité de la<br />

colonisation qui a engendré la paix et une relative prospérité économique. Le<br />

premier préfacier de La Bataille de Guilé, en 1913, voit dans cette œuvre de D uguay<br />

C lêdor «le signal le plus évident du redressement moral (du Sénégal) et son<br />

évolution vers le progrès» [16]. M apaté D ia g n e, dans les Trois Volontés de Malic<br />

(1920) [25], n’a pas besoin de porte-parole, il s’improvise thuriféraire de l’action<br />

coloniale. Il l’exalte parce qu’elle se résume à ses yeux à la pacification et à la

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