Juge Marie-Christine Laberge - Centre de recherche en droit public ...

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fournissait un indice clair pour qui ignorait l’identité de l’homme en question ou était encore au stade des hypothèses. En outre, quelques mois avant la tenue du procès, un quotidien a publié la liste des six milliardaires québécois, information facile à retracer par le biais d’internet au moment du procès. Loin d’être une première Le dossier d’Eric et Lola n’a pas été le premier où l’interdit de publication a été bafoué. Cela s’est produit au cours des travaux de la commission sur le scandale des commandites quand le juge John Gomery avait, pour un court laps de Juin 2009 www.cba.org Karen Kear-Jodoin Robinson Sheppard Shapiro, Montréal « ...je préfère notre système. Il n’est pas nécessaire de connaître le nom des personnes pour s’assurer de la transparence des procès en matière familiale, pour s’assurer que ce qui se passe en cour est juste et équitable. » temps, suspendu la diffusion du témoignage de Jean Brault. Un blogueur américain avait ignoré l’interdiction et le quotidien torontois The Globe & Mail avait fourni le nom de ce blogueur à ses lecteurs. Des centaines avaient suivi. Dans une autre affaire grandement médiatisée, celle de l’imprésario et producteur Guy Cloutier accusé d’agressions sexuelles sur deux mineures, le nom de l’une des victimes s’est retrouvé sur le site web du réseau télé TQS, pendant quelques heures, le temps pour que des centaines de personnes en prennent connaissance. La procureure de la Couronne au dossier, Josée Grandchamp, a porté une accusation pour violation de l’ordonnance de non-publication. TQS a reconnu sa bévue et a versé une amende de 10 000 $. M e Granchamp a constaté que bien des blogueurs, du Québec et d’ailleurs, violaient aussi l’interdit. Elle s’était alors demandé si la loi les encadrait, s’appliquait hors frontières et s’il n’y avait pas lieu de faire comme le Canada en matière de tourisme sexuel et d’élargir la juridiction du tribunal. Censure inadaptée Pour M e Daniel Audet, vice président du Conseil du patronat du Québec, le dossier d’Eric et Lola (qui ont trois enfants d’âge mineur) aura eu le mérite de démontrer que l’interdit de publication systématique pour ce qui est des noms des parties en matière familiale au Québec, visant à protéger les enfants, est « inadapté tellement il est facilement contournable ». 23
Péril en la demeure Sans nul doute, la rencontre du domaine juridique et des technologies de l’information va forcer des ajustements de la pratique du droit et du fonctionnement des tribunaux. Et pas uniquement au Canada. Dans un éditorial récent, le magazine L’Actualité rapportait qu’un procès avait dû être annulé en Floride après que le juge qui le présidait eut découvert que « Je n’aime pas l’illogisme. Tout le monde sait de qui il s’agit et on n’a pas le droit de le dire. Si on veut exercer cette censure, au moins soyons logique et appliquons cette mesure de protection des enfants plus largement. « Vincent Lacroix (accusé d’avoir violé à 51 reprises la Loi sur les valeurs mobilières) avait aussi des enfants. Guy Cloutier avait aussi des enfants », a-t-il fait valoir. « Je soupçonne qu’ailleurs au Canada les ordonnances de non-publication sont émises, à la pièce, dans les cas où il y a quelque chose qui le justifie, dans des cas extrêmes », a-til ajouté. Interdit d’un autre âge Pour la juge responsable de la Chambre de la famille à la Cour supérieure du Québec, Marie-Christine Laberge, la loi est claire, bien qu’il puisse être difficile de l’appliquer. « Ce qu’un juge peut faire est d’appliquer la loi. Le remède (si elle est violée) est un peu plus complexe », reconnaît-elle. Elle rappelle que le législateur québécois a choisi d’autoriser la présence des journalistes dans les salles d’audience et que ceux-ci sont régis par un code de déontologie. Ils sont donc susceptibles de faire l’objet de sanctions disciplinaires de leur journal et/ou du Conseil de presse du Québec. « Il y a donc une certaine protection quant au comportement des journalistes. » Selon M e Pierre Trudel, titulaire de la Chaire L.R. Wilson sur le droit des technologies de l’information (Université de Montréal), la façon dont a été révélée la véritable identité d’Eric et Lola illustre une fois de plus « le caractère futile du procédé privilégié au Québec où les interdits de publication sont plus nombreux qu’ailleurs au Canada et aux États-Unis où ils ont un caractère exceptionnel ». Un coup de barre s’imposerait, estimet-il, du fait que la réglementation quant à la publicité des affaires matrimoniales ne prend pas en compte la pénétration actuelle d’internet et la plus grande circulation de l’information. « Les effets pervers de cette réglementation d’un autre âge sautent aux yeux : tout le monde sait, mais les médias se taisent. La rumeur remplace l’information. Les médias se contorsionnent pour tenter de raconter les faits de manière à ce que le public puisse encore comprendre. Et lorsque le public ne comprend pas, il se tourne vers les blogues afin qu’on lui fournisse les pièces manquantes de l’histoire. » La juge Laberge signale toutefois que la personne dont neuf jurés avaient surfé sur internet pour mener leur propre enquête sur la cause qu’ils entendaient. Dans une lettre adressée au New York Times en avril dernier, un avocat du Michigan s’inquiétait de ce que des jurés se prennent pour Sherlock Holmes et fouillent l’internet à la recherche d’informations liées au dossier sur lequel ils planchent. Il rappelait que leur tâche consiste à écouter les témoignages, examinerlespreuvesdéposéesdevanteux,làoù les témoins pourront être contre-interrogés et là où la légalité et l’authenticité des éléments de preuve seront examinées. « La justice n’est pas uniquement une recherche de la vérité, mais une juste recherche de la vérité », écrivait-il. De quoi alimenter la réflexion sur l’urgence pour le système judiciaire de tenir compte de l’évolution en cours et de mettre au point des stratégies adaptées. N — Rollande Parent l’identité a été révélée peut s’adresser aux tribunaux et intenter une action en dommages et intérêts si elle démontre que la diffusion lui a causé une grande détresse morale. Des indemnités peuvent lui être accordées. Quant aux blogueurs qui échangent des informations, qui discutent entre eux, elle se demande s’ils réalisent bien que la loi interdit la diffusion d’informations personnelles « On ne peut pas considérer comme privées des conversations quand n’importe qui peut se rendre sur le site et participer aux conversations. » « Il suffirait qu’il y ait une cause-type, bien médiatisée, pour que l’information circule», a avancé la magistrate. « Je suis bien consciente que ce sont des moyens imparfaits et qui ne donnent pas toujours la pleine mesure de réparation du dommage subi. Par contre, ce sont les outils que nous avons en main. » M e Trudel concède qu’on pourrait poursuivre, en théorie, les nombreux blogueurs qui ont divulgué l’identité d’Eric et Lola, mais cela demanderait beaucoup de temps, d’argent et de ressources. Et comment exercer de la pression sur les blogueurs installés en dehors de la juridiction frappée par l’interdit? Y-a-t-il moyen de les convaincre d’agir de manière responsable? De telles mesures sont-elles même souhaitables, voire applicables? « Au plan du droit, il serait possible d’établir une règle qui rendrait responsables les internautes de n’importe où sur la planète dès lors qu’ils contreviennent à une ordonnance canadienne d’interdit de publication », estime M e Trudel. « Mais serait-ce vraiment efficace? J’en doute beaucoup. » La voie à privilégier L’important, avance M e Trudel, est de protéger les enfants (Eric et Lola en ont trois d’âge mineur), en utilisant toutefois les bons moyens. « Il y a des révélations relatives à la vie intime qui ont été divulguées (drogues, seringues, liaisons multiples) alors qu’elles n’étaient ni pertinentes ni nécessaires. » Les avocats et juges doivent s’armer de courage et intervenir pour éviter l’utilisation de techniques de discrédit n’ayant aucune pertinence. « Le juge devrait interrompre le témoignage et demander qu’on lui démontre la pertinence. Si c’est pertinent, le juge pourrait tenir la séance à huis clos sur cet aspect spécifique dans le but de protéger les enfants si certains éléments pouvaient être éprouvants pour eux si jamais ils 24 NATIONAL June 2009
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