(1986) n°2 - Royal Academy for Overseas Sciences
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originalité et comment le thème de l’identité, qu’il devienne central dans le roman<br />
ou glisse à l’arrière-plan, reste cependant partout présent.<br />
L’un des paradoxes du roman africain réside dans la place qui y est dévolue au<br />
thème de l’identité culturelle et dans ses variations. Faut-il rappeler que le roman<br />
africain semblait n’avoir d’autre vocation que de prolonger le roman colonial<br />
français, d’en donner comme une version africanisée. Il n’y a pour s’en convaincre<br />
qu’à relire Roland L e b e l [24] * ou Martine A s t ie r -L o u f t i [3], Le roman africain<br />
devait dans une très large mesure participer au courant exotique abondamment<br />
exploité par le roman colonial. Sa mission était de décrire la vie africaine, de<br />
souligner l’étrangeté des mœurs, la barbarie des coutumes, la violence des révoltes<br />
comme la sincérité des conversions.<br />
C ’est par l’exotisme, ce goût du singulier, de l’extraordinaire, l’abus de romanesque<br />
— et l’africanisme aidant — que l’identité s’imposera au roman africain pour<br />
finir par y occuper le premier rang.<br />
On assiste comme au gauchissement du profil romanesque attendu par le public<br />
français des années 1920 et 1930. Le roman devait servir à la révélation de modes<br />
de vie, de coutumes, de croyances «fantasques» des Noirs. Mais voilà : ces éléments<br />
que l’on tenait pour disparates, abracadabrants, preuves patentes de la barbarie et de<br />
l’incurie des Noirs, une lecture africaniste les investit d’une cohérence et de<br />
significations singulières.<br />
Certes, le problème de l’identité n’a pas toujours occupé le premier plan dans le<br />
roman. Son rôle dans la thématique romanesque n’a pas toujours été déterminant.<br />
Les romanciers ne l’ont pas toujours perçu comme un thème positif à même<br />
d’engendrer un quelconque progrès.<br />
En vérité, s’il est devenu, par la <strong>for</strong>ce des choses, central dans le roman, il est<br />
passé par des variations remarquables. À l’origine, il a été comme occulté, relégué<br />
au second plan. Les romanciers comme le public, accaparés ailleurs, semblaient ne<br />
se préoccuper que des rapports nouveaux que la conquête coloniale allait imposer<br />
aux Blancs comme aux Noirs. Disons qu’il s’agit de la phase de l’identité culturelle<br />
occultée. Ensuite, la science africaniste réussit son entreprise de revalorisation des<br />
cultures africaines et le thème de l’identité culturelle se trouva porté au premier plan<br />
de l’investigation comme de la création littéraire. C ’est la phase de l’identité<br />
culturelle revendiquée, illustrée, magnifiée par l’école de la négritude. Lorsque<br />
l’accession des anciennes colonies françaises à l’indépendance se traduit comme par<br />
une baisse de tension culturelle et change le rapport du public africain à son passé,<br />
le thème de l’identité se trouve placé sous un éclairage qui en favorise et tout à la<br />
fois légitime l’examen critique, pragmatique. C ’est la phase de contestation du<br />
concept de la négritude et de l’identité éclatée ou en question.<br />
On le voit, ce concept est si présent, si important qu’il permet une périodisation<br />
de l’histoire du roman africain. C ’est d’ailleurs par ces trois phases que ce problème<br />
sera abordé.<br />
* Les chiffres entre crochets [ ] renvoient aux références, p. 135.